20 - Synthèse note sur la Didactique professionnelle, 2006
Résumé de l’article paru dans la Revue française de Pédagogie, printemps 2006, par Pastré, Mayen, Vergnaud.
La didactique professionnelle = à la confluence d’un champ de pratiques (la formation des adultes) et de 3 courants théoriques (la psychologie du développement + l’ergonomie cognitive + la didactique).
- 1ère orientation de la D.P. : l’analyse des apprentissages ne peut être séparé de l’analyse de l’activité des acteurs ; il existe une continuité profonde entre agir et apprendre de et dans son activité...
- 2ème orientation de la D.P. : pour analyser la formation des compétences professionnelles, il faut les observer sur les lieux de travail.
- 3ème orientation de la D.P. : pour comprendre l’articulation activité/apprentissage dans un lieu de travail, il y a intérêt à mobiliser la théorie de la conceptualisation dans l’action (issue de Piaget, et reprise par Vergnaud). (cf. Réussir et comprendre, la prise de conscience de Piaget). Une théorie qui utilise les concepts de schème et d’invariant opératoire. Question : comment se développe une intelligence de l’action ?
- La didactique professionnelle est pleinement une didactique, cad. Une étude des processus de transmission et d’appropriation des connaissances (en ce qu’ils ont de spécifique par rapport aux contenus à apprendre). Mais elle se centre beaucoup plus sur l’activité que sur les savoirs.
- Apparition de la D.P. au début des années 1990.
- La didactique professionnelle est née dans le prolongement de la formation professionnelle continue : avec l’ingénierie de formation comme invention la plus caractéristique de la formation des adultes. L’ingénierie de formation consiste en un champ de pratique qui construisent des dispositifs de formation en corrélation avec des besoins identifiés pour un public donné, dans une situation donnée.
- Si l’école décontextualise des apprentissages, au contraire, l’ingénierie de formation va insister sur le contexte social, adosser la formation au travail des apprenants et non à partir des découpages disciplinaires qui manquent de sens.
- Dans le prolongement de l’analyse des besoins de formation s’ajoute l’analyse du travail (un pilier de la D.P.) ; c’est prendre en compte les particularités de la tâche à effectuer et de l’activité mise en œuvre pour construire le dispositif de formation,
- La D.P. emprunte alors des concepts et méthodes appropriés, à la psychologie ergonomique.
- L’apport de la psychologie ergonomique : distinction entre tâche et activité (Leplat 1997) : il y a toujours plus dans le travail réel que dans la tâche prescrite ; l’activité déborde la tâche. Il existe un écart entre le travail prescrit et le travail réel ; en analysant cet écart, on peut repérer le sens de l’activité de l’opérateur.
- L’analyse du travail en D.P. : c’est l’analyse de la tâche à effectuer + analyse de l’activité des agents. - Il existe une dimension cognitive qui est présente dans toute activité de travail, y compris dans le travail manuel. (Cf. Ombredane et Faverge, 1955). On peut l’appeler la « structure cognitive de la tâche » (Keyser et Nyssen, 1993)
- L’apport de la psychologie russe du travail ; parmi les auteurs les plus importants (Leontiev, Galpérine, Talizina), Ochanine (1981) établit une différence entre ce qu’il appelle « image cognitive » et « image opérative » ; l’ « image cognitive » décrit un objet en énumérant ses principales propriétés, l’ « image opérative » décrit ce même objet en retenant les propriétés qui sont utiles pour l’action qu’on veut faire sur cet objet. (cf. ses études sur les médecins spécialistes de la thyroïde). Il y a donc des représentations pour l’action qui ont leurs caractères spécifiques, qui les différencient de simples représentations « cognitives », élaborées indépendamment de toute action.
- Apport des travaux de Hoc, Amalberti et Rogalski sur les situations dynamiques : les situations ont une dynamique propre faisant qu’elles évoluent même si les opérateurs n’agissent pas pour les transformer. Le facteur temps y est très important ; ce qui implique que les conduites adaptées des opérateurs sont des conduites anticipatrices. Ces situations étant fort complexes, les compétences mobilisées relèvent très clairement d’une intelligence de la tâche. Il ne s’agit pas de savoir quoi faire, ni où et comment le faire, mais quand le faire. Une action pertinente faite à un moment inopportun peut avoir l’effet inverse de celui qui est escompté.
- Les apports de la psychologie du développement : Piaget et Vygostski. On retient de Piaget le concept de schème qui désigne, dans ses travaux sur le bébé, l’organisation locale de l’activité qui, de maladroite et d’exploratoire dans les premières tentatives, devient une « bonne forme », que le bébé peut appliquer à une certaine variété de situation. Piaget fait du concept de schème un élément central de sa théorie de l’adaptation : le schème est en effet le moyen d’assimiler de nouveaux objets et de s’accommoder aux propriétés nouvelles qu’ils présentent par rapport aux objets antérieurement assimilés.
- Vygotski introduit plusieurs idées qui permettent de mieux saisir l’action enseignante, avec la « zone de proche développement » (il désigne ainsi la marge dans laquelle l’enfant peut réussir avec l’aide d’autrui alors qu’il n’est pas en mesure de réussir seul), une zone des situations et des activités dans lesquelles l’enseignant peut le plus opportunément choisir ce qu’il va proposer au sujet apprenant.) Autre idée, la médiation de tutelle (plus développé par Bruner que Vygotski) : l’enseignant, le tuteur ou le parent dispose de ressources pour intervenir à bon escient et apporter l’aide juste nécessaire au moment opportun. La médiation symbolique : c’est une fonction assurée par le langage, les graphiques ou l’algèbre.
- Piaget met en avant « le sens » donné par un individu, Vygotski s’intéresse plutôt au collectif et ici, il met l’accent sur la culture transmise et la signification conventionnelle des mots. Dans Pensée et Langage, on relève la distinction entre « sens » et « signification » : l’individu ajoute à la signification du mot entendu les expériences diverses qu’il peut avoir associées à ce mot ou à cet énoncé, au point de lui donner un sens différent de la signification conventionnelle de la langue. (cf le processus de communication en classe, voir la thèse d’Anibal Cortes : le savoir est une représentation mentale, il n’existe que fonction du filtre de la personne, ce qu’il associe comme expérience au concept, au point de « colorer » ou de le modifier ? mais quel savoir partagé alors avec une communauté dite « savante », quels savoirs académiques transmettre alors ?)
- La forme opératoire de la connaissance et la forme prédicative de la connaissance sont fondamentalement deux formes complémentaires de la même connaissance, même si il existe un décalage entre le « faire » efficace et la capacité de « dire ce qu’on fait et pourquoi ». Faire et dire d’une même connaissance se prolongent...
- L’apport de la didactique des disciplines se trouve marqué par un lexique et son ensemble de définitions :
- Brousseau : une situation didactique est l’ensemble des conditions que l’enseignant ou le chercheur réunit pour confronter l’apprenant à des objets nouveaux ou à des propriétés nouvelles de ces objets (avec situations d’action, situations de formulation et situations de validation). Il y a un progrès dans la conceptualisation d’un type de processus à l’autre, même si les moments d’action, de formulation et de validation ne sont pas toujours séparés, ni d’ailleurs séparables, au cours de l’activité.
- Chevallard : le contenu d’enseignement résulte de deux processus de transformation : la transformation du savoir savant en savoir à enseigner. Et la transformation du savoir à enseigner en savoir effectivement enseigné. C’est une transposition, toute situation de référence (scientifique ou professionnelle) exige des transformations pour être enseignables : simplification, suppression de certaines variables, choix de cas prototypiques, etc.
- Le contrat didactique lie les attentes réciproques entre le professeur et les élèves. Les décalages entre ces attentes expliquent des malentendus et des échecs de communication.
- L’idée de schème concerne l’organisation de l’activité pour une certaine classe de situations. Elle est la pierre angulaire de l’analyse de l’activité.
- Le principe du champ conceptuel part de la considération qu’un concept ne se forme pas de manière isolé mais en relation avec d’autres concepts avec lesquels il forme système. En outre, le concept se forme au cours de l’activité et de l’expérience, dans la rencontre avec une variété de situations dont les propriétés sont différentes, le concept s’éprouve.
- La didactique professionnelle cherche à articuler deux dimensions : la dimension théorique et la dimension opératoire, en d’autres termes le registre épistémique et le registre pragmatique.
- Cadre théorique de la conceptualisation dans l’action : les mots clefs sont « situation, compétence, activité, schème ».
- C’est dans la résolution de situations problématiques que se situe la source de la connaissance. Option constructiviste du savoir, pierre angulaire.
- Un schème est une totalité dynamique fonctionnelle, et une organisation invariante de l’activité pour une classe définie de situations. Un schème comporte quatre catégories distinctes de composantes : un but (ou plusieurs), des sous-buts et des anticipations, des règles d’action, de prise d’information et de contrôle ; des invariants opératoires (concepts-en-acte et théorèmes-en-acte – ou propositions tenues pour vraies dans l’activité) ; des possibilités d’inférence. (permettant des ajustements)
- A noter : c’est l’organisation de l’activité qui est invariante, et non l’activité elle- même ; le schème s’adresse à une classe de situations, non pas à une situation singulière ; il a justement une fonction adaptative, ce n’est pas un stéréotype. Si la connaissance est adaptation, il faut apprécier que ce qui s’adapte ce sont des schèmes et qu’ils s’adaptent à des situations. Le couple schème/situation est donc le couple théorique fondamental pour penser l’apprentissage et la formation.
- Plus généralement, il faut se pénétrer de l’importance du registre gestuel dans la formation de la personnalité. Le geste est, par intériorisation, une pierre angulaire de la représentation. La pensée est ainsi une fonction du corps tout entier. Une formule résume le caractère synchronique et diachronique des processus de pensée : la pensée est un geste.
- L’activité en situation est à la fois productive et constructive (Samurçay et Rabardel, 2004) : le sujet ne fait pas que produire des transformations des objets du monde extérieur, il se transforme lui-même, en enrichissant son répertoire de ressources. C’est la fonction constructive de l’activité.
- Ainsi, les processus cognitifs ne concernent pas que le fonctionnement en situation, mais aussi le développement sur le moyen et le long terme, c’est-à-dire l’évolution des compétences et de leurs relations au cours de l’expérience.
- Le concept de schème marque la continuité existant entre les deux formes de la connaissance, opératoire et prédicative. Son principal intérêt réside dans le fait qu’il sert de « passeur » entre un registre pragmatique et un registre épistémique. Comme concept, il fait partie du registre pragmatique. Mais son intérêt réside précisément dans le fait qu’il met en évidence la dimension de conceptualisation présente au cœur de l’organisation de l’activité.
- C’est pourquoi le concept permet de comprendre en quoi l’activité humaine est organisée, efficace, reproductible et analysable. Cette organisation de l’activité est souple car la compétence consiste à s’ajuster aux circonstances pour que l’action soit finement adaptée. Un ajustement possible que si l’organisation de l’activité comporte une bonne part d’invariance. La dimension invariante de l’activité représente la part généralisable de l’action. Elle est de nature conceptuelle, si on veut bien entendre par là que la première fonction des concepts est d’organiser l’action. Ainsi, le concept de schème ne va pas sans le concept d’invariant opératoire qui est un instrument de la pensée servant aux humains à s’adapter dans le monde et qui rend celui-ci compréhensible pour eux. Ces invariants sont construits par le sujet dans sa confrontation avec le réel. (cf. la construction de l’objet permanent qui permet chez le jeune enfant de mettre de la régularité, un ordre et donc de la compréhension dans un monde de déplacements). Les invariants opératoires peuvent s’entendre comme rapprochés des situations dans leurs spécificités ; on pense alors un développement par domaines, par champs conceptuels. Les invariants opératoires deviennent alors les concepts en acte et les théorèmes en acte qui caractérisent un domaine de l’action. Leur fonction première est de guider l’action en permettant un diagnostic de situation, de prélever l’information pertinente qui va permettre ce diagnostic. (cf. les organisateurs de l’activité de Pastré) ces concepts en actes ou organisateurs de l’action retiennent de la situation à laquelle doit s’adapter le sujet les objets, les propriétés, les relations qui vont permettre cet ajustement. Cette dimension de conceptualisation présente au cœur même des schèmes permet de distinguer ceux-ci de simples habitus. Certes un schème va s’exprimer sous forme d’une régularité reproductible ; mais c’est la dimension conceptuelle présente en lui qui le rend analysable.
- Questions vives posées à la didactique professionnelle :
- Apprentissage et activités : Dans l’apprentissage incident, dont l’exemple type est l’apprentissage sur le tas, ou par immersion, le sujet apprend du simple fait qu’il agit. On ne peut pas agir sans se construire de l’expérience, donc sans apprendre. Ainsi Rabardel et Samurçay proposent une distinction théorique qu’ils ont trouvé chez Marx qui permet de comprendre ce processus : ils parlent d’activité productive et d’activité constructive : quand il agit, le sujet transforme le réel (matériel social ou symbolique) ; c’est le côté activité productif. Mais en transformant le réel, le sujet se transforme lui-même : c’est le côté activité constructive. Du coup, activités productives et activités constructives sont indissociables. Toute activité productive s’accompagne d’une activité constructive, mais tous les métiers ne sont pas égaux. Pour certains, la part d’activité constructive devient assez vite un résidu de plus en plus admissibles, alors que pour d’autres métiers on n’a jamais fini d’apprendre par l’exercice même de l’activité productive. Cela dit, il n’y a pas d’activité sans apprentissage. Si l’activité productive s’arrête avec l’aboutissement de l’action, qu’il y ait réussite ou échec, l’activité constructive peut se continuer bien au-delà, quand notamment le sujet revient sur son action passée par un travail d’analyses réflexives pour la reconfigurer dans un effort de meilleure compréhension. Ainsi l’apprentissage accompagne naturellement l’activité, il en est en quelque sorte le prolongement. Troisième et autre conséquence : quand on affaire à l’apprentissage incident, le but de l’action est l’activité productive et l’activité constructive n’est qu’un effet, non voulu et souvent non conscient de l’activité productive. Mais l’apprentissage est une chose suffisamment importante pour que les humains inventent l’école : là, les relations entre activités productives et activités constructives s’inversent : le but de l’action devient l’activité constructive, ce qui ne veut pas dire que l’activité productive disparaît. On continue à apprendre en agissant, en étant confronté à des situations qui vont engendrer une action en retour. Mais l’activité productive n’est plus que le support, le moyen du déploiement de l’activité constructive. L’apprentissage n’est plus tacite ou incident : il est intentionnel. Le sujet accroît alors ses ressources dont il peut disposer pour orienter guider son activité, il accroît sa connaissance. Le sujet dispose de ressources qu’il a construit dans le passé en acquérant de l’expérience.
- la dialectique outil / objet : d’une part nos connaissances sont des ressources que nous utilisons pour résoudre des problèmes, d’autre part ces mêmes connaissances peuvent être envisagées en elle-même, pour en identifier et définir les propriétés, et devenir ainsi des savoirs. D’un côté, cette ressource outil, de l’autre, un objet à étudier qui devient savoir. À rappeler : les savoirs constituent des ensembles d’énoncés cohérents et reconnus valides par une communauté scientifique et professionnelle.
- La didactique professionnelle choisit de mettre l’accent sur l’analyse de l’activité constructive qui accompagne l’activité productive, c’est-à-dire d’analyser l’apprentissage dans sa forme anthropologie première, l’apprentissage incident. Il s’agit d’aller analyser l’apprentissage non pas dans les écoles mais sur les lieux de travail. Cela exprime le souci de comprendre l’apprentissage à partir de ce que Rabardel appelle le sujet capable, caractérisée par son pouvoir d’agir. Le sujet capable est un sujet dont le développement porte, non sur l’acquisition de savoir, mais sur l’apprentissage d’activités en situation. C’est un sujet qui dit « je peux » avant de dire « je sais », c’est le réussir avant de comprendre ensuite. Dès lors, nous avons deux registres de fonctionnement d’un sujet, le registre pragmatique qui caractérise le sujet capable et le registre épistémique qui caractérise le sujet connaissant. Les didactiques traditionnelles mettent en avant le sujet connaissant. L’activité est subordonnée au savoir. En didactique professionnelle, on fait le choix de subordonner le sujet connaissant au sujet capable, le savoir à l’activité, en s’appuyant sur le constat que dans sa forme anthropologie première, l’apprentissage accompagne l’activité, l’activité constructive accompagne l’activité productive. Le sujet connaissant accompagne le sujet capable. Le « je sais faire » accompagne le « je peux faire ».
- La question de développement chez les adultes : c’est une question forte qui a donné naissance à la didactique professionnelle. On met l’accent sur la dimension de développement d’un sujet qui, non content de tenir un poste de travail, se construit dans la durée part et dans son travail. Il semble qu’on peut identifier trois indices attestant d’un processus de développement en cours : la place jouée par la réflexivité, la capacité qu’a un sujet à « désingulariser » une situation, sa capacité à réorganiser ses ressources quand il est confronté à une situation nouvelle. L’empan temporel de l’activité constructive n’est pas le même que celui de l’activité productive : celle-ci s’arrête avec la fin de l’action, alors que l’activité constructive se poursuit avec un retour sur soi. L’apprentissage par l’action est alors relayé par l’apprentissage par l’analyse réflexive et rétrospectif de son action. On peut alors utiliser la distinction que fait Ricoeur entre identité idem et identité ipsé, entre « mêmeté » et « ipséité » pour caractériser les deux face de la construction de l’expérience. Il y a développement quant le sujet en vient à attribuer le sens de l’épisode qui vient de vivre. Un autre intérêt est de montrer comment l’activité constructive se désenclave de la tâche de la situation singulière. Universaliser est conceptualiser au sein même du singulier. Le travail de l’activité constructive aboutit alors à une ouverture, l’entrée progressive vers l’universel peut se révèler source d’un réel développement.
- On ne peut pas comprendre comment un sujet est capable de se créer de nouvelles ressources si on méconnaît le rôle de l’imagination industrieuse dans le développement. Cf. Bachelard.
- La question est épistémologique : la théorie de la conceptualisation dans l’action que l’on applique à l’analyse d’activité professionnelle et au développement des adultes débouche nécessairement sur une question épistémologique : comment peuvent bien coexister dans une même personne un sujet connaissant et un sujet agissant ? Comment s’articule donc registre pragmatique et registre épistémique ? La réponse apportée par la didactique professionnelle à cette question s’inscrit dans la continuité de la théorie de la conceptualisation dans l’action. Elle consiste à dire que la connaissance présente deux formes indissociablement liées : une forme opératoire et une forme prédicative. Toute connaissance, quand on la conçoit comme une adaptation, comporte toujours deux propriétés complémentaires : elle est prédicative car elle identifie dans le réel des objets, des propriétés des relations entre ces objets et propriétés. Elle est opératoire car c’est grâce à la connaissance prélevée dans le réel des informations qui vont permettre une bonne adaptation de l’action. C’est une question de but : on peut vouloir connaître pour mieux comprendre, on peut vouloir connaître pour mieux agir ; le curseur est variable. Mais ces deux formes s’enracinent dans une même structure du cognitif : c’est pourquoi il y a toujours du cognitif dans l’opératif et de l’opératif dans le cognitif. Nous observons une circulation incessante entre la forme opératoire et la forme prédicative. On a donc les mêmes connaissances qui peut, soit s’investir dans l’action pour l’orienter, soit se constituer en un savoir socialement établi qui pourrait transmis comme un patrimoine. Concernant la forme opératoire de la connaissance, on s’appuie sur les concepts de schème et invariant opératoire, et on voit dans cette forme de connaissance de l’intelligence des situations, avec un double mouvement d’assimilation et d’accommodation. Le critère est la réussite de l’action. L’intelligence des situations n’est pas dépourvue de conceptualisation car on ne peut pas réduire de situation à un enjeu, à des acteurs, à des conditions de lieux et de temps et au drame qui se nourrit de tous ces éléments. Une situation comporte aussi des objets, des propriétés de relations que les acteurs devront connaître « en actes » pour réussir leur adaptation. Concernant la connaissance dans sa forme prédicative : c’est identifier dans le réel des objets, des propriétés de ces objets, des relations entre ces objets et les propriétés, ce qui permettra des énoncés pour les constituer en un savoir.
- Nous observons deux formes de la connaissance appliquées à un domaine, elles s’expriment selon deux registres de conceptualisation : un registre pragmatique et un registre épistémique. Chaque registre est caractérisé par son but et par le type de conceptualisation qu’il implique. Le registre épistémique a pour but de comprendre, en identifiant dans une situation donnée ses objets, leurs propriétés et leurs relations. Le registre épistémique répond à la question « comment ça fonctionne ? ». Il cherche à identifier les relations de détermination qu’on peut établir entre les principales variables constitutives du système. En revanche, le registre pragmatique a pour but la réussite de l’action. Il répond la question « comment ça se conduit ? » Dans ce cas, la conceptualisation aura pour but d’établir une sémantique de l’action, qui va servir de base au diagnostic de situation et qui est représentée par l’ensemble des relations de signification entre les invariants organisateurs de l’action et les indicateurs qui permettent concrètement de les évaluer. Elle va également permettre de repérer les principales classes situations de manière à ajuster l’action à ces différentes classes. La conceptualisation du registre pragmatique sert ainsi à relier les prises d’information sur la situation aux répertoires de règles d’action disponibles.
- Le registre pragmatique : le point de vue de la tâche est un point de vue « objectif ». Il décrit les conditions qu’il faut nécessairement prendre en compte pour que l’action soit réussie. Par exemple, conduire une machine, un avion en vue, un entretien ou une classe. Toutes ces actions demandent de respecter certaines caractéristiques de la situation pour être efficaces, quel que soit la manière dont le sujet s’y prend pour mener son action. Le point de vue de l’activité est un point de vue qu’on peut qualifier de « subjectif », au sens où il vise à décrire ce que fait effectivement le sujet : pour une même tâche les manières de faire des sujets sont nombreuses, y compris à niveau de réussite équivalente. Dans le registre pragmatique, du point de vue de la tâche et pour une situation donnée, on parlera de « structure conceptuelle de la situation » (Pastré, 1999). Il s’agit de l’ensemble des concepts organisant l’action et servant à la guider. Ces concepts peuvent être d’origine pragmatique ou scientifique, peu importe en un sens. L’essentiel est qu’ils sont enrôlés dans l’action, permettant notamment un bon diagnostic de situation.
- En didactique professionnelle, l’identification de la structure conceptuelle d’une situation repose sur un paradoxe : on se place dans la dimension de la tâche, mais il est nécessaire de passer par une première analyse de l’activité pour identifier la structure conceptuelle de la situation : celle-ci représente en effet l’ensemble des éléments invariants qu’on retrouve mobilisés chez tous les sujets ayant une action efficace. Car on ne peut pas se contenter d’une analyse a priori de la tâche, il faut faire une analyse a posteriori qui fait un détour par l’analyse de l’activité.
- Dans le registre épistémique, le pendant de la structure conceptuelle de la situation est représenté par le savoir portant sur un domaine. À la différence des connaissances qui peuvent être de toutes origines et qui représentent des ressources possédées ou crées par un sujet à partir de sources diverses, nous désignons par savoir un ensemble d’énoncés cohérents, estimés valides par une communauté scientifique ou professionnelle. Le terme de « savoir » est généralement utilisé selon deux acceptions très différentes : d’une part, il désigne toute ressource cognitive utilisée ou créées par un sujet et conservée en mémoire, dans ce cas nous préférons parler de connaissance. D’autre part, il désigne un ensemble d’énoncés cohérents et reconnus valides par une communauté scientifique ou professionnelle, dans cette acception, le savoir est caractérisé par deux propriétés essentielles : sa non-contradiction et sa validité en référence à un domaine scientifique ou professionnelle. Un savoir s’exprime donc dans un texte du savoir, qui est indépendant de l’appropriation que peuvent en faire des sujets : il a une dimension objective.
- Si on se place maintenant du côté de l’activité, savoir et structure conceptuelle d’une situation trouvent leurs pendants : un modèle cognitif d’une part et un modèle opératif d’autre part. Le modèle cognitif désigne la représentation qu’un sujet se fait d’un domaine en termes d’objets, de propriétés et de relations, indépendamment de toute action de transformation portant sur ce domaine. Le modèle opératif désigne la représentation que se fait un sujet d’une situation dans laquelle il est engagé pour la transformer. Cf. Ochanine et les spécialistes de la thyroïde qu’il a observés. Selon qu’on affaire à des professionnels confirmés ou des novices, le modèle opératif des sujets sera plus ou moins fidèle à la structure conceptuelle de la situation.
- Cette distinction n’est pertinente que dans la mesure où elle permet de décrire les échanges qui se font entre les modèles cognitifs et modèles opératifs : l’étayage et la fertilisation croisée sont les traces d’un processus d’apprentissage. Tout modèle opératif s’appuie sur un modèle cognitif ; le modèle opératif s’articule au modèle cognitif : celui-ci peut être explicite, voir scientifique ; mais il peut aussi être implicite et informel. C’est le cas de très nombreuses activités de bas niveau de qualification mais aussi de très haut niveau où il n’existe pas de savoir bien défini permettant de valider les modèles opératifs mobilisés. Dans ce cas en peut dire que dans l’activité le modèle opératif et le modèle cognitif ont tendance à se recouvrir et qu’il est très difficile à l’analyse de les distinguer. Plutôt dire « représentation du savoir » car le savoir partagé n’est jamais appréhendé de façon uniforme par tous les sujets, il est toujours réinterprété par le sujet dans sa cognition selon ce qu’il sait déjà et ce qu’il est ; le sujet n’acquiert-il que des formes du savoir revu selon sa partition cognitive personnelle ? Le savoir contient-il donc une part subjective, n’est-il pas entièrement un fait objectif ? voir les thèses de Husserl et la phénoménologie et des travaux en philo sur la question...
- Quand le modèle cognitif est appris avant le modèle opératif, il y a un décalage entre les modèles en faveur du modèle cognitif. L’apprentissage pratique ne va pas alors consister à appliquer la théorie mais à permettre la constitution d’un modèle opératif aussi solide et structuré que l’est le modèle cognitif. D’où l’importance des moments de débriefing et plus généralement des épisodes d’analyse de l’activité faite après coup, par auto confrontation simple, croisée ou instrumentée. L’analyse rétrospective et réflexive permet de combler le décalage entre modèle opératif et modèle cognitif. Quand le modèle cognitif et le modèle opératif sont acquis en même temps dans ce qu’on appelle la construction d’expérience, le décalage entre les deux modèles va avoir du mal à jouer. C’est souvent ce qui se passe dans l’apprentissage sur le tas. Pour y remédier, une identification, faite par une analyse a posteriori de la structure conceptuelle de la situation permet d’expliciter le modèle opératif et par voie de conséquence de distinguer plus clairement le modèle opératif et le modèle cognitif empirique. On peut alors penser que cette distinction peut réintroduire des décalages, sources de développement par fertilisation croisée : le modèle opératif va interroger le modèle cognitif empirique et le pousser à chercher d’autres justifications que la seule réussite de l’action. Cela va permettre de comprendre l’activité professionnelle. - On voit dès lors de la didactique professionnelle s’oriente dans une forte articulation entre activité et apprentissage, entre activité productive et activité constructive, entre registre pragmatique et registre épistémique, entre modèle opératif et cognitif, entre forme de la connaissance prédicative et forme de la connaissance opératoire (voir le tableau au-dessus). Une deuxième orientation pose la question du développement notamment sous cette forme le développement des compétences professionnelles et le développement des personnes au cours de leur vie. Enfin une troisième orientation à même la caisse épidémiologique des rapports entre la connaissance l’action entre la théorie et la pratique entre le modèle cognitif et le modèle opératoire bouclant à son tour la question de l’apprentissage.
- L’analyse du travail en didactique professionnelle, ses premiers domaines d’application :
- En faisant l’analyse des situations de travail dans l’industrie, on s’est tout particulièrement intéressé aux situations problème. Dans le travail, toute l’activité ne se résume pas à résoudre des problèmes, cependant un des objectifs de l’organisation du travail, voire de la formation, consiste à éradiquer les problèmes présents dans le travail car une activité de résolution de problèmes est toujours coûteuse et aléatoire. Il est toujours utile de remplacer un comportement aléatoire par un comportement procédural plus sûr et économique. Mais dans la réalité, on arrive jamais à éradiquer complètement les situations problème, la réalité résiste. Il apparaît que la compétence la plus importante, celle qui fait la différence entre un novice et un expert consiste à savoir maîtriser les situations qui sortent de l’ordinaire, l’expertise du professionnel apparaît à ce niveau là, quand il doit résoudre un problème un opérateur s’aperçoit qu’il est aussi capable de créer pour lui-même des ressources nouvelles. C’est ici que se trouve le lien très fort entre résolution de problèmes et apprentissage : quand on n’a pas la procédure pour arriver à la solution, il faut la construire. C’est un des objectifs des formations d’adultes en didactique professionnelle. Les novices ne voient souvent que les traits de surface lorsque les experts observent directement l’essentiel. L’identification de la structure conceptuelle permet de comprendre les stratégies des acteurs : les uns construisent un concept pragmatique pour faire un diagnostic avant de choisir le répertoire de règles d’actions adéquates, les autres n’ont pas construit de concept pragmatique et ils appliquent simplement les procédures en s’appuyant soit sur leurs expériences pour pallier une conceptualisation qu’ils n’ont pas effectuée : ils n’arrivent pas ou très difficilement à raisonner devant les problèmes qui leur sont posés.
- On peut définir la structure conceptuelle d’une situation comme suit :
- il y a des concepts organisateurs qui permettent le diagnostic de situation de travail, concept pragmatique ou scientifique,
- il y a des indicateurs qui sont des observables qui permettent de donner une valeur actuelle au concept et dont la signification était construite de telle sorte qu’elle relie observable et concept,
- il y a des classes de situation, ou des régimes de fonctionnement de la machine, qu’on peut analyser à partir de la valeur donnée aux concepts organisateurs et qui vont spécifier le répertoire de procédure ou de règles d’actions à utiliser,
- il y a des stratégies attendues, en fonction du niveau de conceptualisation auquel a accès un opérateur. L’énoncé de ces stratégies attendues n’épuise pas les stratégies effectivement mobilisées par les acteurs, mais cela permet de mettre de l’ordre en fournissant une grille d’analyse.
- Un concept pragmatique possède trois propriétés : de son origine, il est construit dans l’action. Autrement dit, son origine n’est pas théorique mais pratique. Il ne provient pas d’un savoir, il provient de l’activité. C’est un concept en acte (Vergnaud) ou concept quotidien (Vygotski). Du point de vue de sa fonction, le concept pragmatique est un concept organisateur de l’action, dans la mesure il permet d’identifier dans quelle classe de situation, l’acteur se trouve. Il permet de faire un diagnostic et ainsi d’orienter l’action pour qu’elle soit efficace. Tous les concepts organisateurs de l’action ne sont pas forcément d’origine pragmatique, ils peuvent être d’origine scientifique et vont faire fonction de concept organisateur. Il faut remarquer que ces concepts scientifiques sont alors pragmatisés et servir d’assise à un diagnostic.
- Enfin concept pragmatique et dimension sociale : il est reconnu comme organisateur de l’action par la communauté professionnelle. Si on convient d’appeler modèle opératif la représentation peut se fait un opérateur de la structure conceptuelle de la situation (concepts organisateurs, indicateurs, régime de fonctionnement), on peut dire que le modèle opératif n’atteint pas parfois au moment de l’apprentissage une conformité suffisante avec la structure conceptuelle de la situation. Certains professionnels n’ont pas encore réussi à pragmatiser leurs connaissances pour en faire un bond guide de leur action, pour les aider à établir un bon diagnostic de situation et agir avec efficacité. Ils ont un bon modèle cognitif mais non pas encore un assez bon modèle opératif.
- Le modèle cognitif progresse et se développe avec l’apprentissage. Mais le modèle opératif également. En effet, un modèle opératif, du fait même qu’il se construit dans l’activité, est forcément marqué par les circonstances dans lesquelles il s’est mis en place. Pour les étudiants confrontés dans leur apprentissage pratique à chaque nouvelle classe situation, il y a obligation de réorganiser le modèle opératif, pour lui permettre d’englober dans leur compréhension la nouvelle classe de situations. Or cette réorganisation en plus d’un élargissement ne va pas de soi : les acteurs affrontent des contradictions dans la mesure où ils ont tendance à utiliser un modèle opératif trop étroit, trop local, qui correspond à ce qu’ils ont péniblement mis en place dans l’étape précédente de leur apprentissage. On peut qualifier de « genèse opérative » ( Pastré, 2005) ce processus qui est très représentatif de l’apprentissage. Au fond, le modèle opératif péniblement construit dans l’action s’avère trop lié à une classe de situations particulières : il était une ressource pour l’action, il devient un obstacle épidémiologique au sens de Bachelard. Dans ce mouvement de déstructuration- restructuration, l’appui apporté par le modèle cognitif, les connaissances du domaine est très important. On peut donc supposer que l’apprentissage sera maximal quand modèle cognitif et modèle opératif s’étayent mutuellement.
- L’apprentissage par analyse rétrospective de son action : on peut apprendre par l’action. On peut également apprendre par l’analyse de son action : l’analyse des activités des apprenants montre qu’ils ont plus appris pendant les séances de débriefings qui succédaient aux simulations que pendant les séances de simulation elle-même. C’est un problème d’ampan temporelle : l’activité productive se termine avec la fin de l’action. Par contre, l’activité constructive se poursuit bien au-delà de la fin de l’action. Les entretiens d’auto confrontation, et les débriefings sont des moyens de prolonger cette activité constructive : c’est un retour effectif sur l’action. Comme ils connaissent la fin de l’épisode, ils vont pouvoir par « rétrodiction » comme dit Veyne (1978), reconstituer l’enchaînement des faits. On entend par rétrodiction la démarche inverse de la prédiction : nous sommes incapables de prédire l’avenir ; mais nous sommes tout à fait capables de « rétrodire » le passé, c’est-à-dire de trouver comment les faits se sont enchaînés pour aboutir à la fin que l’on connaît. Bref, ce qui était vécu dans la contingence, voire dans la désorientation, peut être relu sous le signe de la nécessité. Deuxième atout : les acteurs qui analysent rétrospectivement leur action ne sont plus sous la pression des contraintes de l’action. Ils ne peuvent plus agir pour changer le cours des choses. Ils peuvent donc envisager des actions qu’ils ont faites comme des éléments parmi d’autres du déroulement du processus. Il peuvent prendre la distance par rapport à leurs propres actions, distance indispensable à l’analyse.
- L’analyse de l’activité requiert la médiation d’autrui. Il faut généralement quelqu’un qui propose à l’acteur une interprétation hypothétique de ce qui s’est passé. L’acteur peut alors confirmer ou infirmer les interprétations proposées. C’est un des rôles essentiels des formateurs dans les séances de débriefing. On peut utiliser le concept d’intrigue qu’on retrouve chez Ricoeur (1986) pour élaborer un cadre d’analyse de l’activité qui s’est déroulée.
- L’hypothèse d’ensemble est la suivante. Quand les acteurs analysent leurs activités, ils passent progressivement du vécu au récit, du récit à l’intrigue, de l’intrigue à une généralisation éventuelle. Le passage du vécu au récit est assez facile à décrire en revenant sur ce qui s’est passé, un acteur construit le récit, qu’on peut représenter comme une suite d’événements qui ont entre un lien de succession. L’acteur fait une sélection importante, il écarte tous les faits jugés insignifiants à ce stade. Le passage du récit à l’intrigue constitue le noyau central du cadre d’analyse. L’intrigue représente la part d’intelligibilité qu’on peut apporter à des données où le temps joue un rôle central. Au fond, le temps échappe pour une bonne part à la conceptualisation. Mais, il reste une partie qui est intelligible : l’intrigue est la part de nécessité présente dans la contingence. Selon Ricoeur, une intrigue est faite de relations de causalité, de relations, de finalité et de hasard. Il y a à la fois des événements fortuits et des enchaînements nécessaires.
- On peut donc construire un cadre d’analyse dans le but est d’extraire l’intrigue présente dans un récit... Le premier temps consiste à découper la séquence en un certain nombre d’épisodes avec un état initial, un état final et des épisodes intermédiaires en nombre variable. Le deuxième temps consiste à identifier quatre catégories de fait (les événements fortuits, les relations de causalité, les relations de finalité, les relations entre variable dues à une régulation automatique) ; le troisième temps consiste à rechercher la cause qui est à l’origine de l’épisode. Le deuxième temps de construction de l’intrigue permet d’éliminer les causes possibles qui ne permettent pas d’expliquer l’enchaînement des faits et de retenir celle qui permet de le faire. Ou bien l’intrigue est compatible avec le modèle opératif des acteurs, ou bien il y a contradiction entre l’intrigue et le modèle opératif : celui-ci ne permet pas de justifier le déroulement des faits. Il est alors nécessaire de réorganiser le modèle opératif pour le rendre plus fidèle à la structure conceptuelle de la situation, il y a besoin d’un élargissement de modèle opératif, le sujet se rendant compte rétrospectivement qu’il possède un modèle opératif trop étroitement local.
- La gestion d’environnement dynamique : ici on accroît d’un cran la complexité de la situation. Celle-ci est plus écologique, elle est moins prévisible. Peut-on encore repérer la structure conceptuelle de la situation dans ces environnements, dans lesquelles en agissant des êtres vivants, végétaux ou animaux ? Certes oui, à condition d’opérer une métamorphose du cadre d’analyse.
- L’analyse de l’activité qui s’accomplit avec d’autres humains : dans ce cadre le langage est omniprésent dans le travail et une grande part des activités de travail se réalise dans et par les interactions verbales. Il n’est pas possible de rendre compte des modalités d’organisation de l’activité dans sa situation sans considérer le langage comme un élément déterminant du travail. Par ailleurs les formes langagières constituent les formes prédominantes des processus d’enseignement apprentissage. La plupart des échanges didactiques mettent en scène des échanges engagés entre différentes catégories de protagonistes. Le langage présente un rôle essentiel dans les processus de développement.
- L’aide d’autrui se réalise dans l’usage des instruments de la culture et notamment du langage. Il est un moyen de mettre en ordre ce que nous pensons des choses. « La pensée permet d’organiser la perception et l’action, mais le langage et la pensée, chacun à sa manière, sont le reflet des outils et de l’aide disponible dans une culture pour mener à bien une action » (Brunner, 2000)
- Les activités professionnelles entre humains : une forme particulière de situation de travail qui comporte un certain nombre de caractéristiques qui en font des situations complexes. Là, le résultat de l’action n’est pas souvent direct, ni souvent accessible : il peut n’être que partiel. Les effets qu’elles produisent dépendent généralement d’un faisceau de facteurs parmi lesquels il n’est pas facile d’identifier ceux qui relèvent de l’action propre du professionnel. La nature et les phénomènes de communication entre humains exigent, pour en faire l’analyse, de recourir aux disciplines qui s’intéressent au langage en usage, que l’on regroupe sous le terme de linguistique pragmatique. C’est une forme de travail dans et par les interactions avec les autres. Ces activités se réalisent dans des interactions, celle-ci inclut l’activité conjointe des partenaires qui impose un certain nombre de contraintes à tout moment. L’imprévisibilité est une constante. Ces interactions se réalisent dans des jeux de langage avec leurs propres lois et impose des manières de raisonner et d’agir. Les règles de conversations ne sont pas les mêmes selon le lieu de travail. Ce qui signifie que les professionnels ont à définir et à s’approprier les buts de travail où ils se situent.
- Les interactions peuvent être verbales ou agies, et dans tout les cas de figure sont composés d’action et sont globalement régis par les mêmes lois que n’importe quel type d’action. En particulier que l’on se situe au niveau d’une interaction dans son ensemble ou au niveau d’un acte de langage, l’action est d’abord définie par un ou des buts, exercés sur un contenu (de quoi on parle). La réalisation de l’action, mais plus encore, la création des formes de sa réalisation dépend étroitement des conditions dans lesquelles l’action se réalise. La pragmatique développe ainsi à partir des théories des actes de langage une conception particulièrement utile pour analyser le travail des interactions. La théorie des actes de langage part de l’idée que dire ce faire. Cela ne signifie pas que la parole soit équivalente à un geste amenant la transformation matérielle du monde. Et cela signifie que parler avec et à d’autres constitue une intervention dans le monde qui est aussi une intervention sur le monde qui peut contribuer à le transformer. Tout acte de langage peut être dit satisfait, lorsque l’intention de celui qui l’énonce est réalisée. Pour que cet acte de langage soit satisfait, il doit répondre à des conditions de réussite, les conditions attendues dans la situation donnée : un certain type de discours, un certain ordre des tours de parole, un certain registre de langue, des obligations et des interdits, bref des normes à connaître et à respecter propres aux jeux de langage d’une société donnée et propres aux jeux de langage plus spécifiques en vigueur dans les situations de travail en question.
- Une des questions classiques en ergonomie consiste à identifier ce qui est transformé par l’action professionnelle, il est requis d’identifier ce que l’on peut appeler l’objet de l’intervention. Celui-ci peut être matériel ou immatériel. La grande majorité des formations professionnelles initiales contribue à la formation d’experts de ces objets de l’intervention.
- Le travail de services organise autour de deux objets : l’objet du service et l’objet d’usage. On les retrouve dans une dialectiques outil / objet.
- Nous pouvons identifier une localisation professionnelle avec des formes sociales partagées avec des jeux de langage commun. On y trouve des connaissances très opérationnelles pour le professionnel, des formes conversationnelles du « site ». Ainsi que des types de relations entre objet technique et objet du service. Entre l’usager et l’objet technique.
- L’utilisation des situations de travail pour l’apprentissage : L’analyse du travail est un instrument puissant pour les apprentissages. On apprend aussi en travaillant : l’activité s’accompagne toujours d’apprentissage. C’est ainsi que la didactique professionnelle est passée à une deuxième étape de son développement : l’utilisation de situations de travail, réelles ou simulées, pour servir de support à des apprentissages.
- La didactique professionnelle repose fortement sur la démarche le simulation. En simulation, il s’agit de confronter les apprenant à des situations judicieusement choisies et qui comporte un problème pour lequel les acteurs ne possèdent pas de procédure leur permettant d’aboutir à coup sûr aux résultats. Ils vont donc être obligés de faire preuve d’intelligence de la tâche, de mobiliser des niveaux plus ou moins élevés de conceptualisation : ils vont être en position d’apprentissage. Une situation de simulations est une « situation a didactique » au sens que lui donne Brousseau. L’apprenant est confronté à une situation qui lui pose problème et pour laquelle il va devoir mobiliser des connaissances ; la situation est a-didactique pour l’apprenant, elle est didactique pour le formateur qui la conçoit. Si le rapport à des savoirs existe bien, il est opportuniste. En didactique professionnelle, le rapport entre la situation et le savoir à mobiliser n’est pas clairement établi. Car on cherche à faire apprendre, non pas un savoir, mais une activité. Utiliser la simulation comme démarche didactique pose nécessairement le problème de la relation entre la situation professionnelle de référence et la situation simulée. Puisqu’il s’agit d’apprendre une activité, il faut bien que les apprentissages effectués dans la simulation aboutissent à la maîtrise de l’activité portant sur la situation professionnelle de référence. La didactique professionnelle préfère la simulation pour résolution de problèmes avec l’utilisation de simulateur : on ne cherche pas à faire acquérir des habiletés, des procédures, des démarches de coopération. On met l’opérateur face à un problème qu’il va devoir résoudre, problème qui correspond à des problèmes qui existent dans la situation professionnelle de référence. Pour faire une simulation du type résolution de problèmes, une condition est indispensable : il faut faire une très rigoureuse analyse de situation de travail, de la tâche de l’activité pour s’assurer que le problème mis en scène en simulation devient le même problème que celui rencontré dans le travail en réel. On a ainsi un apprentissage de l’activité qui n’est plus global, mais qui porte sur une des dimensions constitutives de l’activité, qui résistent aux novices, voire des moments critiques de la profession. Leurs maîtrises différencient l’expert du novice. En couvrant l’ensemble des situations possibles pour le même problème, on peut transformer la variété empirique des situations rencontrées à une variation ordonnée : les situations sont mises en scène en fonction d’un ordre de difficultés croissantes. On transforme ainsi un champ professionnel, caractérisé par une variation ordonnée (Vergnaud, 1991).
- Enfin la simulation permet d’organiser de façon systématique l’apprentissage par l’analyse réflexive et rétrospective de son activité : le débriefing. On a pu constater qu’on apprend tout autant par l’analyse de son activité que par l’analyse de cette activité. Il est même vraisemblable que pour certains éléments constitutifs de l’activité, notamment ceux qui relèvent de la conceptualisation dans l’action, on apprend beaucoup plus après l’action au moment de l’analyse que pendant l’action. C’est un retour réflexif sur l’activité qui est chargée en apprentissage. Dans la simulation, le rôle central des formateurs et moins de conduire une séance que de diriger l’analyse faite après coup. Il en résulte souvent des confrontations fortes entre formateurs et apprenants. Et c’est un grand progrès pour l’apprentissage.
- La didactique professionnelle se tourne ainsi de plus en plus vers une pédagogie des situations professionnelles. En s’inspirant du cadres théorique de la conceptualisation dans l’action, la didactique professionnelle devrait permettre un autre regard sur le travail et sur le développement par et dans le travail. En effet les situations de travail sont porteuses des conditions de développement, sans intention formatrice lorsqu’elles dessinent des caractéristiques propres à engendrer des processus de conceptualisation, des « situations potentielles de développement » (Mayen, 1999) Les caractéristiques des situations rencontrent alors la zone proche développement des personnes et ouvrent des possibilités de relance du développement de leurs capacités, de leurs mobiles, de leurs valeurs et de leur identité.
- Le travail est formateur, mais il faut préciser : pas seulement formateur au sens où il permet l’apprentissage de mode d’exécution de l’action orientée par la reconnaissance des configurations pré établies, mais aussi formateur de systèmes de concepts.
- Pour conclure, la didactique professionnelle cherche à maintenir le meilleur équilibre possible entre trois dimensions : la dimension du social, avec une sensibilité particulière vis-à-vis des problèmes du travail, de son histoire et de son évolution, et des questions cruciales qui se posent aujourd’hui ; la dimension théorique car il n’y a pas d’analyse possible de l’activité si on ne s’appuie pas sur un cadre théorique consistant qui cherche à se renouveler par un permanent approfondissement ; la dimension opératoire avec la conviction que pour aborder l’analyse de l’activité et de l’apprentissage, il faut des concepts et des méthodes précis, utilisables et accessibles au plus grand nombre.
Document de synthèse de Ph. Clauzard
Revue française de pédagogie 154 (janvier-mars 2006). Pierre Pastré, Patrick Mayen et Gérard Vergnaud : La didactique professionnelle