Focale estivale : Le jeu peut-il nous sauver ?
Dans un contexte post-Covid, la question est sur toutes les lèvres : et si nous faisions différemment ? Et si nous reconstruisons plus en en accord avec nous-mêmes et avec le monde ?
« Et si », ces deux mots de l’enfance permettent de faire jaillir un monde, de rêver, mais aussi d’apprendre, de grandir, de comprendre, d’expérimenter. Et si ce jeu fondateur nous guidait, à nouveau, nous, citoyens de ce monde en train de se (re)faire ?
Le jeu nous autorise à tester, à expérimenter, à mieux comprendre. De manière plus inattendue, le jeu peut aussi s’adresser à l’individu sur un plan intime et l’accompagner à appréhender des éléments complexes tels que l’éthique ou le deuil.
Et si le jeu nous rappelait l’importance de se connaître soi pour mieux vivre en accord avec le monde ?
Des jeux pour contribuer
Ce sont les représentants des sciences dites dures qui ont commencé à nourrir la renaissance des jeux dans le domaine du sérieux. Foldit fait office de légende dans l’univers – maintenant connu – des serious games.
Conçus par des scientifiques de l’université de Washington, il permet de s’essayer au pliage des protéines et de faire ainsi avancer la recherche biologique (notamment sur le virus du VIH). Ce sont des milliers de joueurs, comme vous et moi, qui se connectent sur le site depuis près de quinze ans et s’amusent à réaliser de nouveaux pliages parfois complètement inédits – que les scientifiques n’avaient, jusqu’alors, pas découverts. Ces derniers publient ces découvertes en citant les joueurs de Foldit comme co-auteurs.
Si ces citoyens non avertis, non formés à la biologie, peuvent contribuer à la recherche scientifique c’est parce que le jeu leur en fait comprendre les principes, les rouages. Le jeu permet en effet d’expérimenter, de tester par soi-même et d’avancer selon le principe d’essais, erreurs (voire essais, réussites en l’occurrence !).
Dans un jeu, chaque action a une conséquence directe et visible. Lancer le dé et faire un 4 nous fait avancer de quatre cases ; tomber d’une plate-forme (dans un jeu vidéo) nous fait revenir au début du niveau. Tout l’art du joueur est alors de comprendre comment jouer avec les règles pour réussir à remporter la partie. Ainsi, le joueur découvre et comprend ce qui lui fait gagner des points ou en perdre et intègre de nouvelles connaissances. Les entreprises l’ont d’ailleurs bien compris et usent du serious game de plus en plus dans la formation. Le chiffre d’affaires des Serious Game a été de 2,6 milliards de dollars en 2016.
À vous de jouer !
Si j’utilise ce terme de « citoyen » c’est parce que nous pouvons tous contribuer à de nombreuses recherches grâce à ce que beaucoup nomment les « citizen games ». Mehdi Moussaid, docteur en éthologie, détaille les raisons de cet engouement des scientifiques pour les contributions citoyennes. Il donne également des exemples de jeux (et donc de recherches) auxquels nous pouvons contribuer.
L’équipe de chercheurs qui a créé Foldit vient d’ailleurs de proposer son nouvel opus, un jeu pour lutter contre le coronavirus.
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Quand ce ne sont pas des scientifiques qui cherchent au travers du jeu des contributions citoyennes, ce sont des jeux qui incitent des patients à prendre part à la recherche sur le terrain. Ainsi, des étudiants en game design ont réalisé en 48h un serious game qui permet de faire comprendre l’importance et le déroulement des essais cliniques. King Of Trial a été réalisé durant la Medical Game Jam organisée en décembre dernier par Compare et l’AP-HP. Vous pouvez le découvrir sur Android. La boucle est bouclée.
Des jeux pour s’auto-apprivoiser
Si le jeu amène à comprendre facilement en donnant la possibilité de tester et d’essayer des éléments concrets, ce n’est pas là sa seule vertu. Ce qui le distingue des outils de simulation c’est sa capacité à créer de l’immersion auprès de son joueur.
Le jeu quel qu’il soit, plonge le joueur dans un univers « séparé », de l’activité ordinaire et « circonscrit dans des limites d’espace et de temps précises et fixées à l’avance ». Ce qui implique que le joueur entre dans un univers particulier qui aura un début, un milieu et une fin auquel il doit prendre part. Il est invité à y jouer un rôle. Le joueur est alors sans cesse en équilibre entre son « moi réel » et son « moi fictif » (avatar). Pour Linda Hamdi-Kidar et Laurent Maubisson, « l’avatar ne représente pas nécessairement le joueur dans sa vie réelle, mais plutôt le personnage dans lequel il se projette ».
Le joueur peut alors se réinventer. Socrate disait également « qu’on en apprend plus sur quelqu’un en une heure de jeu qu’en une année de conversation ». Plus récemment, il a été admis que, dans le jeu, le joueur révèle de nombreuses compétences et savoir-être. Ce faisant, il se révèle aux autres et à lui-même.
Ajoutons à cela que si le jeu laisse une marge de manœuvre importante au joueur – notamment en terme d’imaginaire et de créativité – il lui permet alors une meilleure appréhension de la complexité. Sébastien Genvo parle, par exemple de « jeu expressif ». Il fait cheminer son joueur dans l’épreuve douloureuse du deuil sans jamais lui donner de réponse préconçue. Pour lui, les jeux peuvent accompagner un certain nombre de drames de la vie.
Un autre ingrédient permet d’appréhender la complexité via le jeu : c’est la frontière fine entre réalité et fiction. Le jeu cherche à emporter son joueur dans un univers fictionnel divertissant (au sens premier : le sortir de son quotidien) tout en cherchant à lui laisser entendre que cet univers est réel. Un jeu réussi est notamment un jeu qui semble authentique. Cette authenticité contribue au sentiment d’immersion du joueur au même titre que la narration ou le facteur social (Hamdi-Kidar et Maubisson, 2012).
Ainsi, le joueur plongé, en immersion, dans un univers authentique pourra se projeter lui-même dans ce monde et y réagir. À l’issue de l’expérience de jeu, ce même joueur s’il est accompagné par un enseignant ou formateur, pourra s’adonner à une réflexivité sur le monde qui lui a été proposé et sur la manière dont il a interagi avec celui-ci. Nous entendons par-là qu’il pourra tirer profit de cette expérience notamment en l’explicitant et en l’expliquant.
C’est le cas dans Finethics où des élèves de Grenoble École de Management sont confrontés à des dilemmes éthiques dans le domaine de la finance. Après avoir été confrontés à une expérience immersive très forte (en réalité virtuelle), les étudiants peuvent débriefer avec leur professeur et construire ensemble les outils qui les aideront à agir en accord avec leur éthique aux prochains dilemmes qu’ils rencontreront.
Des jeux pour nous aider à (re)construire ?
Ainsi, le jeu se présente comme bien plus subtil, précieux et fondateur que l’image de pur amusement qui lui est (parfois) associée. Le jeu est société selon Huizinga : à un moment donné, le développement de la civilisation a tout bonnement provoqué une scission entre deux domaines que nous distinguons sous les appellations de sérieux et de jeu ; mais originairement, ces deux domaines constituaient ensemble un seul milieu dans lequel la civilisation a commencé à croître.
L’exposition en ligne organisée par les étudiants de l’Institut d’Archéologie de l’UCL en Master of Museum Studies raconte comment les jeux reliaient alors les gens à travers le temps, les lieux, les luttes et les communautés. McGonigal, célèbre chercheuse engagée pour l’usage des serious games pose elle aussi que c’est le jeu qui pourra nous aider à « sauver le monde tous ensemble » notamment grâce aux Alternative Reality Game (ARG).
Nous avons tout à gagner à nous intéresser à des initiatives plus ou moins provocatrices telles que « Kapital ! », un jeu réalisé par des sociologues qui traitent de la lutte des classes.
Tout aussi engagé et constructif nous pouvons citer le « Jeu de l’EFC » : ATEMIS qui est un jeu coopératif pour vivre la construction d’un écosystème coopératif.
Et si on jouait ?
Isabelle Patroix, Docteur en littérature, Post Doc Serious Game et Innovation, Grenoble École de Management (GEM)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
Dans un contexte post-Covid, la question est sur toutes les lèvres : et si nous faisions différemment ? Et si nous reconstruisons plus en en accord avec nous-mêmes et avec le monde ? " Et si ", ces
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