Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Carte de visite

Cours universitaires et travaux de recherche sur les questions d'apprentissage des jeunes et des adultes, science du développement humain, sciences du travail, altérités et inclusion, ressources documentaires, coaching et livres, créativités et voyages. Philippe Clauzard : MCF retraité (Université de La Réunion), auteur, analyste du travail et didacticien - Tous les contenus de ce blog sont sous licence Creative Commons.  

SITES PARTENAIRES

https://didactiqueprofessionnelle.ning.com/

https://didapro.me/

https://theconversation.com/fr

LICENCE CREATIVE COMMONS BY-CN-SA

Tous les contenus de ce blog sont sous licence Creative Commons. Vous pouvez les reproduire, les distribuer ou les communiquer à condition : de citer l'auteur ; de ne pas en faire d'utilisation commerciale ; d'appliquer ces mêmes conditions à toute création qui résulterait d'une modification, transformation ou adaptation d'éléments tirés de ce blog

Pages

Les langues sont animées par une grande diversité que les chercheurs tentent de répertorier. Author provided
Christophe Benzitoun, Université de Lorraine

Quand on pense à la grammaire française, on imagine souvent une discipline austère avec un grand nombre de règles et d’exceptions à apprendre par cœur pour éviter de faire des « fautes ». Une liste de tournures qu’il faut employer, opposées à d’autres qu’il faut à tout prix éviter.

Cependant, cette conception n’est pas celle des linguistes. Pour ces spécialistes de la langue, la grammaire est tout simplement une carte décrivant le territoire qu’ils ont sous les yeux, sans prescription aucune. Dit autrement, c’est une description de la langue qui rend visible l’existence de plusieurs formes en compétition pour décrire telle ou telle réalité.

Les langues sont en effet animées par une grande diversité. Le facteur de variation le plus connu est le niveau régional : on peut par exemple évoquer le célèbre exemple de chocolatine en face de pain au chocolat ou faire de l’essence opposé à faire le plein, qui donnent souvent lieu à des débats passionnés. Bref, une langue n’est pas homogène et il est intéressant d’en délimiter les contours.

L’activité des linguistes réside dans la recherche de l’ensemble des formes possibles et leur intégration dans un cadre d’analyse. L’activité traditionnelle des grammairiens, quant à elle, va à l’encontre de cet objectif. Elle consiste, en effet, à choisir la forme correcte parmi un ensemble de formes possibles, sans visée d’exhaustivité.

Les linguistes invitent donc à un voyage dans la langue telle qu’elle se présente, avec ses cathédrales gothiques et ses cités ouvrières. Le défi étant de rendre l’architecture d’ensemble aussi cohérente que possible. Or, dans l’état actuel des connaissances, il est impossible de décrire l’ensemble des tournures du français de manière unifiée.

Alors qu’il existe bien une carte de France, il n’existe pas de carte du français. C’est la raison pour laquelle nous nous sommes lancés dans un projet qui tente de faire le tour des travaux de recherche en linguistique française : l’Encyclopédie grammaticale du français (EGF). Au départ, le public visé était principalement les étudiantes et les étudiants. Mais la ressource, en accès libre, permet à tous ceux qui le souhaitent de découvrir la langue française sous un angle différent.

Changer de point de vue sur la langue

Les promotrices et promoteurs du projet ont décidé de se lancer il y a plus d’une quinzaine d’années dans cette aventure un peu folle : rassembler, sur support électronique, le patrimoine des acquis de la recherche grammaticale en linguistique française, sous forme de synthèses, aisément consultables et régulièrement mises à jour, et sans publicité.

L’encyclopédie grammaticale du français, capture d’écran.

Ainsi, même si le français est votre langue maternelle, il faut vous attendre à poser les pieds en terre inconnue. Vous pouvez bien être incollables sur l’imparfait du subjonctif et connaître sur le bout des doigts toutes les règles de l’accord du participe passé, vous allez forcément découvrir des détails insoupçonnés du fonctionnement du français.

Par exemple, en français, il est possible de dire la prochaine saison et la saison prochaine. Mais si l’on y regarde de plus près, ces deux tournures ne renvoient pas aux mêmes domaines. La prochaine saison sera employé pour parler d’une série télévisée alors que la saison prochaine pourra s’appliquer à un transfert de joueur de football. De même, un ancien moulin est un moulin reconverti en un bâtiment ayant un autre usage alors qu’un moulin ancien est toujours un moulin. On voit bien là que la place des adjectifs a une influence sur leur interprétation, et que cela fait partie intégrante de la grammaire.

Peut-être lancerez-vous des cris d’orfraie en vous apercevant que les linguistes travaillent sur des énoncés comme « tu veux pas venir » (sans ne), « tu as vu qui » (en plus de « qui as-tu vu ») voire même « les gens ils vont au supermarché » (ce que l’on appelle une dislocation du sujet). Il ne s’agit pas de valider ou pas ces formulations, mais de décrire ce qui est produit.

Ces tournures étant attestées, et même majoritaires dans certaines situations de parole, les linguistes se doivent d’en tenir compte pour cartographier le français. Imaginerait-on une science naturelle niant l’existence d’un être vivant du seul fait qu’il n’a pas la forme ou la taille qu’on aurait voulue ?

Synthèse des savoirs

L’observation attentive de données orales et écrites permet de certifier l’existence de telle ou telle forme linguistique. Elle conduit également à en mesurer la fréquence en fonction de divers paramètres. Ces données sont précieuses pour les linguistes, qui en tireront une vision hiérarchisée des phénomènes. Elles sont aussi précieuses pour les chercheurs d’autres disciplines qui développent des applications pratiques, que ce soit en traitement automatique du langage ou en vue de l’enseignement du français.

Évidemment, une telle ressource risque fort de déstabiliser les lecteurs habitués aux grammaires traditionnelles, à la recherche de LA tournure correcte. Dans l’EGF, il s’agit d’appréhender le fonctionnement de la langue française en s’appropriant un vocabulaire scientifique. Pour cela, il est recommandé d’entrer dans l’Encyclopédie par la lecture de la notice sur la variation pour se familiariser avec ce principe central des langues vivantes.

Ensuite, pour voir des illustrations de ce principe, il faut jeter un œil à la place de l’adjectif, aux interrogatives à la négation ou à l’inversion du sujet. Ainsi, vous verrez la richesse du français à travers la variété de ses usages et les différentes façons d’essayer d’en rendre compte. Un index terminologique et un outil de recherche dans le texte des notices sont également disponibles.

En résumé, l’EGF ne se présente pas comme une grammaire française classique et n’a pas été conçue sur le plan habituel d’une grammaire. Elle n’a pas pour but de fournir des conseils sur le bon usage de la langue française ou sur l’orthographe. Il s’agit plutôt d’une synthèse des savoirs grammaticaux sur le français, vouée à évoluer au fil du temps. L’EGF comprend actuellement 27 notices pour un total de 870 pages. Une vingtaine d’autres notices sont en préparation. Une invitation à découvrir les recherches menées dans le domaine de la linguistique française. The Conversation

Christophe Benzitoun, Maître de conférences en linguistique française, Université de Lorraine

This article is republished from The Conversation under a Creative Commons license. Read the original article.

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :