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issus de YouTube et Les Cahiers pédagogiques I HORS-SÉRIE NUMÉRIQUE N° 55 I OCTOBRE 2020 : Petit dictionnaire des MOTS de l'EDUCATION et de l'ouvrage de Danielle Alexandre "Anthologie de textes clés en pédagogie", ESF 2017 (en lien ci-dessous, quelques extraits de concepts clés; Concepts clés à discuter en cours).
Étayage, étayages (Laurent Lescouarch, enseignant chercheur en sciences de l’éducation à l’université de Caen, extraits issus des Cahiers pédagogiques, hors série numérique n°55, octobre 2020 : Petit dictionnaire des mots de l'éducation) :
Dans la littérature pédagogique et didactique, la notion d’étayage est présentée le plus souvent dans son sens le plus restreint, celui d’une aide directe dans une interaction de tutelle. L’intérêt du travail de Bruner sur cette question est donc de nous proposer un cadre générique de lecture et d’interprétation des interventions auprès des enfants à travers les six dimensions évoquées. Mais en complémentarité de cette approche, l’étayage par l’interaction peut s’enrichir de toutes les grilles d’analyse. Ainsi, Roland Goigoux fait référence à cette notion dans sa modélisation de l’action enseignante et son travail permet de mettre en évidence différentes familles d’aide fonctionnant comme autant de registres d’étayage (exercer, réviser, soutenir, préparer, revenir en arrière, compenser, faire autrement). De même, Dominique Bucheton, dans son analyse des gestes professionnels dans le « multiagenda », identifie dif- férentes postures pour l’adulte (enseignement, lâcher prise, contrôle, sur-étayage-contre-étayage, accompa- gnemen, « magicien ») qui peuvent être articulés avec les postures des élèves. Elle met en évidence l’impor- tance du « faire comprendre », « faire dire », « faire faire » qu’elle associe au geste d’étayage (dont le sens est restreint dans son travail aux interventions de l’adulte) et complémentaire d’autres dimensions comme le tissage (donner sens aux situations).
Dans le même registre, dans sa réflexion sur la pensée et l’étayage par la culture, Philippe Meirieu développe l’idée que la « mise en mots », comme exigence pour la pensée, est en soi un étayage et s’articule sur trois dimensions : la reformulation, l’exemplification, la mise en perspective (par l’élève, par les pairs, par l’adulte). Ainsi, pour lui, la culture peut nourrir la pensée, les mots, le récit (à travers l’obligation de raconter) et étayer ainsi l’ensemble des apprentissages. (...) Étayer, c’est donc créer les conditions pour que la personne puisse apprendre de manière autonome dans un environnement lui permettant d’aller plus loin que ce qu’il sait déjà faire seul.
C’est dans cette perspective qu’a pu être développée la notion d’étayage comme « interaction de tutelle » par le psychologue Jerome Bruner, qui utilisait cette expression de « scaffolding » (qui signifie également échafaudage) pour désigner toutes les interventions conduites par un adulte pour aider un enfant à réussir une tâche relevant de sa zone de développement proche au sens de Lev Vygotski.
Ce « processus de soutien à l’activité autonome » est repérable dans les formes de l’éducation informelles et formelles et, au cours de son intervention, l’adulte (ou le pair) procède à des ajustements de la situation relatifs à la mobilisation (enrôlement et maintien de l’orientation, contrôle de la frustration), à l’adaptation de la tâche aux capacités du sujet (réduction des degrés de liberté) et à la mise en place des éléments d’une appropriation (signalisation des caractéristiques déter- minantes et démonstration ou présentation de modèles). (...) Dans un sens élargi, la notion peut être également être utilisée plus globalement au pluriel pour penser l’ensemble des éléments d’un milieu permettant de favoriser des apprentissages autonomes : différents leviers peuvent ainsi être réfléchis par le pédagogue comme « étayages ».
Dans cette optique, la première dimension à penser est le cadre symbolique et matériel qui structure le milieu avec ses ritualisations, ses règles qui permettent de développer un climat garant des besoins de l’ap- prenant, de sa sécurité physique et affective par la prévisibilité des situations. Dans cet environnement, la seconde dimension importante renvoie aux différentes ressources qui vont pouvoir être mise à disposition de l’apprenant dans une perspective autonomisante. Enfin, une ressource importante de tout environnement est l’autre, l’alter, qu’il soit un enseignant, un adulte éducateur ou un pair, et c’est la dimension des interactions qui constitue alors un point d’appui essentiel pour favoriser les apprentissages. (...) En effet, cette dimension des étayages fait l’objet de grands malentendus dans les espaces éducatifs, du fait de la présence importante d’une vulgate relative à un « socioconstructivisme mal compris » qui a pu laisser entendre, dans une période récente, qu’au nom des méthodes actives, l’adulte devrait systématiquement s’abstenir d’intervenir pour laisser l’enfant trouver seul. (...) En plus de la question de l’aménagement du cadre et des ressources, réfléchir les enjeux d’étayage par l’interaction nous conduit donc à remettre au centre la question de l’intervention de l’éducateur qui doit, à l’image de la posture distante du colibri, savoir à certains moments laisser de l’espace au chemin de l’élève et à ses expérimentations et, à d’autres, être proposant et inducteur si nécessaire pour permettre à la tâche d’aller à son terme dans une tension entre directivité et non-directivité, guidage et accompagnement constitutive de l’acte pédagogique.(...) Dans la continuité, cette notion nous invite à réfléchir tout particulièrement également à la question du désé- tayage progressif, condition de l’accession à l’autonomie réelle de l’apprenant pour ne pas le maintenir dans un lien de dépendance à l’aide.
Compétence (Jean-Michel Zakhartchouk, professeur honoraire de français, extraits issus des Cahiers pédagogiques, hors série numérique n°55, octobre 2020 : Petit dictionnaire des mots de l'éducation) :
"Une notion chargée de tous les maux pour les uns, de toutes les vertus pour les autres... Diabolisée, car liée au monde de l’entreprise, symbole de dérives technocratiques et déshumanisantes, mettant de côté les savoirs émancipateurs au profit de l’« efficacité ». Ou au contraire, outil magique pour donner plus de sens aux apprentissages scolaires et les rapprocher de la « vraie vie ». (...) On accuse aussi le flou de la notion, son côté « auberge espagnole ». Or, on peut très bien être précis et rigoureux dans sa définition, ce qui permet de dissiper des malentendus. (...) Mais sans doute est-il pertinent de remettre le mot dans le contexte d’une phrase avec un verbe actif, ce qui permet de dire que construire des compétences à l’école, c’est pouvoir mobiliser à bon escient des ressources pour répondre à des situations diverses, en fait à des familles de situation qu’on parvient à reconnaitre pour trouver les bonnes réponses. Ces ressources, ce sont des savoirs, des savoir-faire, des attitudes. On est loin alors de la réduction à de simples habiletés tech- niques et on lie fortement les compétences aux connaissances, les deux se nourrissant mutuellement (...) On trouve une dérive quand la compétence consiste simplement à rajouter un verbe à un savoir, parfois très technique, ce qui conduit à vider la notion de tout sens et à multiplier la liste de compétences à acquérir (mieux vaut d’ailleurs dire « construire »), jusqu’à aboutir à ces documents fastidieux qui relèvent de l’inventaire ou du catalogue. On peut ainsi trouver des « savoir conjuguer un verbe au passé simple » ou « savoir se servir d’une équerre », alors qu’il s’agit bien là de ressources (ici un savoir plus ou moins utile, là une technique indispensable en géométrie). Ces caricatures ont pu faire des ravages, y compris dans leur exportation vers des pays émergents, et offrir aux détracteurs une occasion en or de jeter le bébé avec l’eau du bain. (...) Une compétence implique un contexte, ni trop étroit, ni trop large. La capacité de transfert est un point fondamental et construire des compétences, c’est aussi apprendre à opérer des transpositions, des réinvestissements, sans pour autant penser que c’est aussi aisé que cela en a l’air. Raisonner dans l’écriture d’un récit et raisonner pour résoudre un problème de mathématiques sont loin de coexister facilement et de renvoyer l’un à l’autre. Un des points essentiels est aussi de définir le niveau d’exigence, ce qui nous rend méfiant vis-à-vis de la notion d’« acquisition ». Dans le domaine scolaire, le terme de « validation » parait plus pertinent. Certes, des compétences relativement basiques peuvent être dites à un moment donné « acquises » : ainsi, savoir lire, écrire, compter. À condition d’en rester à un niveau d’exigence assez limité. Mais par exemple si on fait entrer des critères de rapidité (lire, mais à quel rythme?), on peut déjà délimiter des niveaux d’exigence différents. Bien sûr, il y a toujours une part d’arbitraire lorsqu’il faut trancher : valide-t-on ou non ? C’est une situation qu’on retrouve dans la vie et qui relève en partie du professionnalisme des enseignants qu’aucune grille de critères (aussi indispensable soit-elle) ne remplacera.
Motivation (Yves Khordoc, professeur des écoles et formateur en Belgique, extraits issus des Cahiers pédagogiques, hors série numérique n°55, octobre 2020 : Petit dictionnaire des mots de l'éducation) :
La motivation joue un rôle prépondérant à l’école. En effet, pour qu’un élève apprenne, il doit être motivé. Rolland Viau définit la motivation comme étant un phénomène qui voit un élève choisir « de s’engager à accomplir l’activité pédagogique qu’on lui propose et de persévérer dans son accomplissement, et ce, dans le but d’apprendre ». Ainsi, pour qu’un élève apprenne, il doit être motivé et s’engager dans la tâche.
(...) Pour Rolland Viau, la motivation prend sa source dans ce que l’élève perçoit de la valeur à accomplir la tâche et de sa compétence à l’accomplir (espérance de réussite). Il y ajoute une troisième composante : la perception de contrôlabilité sur le déroulement de la tâche. Ces trois principales sources dépendent, elles- mêmes, de plusieurs facteurs d’engagement. D’une part, des facteurs individuels, comme l’estime de soi, les connaissances préalables, la dynamique identitaire, les buts poursuivis, et d’autre part, de facteurs situationnels propres au climat de groupe, des interactions sociales, des pratiques pédagogiques.
La théorie de l’autodétermination est développée par Edward Deci et Richard Ryan, qui supposent que tous les êtres humains requièrent trois besoins psychologiques : se sentir compétent, autonome et en relation avec les autres. Dans le contexte scolaire, un élève s’engagera s’il répond à ces trois besoins. Le besoin de compétence se réfère à l’efficacité dans la tâche : les élèves doivent comprendre comment atteindre les résultats, tout en étant efficaces et en évitant les conséquences négatives. Un élève satisfera son besoin d’autonomie s’il se sent auteur de ses actions et de ses choix. Il agit de façon autodéterminée. Le besoin d’affiliation correspond pour l’élève au besoin de se sentir appartenir à un groupe et d’être en relation avec les autres. D’autres spécialistes de la motivation mettent en évidence trois éléments contextuels qui viennent soutenir ces besoins en contexte scolaire. Tout d’abord, la structure de la classe comprend toutes les informations relatives à la réalisation de la tâche. L’enseignant informe clairement ses élèves sur ses attentes et leur fournit l’aide nécessaire pour accomplir la tâche. D’où l’importance du feedback qui permet d’identifier clairement les forces et les faiblesses de chacun, et des suggestions pour atteindre les attendus. Ensuite, l’enseignant soutient l’autonomie en donnant à ses élèves une certaine liberté. Enfin, il implique ses élèves dans les interactions sociales. (...) Cette théorie est particulièrement intéressante puisque Deci et Ryan proposent plusieurs types de motivation, allant de l’amotivation (la perte de toute forme de motivation) à la motivation intrinsèque en les plaçant sur un continuum. Entre les deux, ils distinguent plusieurs formes de motivations extrinsèques. Cela permet ainsi d’élargir la simple vision réductrice de la motivation qui considère qu’on est ou non motivé. L’amotivation correspond à l’absence complète de motivation. L’élève ne connait pas la raison qui le pousse à s’engager dans la tâche. (...) Un individu est motivé de manière extrinsèque quand il agit en fonction d’une conséquence qui lui est extérieure. (...) Deci et Ryan identifient quatre types de motivation extrinsèque. La première, la régulation externe, engendre une motivation comme une récompense ou l’évitement d’une punition. C’est ce type de motivation qui pousse les élèves à obtenir de bonnes notes. Le deuxième type, la régulation introjectée, intervient quand l’individu intériorise son comportement, notamment en évitant une conséquence négative qu’il s’im- pose en se culpabilisant. Dans ce cas, l’élève agit pour ne pas se sentir mal face à la réaction négative de ses parents ou de son enseignant. La régulation identifiée intervient quand l’individu considère ses actions ou ses comportements comme importants. L’élève trouve que le cours enseigné peut l’aider. Enfin, le dernier type de la motivation extrinsèque intégrée engendre une régulation des comportements en concordance avec l’individu. L’élève participe à un cours car il com- prend son importance. Enfin, la motivation intrinsèque correspond au plaisir et à la satisfaction en soi de réaliser une activité, sans attente de récompense externe. Elle représente la forme de motivation la plus autodéterminée. L’élève s’engage dans ce cas pleinement pour sa satisfaction personnelle. (...) La motivation n’est donc pas simple, notamment dans le contexte scolaire. Elle ne peut se résumer par « cet élève n’est pas motivé ! ». Elle dépend des représentations motivationnelles de l’élève (la valeur de la tâche et son espérance de réussite) qui résultent d’une interaction entre les facteurs individuels (l’estime de soi, le type de buts poursuivis, ses connaissances préalables) et situationnels (le climat de classe, les pratiques pédagogiques, la tâche proposée, les interactions sociales). Ces différents paramètres ne sont donc pas toujours contrôlables. Il est difficile de motiver le travail d’un élève qui n’aurait aucune confiance en lui ou qui serait dans une spirale de l’échec. L’enseignant peut, en revanche, réfléchir aux différents facteurs qui permettent d’engendrer de la motivation intrinsèque. Il peut favoriser un apprentissage signifiant pour l’élève, en proposant des tâches qui lui font sens. Il lui donne régulièrement un feedback pour lui permettre de progresser de manière autonome. Des évaluations critériées, en lien avec les apprentissages et les objectifs annoncés, sont promues plutôt que des évaluations normatives qui visent une compétition. L’enseignant peut également favoriser les interactions coopératives afin de promouvoir les liens sociaux entre les élèves de la classe, favorisant ainsi le climat du groupe. Enfin, l’enseignant peut rendre l’élève véritablement acteur et auteur de ses apprentissages.
Coopération entre élèves (Sylvain Connac, enseignant chercheur en sciences de l’éducation à l’université Paul-Valéry-Lirdef , extraits issus des Cahiers pédagogiques, hors série numérique n°55, octobre 2020 : Petit dictionnaire des mots de l'éducation) :
Dans le monde du vivant, est coopératif ce qui répond à ces trois caractéristiques : une action combinée, une intention et des bénéfices réciproques. La coopération a pour contraire l’individualisme (ou l’égoïsme), en tant que refus de toute forme de coopération. (...) La compétition correspond à un type de coopération parce qu’elle répond aux trois caractéristiques et se poursuit lors des situations avec un entraineur, au sein de son équipe d’entrainement et même lors d’une confrontation directe, par échanges et apprentissages mutuels. Mais la particularité supplémentaire d’un agir compétitif est d’empêcher l’autre d’atteindre le but que l’on se fixe conjointement. Une collaboration se traduit généralement par une division partielle du travail, à la différence d’une coopération qui implique une action simultanée. Il y a donc moins de différences entre coopération et compétition qu’entre coopération et collaboration, surtout en pédagogie : en effet, si les élèves se répartissent les tâches, cela se traduit souvent par une division inégale, voyant les plus avancés réaliser les activités les plus mobilisatrices et les plus éloignées de la culture scolaire effectuer des tâches subalternes. À l’école, la coopération entre élèves (ou les pédagogies coopératives) regroupe l’ensemble des situations où des élèves sont amenés à apprendre ou produire à plusieurs. Ils agissent ensemble, exercent de la générosité et créent du désir. Ces pratiques de coopération entre élèves se déclinent en des situations centrées sur les apprentissages (l’aide, l’entraide, le tutorat, le travail en groupe, le travail en équipe ou en atelier) et d’autres centrées sur l’entretien du collectif (les conseils coopératifs, les jeux coopératifs, les marchés de connaissances, les discussions à visées démocratique et philosophique...). Chaque dispositif de coopération entre élèves sert des objectifs précis. Par exemple, l’aide, l’entraide et le tutorat se présentent comme des soutiens possibles aux situations de blocage des élèves. Le travail en groupe vise en priorité la construction de questionnements, en prévision d’une phase de transmission de savoirs (pour que les élèves les perçoivent comme des réponses aux questions qu’ils sont en train de se poser). Le travail en équipe est plutôt orienté vers la recherche des élèves dans un contexte de mise en projet: en coopérant avec d’autres, ils peuvent ainsi remobiliser des acquis scolaires et développer de nouvelles compétences plus transversales. (...) Les organisations coopératives du travail des élèves sont intéressantes pour trois raisons : elles répondent aux exigences de la prise en compte de la diversité des élèves (notamment, parce que l’enseignant n’est pas la seule personne ressource dans la classe), elles favorisent le développement d’habiletés prosociales (par exemple, savoir travailler avec d’autres ou gérer ses émotions dans la relation à d’autres) et elles éduquent aux valeurs relatives à la fraternité, en particulier celles liées aux gestes altruistes (par exemple, accepter de donner une aide sans attente de contrepartie ou réduire une partie de ses libertés pour laisser de la place aux personnes avec qui l’on vit). (...) La principale vigilance dans l’organisation d’une pédagogie de la coopération est d’éviter d’en faire un accélérateur d’inégalités. Cela se produit à plusieurs occasions : lorsque la coopération génère trop de para- sites à la concentration (bruit, déplacements...), lorsque ce ne sont que les meilleurs élèves qui aident ou lorsqu’elle s’exerce par une répartition étanche des rôles, confiant souvent aux élèves les plus éloignés de la culture scolaire des tâches subalternes (découper, colorier sans réfléchir...). Ce problème se produit sur- tout avec la collaboration qui voit les élèves se spécialiser dans les activités pour lesquelles ils sont les plus compétents. Autant cette collaboration peut s’en- tendre dans un contexte d’organisation du travail (pour une production ou la réalisation d’un projet), autant elle est risquée dès lors que l’on vise des apprentis- sages. En effet, l’acte d’apprendre ne dépend pas de l’activité des personnes proches (il ne suffit pas d’être à côté de quelqu’un qui sait pour apprendre), il est d’abord la conséquence d’un investissement intellectuel personnel. La coopération peut également se montrer délicate lorsque les élèves accordent plus d’importance à la coopération qu’à ce qui doit être appris. Cela varie selon les systèmes éducatifs, mais, en France, coopérer est plus entendu comme un moyen qui aiderait à mieux apprendre individuellement. Autrement dit, avec la coopération à l’école, l’objectif n’est pas que les élèves apprennent à coopérer, mais qu’ils apprennent mieux par la coopération. Le développement d’habiletés coopératives est une conséquence heureuse de ces formes pédagogiques.
Savoir (Michel Fabre, professeur émérite en sciences de l’éducation et la formation à l’université de Nantes, extraits issus des Cahiers pédagogiques, hors série numérique n°55, octobre 2020 : Petit dictionnaire des mots de l'éducation) :
Pour le dictionnaire, le terme « savoir » désigne tantôt un verbe et tantôt un nom. Comme verbe, il renvoie à cinq significations liées, mais distinctes : la conscience : mesurer les enjeux, les conséquences de quelque chose (je sais ce que je fais !) ; l’information : être au courant de ceci ou de cela (je sais qu’il est venu hier) ; la connaissance ou l’expérience (je sais que Paris est la capitale de la France ; je sais m’y prendre dans cette situation) ; la capacité : pouvoir ou savoir faire quelque chose (je peux marcher, je sais conduire); le jugement, l’évaluation : savoir la valeur, le prix d’une chose, d’un acte (je sais ce qu’il en coute de lui désobéir). (...) Comme nom, « le savoir », « les savoirs » désignent l’ensemble des connaissances d’ordre pratique, scientifique ou culturel qu’un individu, un groupe, ou l’humanité toute entière possèdent. Dans les sociétés modernes, les savoirs sont répertoriés, classés, organisés en disciplines et forment une encyclopédie. (...) Les dictionnaires (on l’a vu plus haut) confondent savoirs et connaissances. On peut toutefois vouloir distinguer la forme verbale (je sais) de la forme nominale (le savoir). Le savoir est objectif. Il est déposé dans les livres et les banques de données, mais aussi dans des pratiques, des démarches, ou des procédures. Il est validé par des communautés scientifiques ou d’experts, donc reconnu comme vrai. Les connaissances sont subjectives, ce sont des représentations intellectuelles, individuelles ou collectives, spontanées ou acquises, qui peuvent être aussi bien vraies que fausses. Peut-on parler, de même, d’un faux savoir? Avant Copernic, dans tous les livres savants, le Soleil tournait autour de la Terre. Aujourd’hui, des sites prolifèrent qui prétendent démontrer que la Terre est plate ou que les espèces vivantes n’évoluent pas. Les savoirs périmés ou les savoirs alternatifs sont donc de faux savoirs au regard des savoirs sanctionnés par les institutions scientifiques. La distinction de la connaissance et du savoir peut être utile pour situer ce qui relève de la psycho- logie ou de la sociologie (les représentations du sujet qui apprend, les idéologies d’un groupe donné) et ce qui relève de l’encyclopédie (des faits et des théories reconnus comme vrais par les institutions savantes), néanmoins elle a l’inconvénient d’aller contre l’usage. (...) Une autre distinction, plus fondamentale, concerne les types du savoir. Savoir « que » renvoie à de l’information : je sais que Notre-Dame de Paris est une cathédrale gothique. Mais suis-je capable de fournir les critères de l’architecture gothique, sais-je comment distinguer une cathédrale gothique d’une cathédrale romane ? Et finalement, saurais-je dire pourquoi le style gothique en est venu à remplacer le roman, quelles sont les raisons historiques, culturelles, architecturales qui ont déterminé ce passage ? De même, savoir énumérer les organes de la digestion (savoir « que ») n’est pas la même chose que connaitre le trajet des aliments dans le corps (savoir comment) et, à fortiori, savoir les raisons ou les conditions de pos- sibilité de la nutrition: nécessité d’un tri, d’un trans- port, d’une transformation (savoir pourquoi)? Il est certes plus facile de donner des informations et de les évaluer que d’aider les élèves à comprendre et à expliquer. Mais si le savoir « que » est utile pour la vie, il n’a de valeur rationnelle qu’intégré à du savoir com- ment et du savoir pourquoi. (...) Les savoirs, quels qu’ils soient, n’ont de signification qu’en relation à des problèmes. Une information est la réponse à une question (comme lorsque je demande l’heure), ou alors me surprend et me pose question, comme quand on m’annonce une mauvaise nouvelle et que je ne sais comment prendre la chose. Il en est de même pour les autres degrés du savoir. Tout savoir véritable est engagé dans un questionnement, une problématisation. Il ne suffit pas d’enseigner des vérités scientifiques, disait Gaston Bachelard, pour que son enseignement soit scientifique. On peut bien savoir par ouï-dire ou par ses lectures qu’il y a des saisons (savoir que), ce qui les caractérise (savoir comment) et même qu’elles sont dues à l’inclinaison de la Terre sur son plan de rotation autour du Soleil (savoir pourquoi). (...) Toutefois, pour que ces savoirs aient un statut scientifique, il faut qu’ils s’intègrent à une problématisation. D’où un certain nombre de questions liées entre elles. Comment se fait-il qu’il y ait quatre saisons (ni plus ni moins) dans nos contrées? Que ce soit l’été dans l’hémisphère Sud quand c’est l’hiver dans l’hémisphère Nord et inversement? D’où également un certain nombre de données à prendre en compte : la Terre tourne autour du Soleil en une année, sa trajectoire n’est que très légèrement elliptique, les saisons se suivent dans un ordre précis et régulier. Bref, savoir et problème sont liés. Sans cette relation, les savoirs, quel que soit leur degré, retombent au rang de simples informations. (...)
Voilà pourquoi Gaston Bachelard tenait tant à ce que l’enseignement scientifique prenne en compte trois dimensions du savoir:
• sa dimension historique: de quel problème ce savoir est-il la solution dans l’histoire des sciences ? Par exemple, à quel problème la théorie de la gravitation de Newton vient-elle répondre?
• sa dimension instrumentale ou heuristique : quels sont les problèmes nouveaux que ce savoir est susceptible de poser, de construire et de résoudre ? Par exemple, toujours pour la gravitation, calculer des trajectoires de météorites, voire découvrir de nouvelles planètes comme Neptune par Urbain Le Verrier ; • enfin, sa dimension systématique : comment ce savoir s’intègre-t-il à un corps de savoir ? Comment la loi d’Ohm s’articule-t-elle aux équations fondamentales de l’électricité?
Sans les dimensions historique et heuristique, le savoir scolaire risque de perdre ses enjeux. Sans la dimension systématique, il reste fragmenté et peu rationnel.
Dernière distinction : on oppose souvent savoir et compétence, ou encore savoir et savoir-faire. On réduit alors le savoir à de l’information ou à de la théorie pour valoriser la pratique. Ainsi accuse-t-on l’école d’être trop « théorique ». À moins qu’au contraire, on fasse de la pratique une routine sans pensée, pour mettre en valeur, cette fois, le savoir rationnel et réfléchi. Mais rien n’est plus pratique qu’une bonne théorie pour construire et résoudre des problèmes : c’est un outil intellectuel. Et, d’un autre côté, la pratique, qu’elle soit intellectuelle ou manuelle, est dotée d’intelligence et de réflexivité. On peut surmonter ce dualisme en interprétant la compétence comme un « s’y connaitre », une expertise. S’y connaitre en mathématiques, en philosophie comme en plomberie, c’est pouvoir mobiliser à bon escient tout un ensemble d’informations, de méthodes, de pratiques, voire de routines, pour traiter des problèmes. (...) Le danger du savoir scolaire n’est pas d’être trop théorique, mais de n’être ni théorique ni pratique. Jean-Pierre Astolfi dénonçait ces savoirs « Canada Dry », réduits à de l’information ou à des routines, sans relation à des problèmes; des savoirs sans enjeux ni portée hors de la classe, bref des savoirs « scolaires », au sens péjoratif du terme. Il préconisait au contraire des savoirs prenant en compte les trois dimensions historique, heuristique et systématique énoncées par Bachelard, afin que l’élève puisse s’y connaitre vrai- ment, dans les disciplines enseignées.
Évaluation (Richard Étienne, professeur émérite en sciences de l’éducation et de la formation à l’université Paul-Valéry-Lirdef, extraits issus des Cahiers pédagogiques, hors série numérique n°55, octobre 2020 : Petit dictionnaire des mots de l'éducation) :
L’évaluation est une opération de la vie courante qui consiste à prononcer un jugement sur un écart (ou sur une absence d’écart) entre un idéal et un constat sur un objet ou un produit immatériel. Ainsi, un bon repas ou un mauvais film dépend de l’attente qu’on avait et du résultat qu’on a obtenu. Toutes les personnes ne jugent pas de la même manière. Dans le domaine scolaire, le but est de diminuer l’écart entre l’idéal (ce à quoi on se rapporte pour évaluer, la norme, les critères de jugement), et le réalisé (ce que l’élève a produit pour traiter la consigne : copie, performance orale, physique, objet, œuvre, réparation d’un objet défectueux ou en panne, etc.). Dans l’évaluation qui est alors instituée, et plus seulement spontanée ou implicite, le but est de communiquer sur la performance idéale et celle réalisée par l’élève ainsi que sur l’écart entre les deux avec les indications pour le réduire, voire le supprimer. Pour ce faire, on dispose de plusieurs moyens de codage classés ici par ordre de fréquence : la note chiffrée (0 à 10 ou à 20 en France, ce peut être des pourcentages ailleurs), l’appréciation (des commentaires oraux ou écrits libres), des lettres (A, B, C, D et E), des symboles connus des personnes concernées (feux vert, orange et rouge, smileys) et des grilles d’évaluation qui sont utilisées pour la validation des compétences et peuvent devenir de véritables « usines à cases » si on n’y prend garde. On peut combiner ces codes ou n’en utiliser qu’un. Comme dans toute communication, ce codage présente des avantages et des inconvénients que chaque enseignant tente de combiner au mieux, même si et parce qu’aucun n’est parfait. Il y a un autre versant de l’évaluation, plus certificatif et moins prisé des enseignants, celui des examens et concours qui requièrent le recours à des nombres décimaux avec une conséquence en termes de moyenne ou de classement. (...) Le principal problème vient de cette double utilisation de l’évaluation scolaire qui sert à faire apprendre et à certifier : comment faire pour qu’elle soit juste (en termes de justice et d’exactitude) et encourage les personnes qui apprennent à identifier les progrès faits et ceux qui sont à faire? (...) On a repéré plusieurs formes d’évaluation selon son moment et son objectif:
• l’évaluation certificative, parfois improprement appelée sommative (qui existe bien mais peut aussi se pratiquer à la fin ou au début d’une séquence, d’un trimestre, d’un niveau ou d’un cycle). Jules Ferry, en créant le certificat de fin d’études primaires, a introduit la note chiffrée, qui seule permet de décider si c’est réussi ou pas pour un examen ou si on est admis pour un concours. Mais il a précisé dans une circulaire les dangers du recours exclusif à ce moyen de communication lors de l’enseignement. Additionnée aux autres, éventuellement coefficientée, puis divisée pour obtenir une moyenne, la note permet d’attribuer des mentions et d’effectuer des classements;
• l’évaluation formative, destinée, selon Michael Scriven, à informer l’enseignant sur le niveau de son ou de ses élèves afin de décider d’opérations correctrices. Georgette Nunziati a proposé une évaluation formatrice dans laquelle l’élève apprendrait à construire les critères d’évaluation et à les utiliser pour aboutir à l’autoévaluation, qui est la marque de l’autonomie visée en principe par la démarche d’éducation. Britt-Mari Barth a d’ailleurs confirmé l’intérêt de cette approche pour l’engagement de l’élève dans ses apprentissages. Aujourd’hui, on va aussi parler d’évaluation positive, d’évaluation descriptive, d’évaluation dynamique ou d’évaluation informante, afin de diminuer les effets négatifs d’un jugement signifié de manière trop abrupte. (...) Bien des tentatives pédagogiques ont été mises en œuvre pour échapper aux pièges tendus par l’évaluation dont les classes sans notes ou l’évaluation par compétences. Il n’en reste pas moins qu’il existe une solution alternative. Elle consiste en une maitrise progressive de l’évaluation par l’apprenant et repose sur le principe de la boucle corrective proposée par André de Peretti : mise en activité, retour évaluatif consistant à identifier l’erreur, correction de l’erreur puis nouveau retour évaluatif, etc. Cela demande du temps et une séparation bien nette avec tout ce qui peut être certificatif. Tel est le chemin vers l’autonomie, but de toute éducation. Pour l’atteindre, il n’y a sans doute pas d’autre voie qu’un accompagnement tout au long d’un apprentissage qui combine le savoir et la manière dont ce savoir est évalué dans le système de formation et dans celui de certification. Le nombre et la concentration des paliers d’orientation organisent le tri social en se fondant sur des évaluations qui possèdent l’apparence d’une égalité des chances, mais concrétisent ce que François Dubet appelle des « inégalités injustes ». Le problème, c’est qu’elles polluent tout notre système éducatif, qui continue à se calquer sur ce modèle sélectif.
Autorité (Bruno Robbes, enseignant chercheur en sciences de l’éducation à l’université Ade Cergy-Pontoise, extraits issus des Cahiers pédagogiques, hors série numérique n°55, octobre 2020 : Petit dictionnaire des mots de l'éducation) :
A l’école, une situation de relation d’autorité est une situation dans laquelle un enseignant (ou tout autre personnel de l’établissement) demande à un ou des élèves d’obéir, étant entendu que l’obéissance ne se confond pas nécessairement avec la soumission. Cependant, trois conceptions de l’autorité coexistent actuellement dans les discours et les pratiques. (...)
Nous appelons autorité « autoritariste » un mode de relation par lequel le détenteur d’une fonction statu- taire, d’une position institutionnelle exerce une domination sur l’autre afin d’obtenir de lui une obéissance inconditionnelle, sous la forme d’une soumission. C’est une volonté de détenir un pouvoir indiscuté, une emprise totale dans une forme de toute-puissance. Cette relation s’impose unilatéralement, sans discussion ni explication, dans un rapport de force où la subjectivité n’est pas prise en compte. L’autorité « charismatique » (une personnalité exceptionnelle, selon Max Weber) ou autorité naturelle, en est une variante. Reposant sur la croyance que des personnes possède- raient des dons innés, des qualités naturelles hors du commun, elle vise à obtenir l’adhésion par la séduction (plaire, se faire aimer), utilisant au besoin la culpabilisation ou le chantage à l’amour qui réactivent l’angoisse d’abandon, mais sa finalité reste de maintenir l’autre dans un rapport de domination-soumission, pas d’autorisation ni d’émancipation.
Nous définissons l’autorité « évacuée » (ou transférée, car l’autorité ne peut pas ne pas s’exercer) comme la tendance à refuser l’idée même d’autorité et son exercice, au nom de son caractère prétendument illégitime et antiéducatif. Là, l’autorité est confondue avec l’exercice d’une force physique ou psychique. Chez l’enseignant, elle se traduit par l’abandon de la relation : soit il doute de sa position de transmetteur de savoirs, relativise certaines normes, rencontre des difficultés à poser limites et repères, évite les relations conflictuelles, voire l’apprentissage ; soit, au contraire, il considère que l’exercice de l’autorité ne relève pas de sa mission, par exemple le professeur qui estime qu’il doit seulement transmettre des savoirs à des élèves directement capables de les recevoir. Dans ce cas, le professeur transfère son autorité vers d’autres professionnels ou il pratique l’exclusion.
Quant à l’autorité éducative, elle n’est pas l’autorité dans la relation d’éducation en général, mais un mode de relation particulier, transitoire, articulant l’asymétrie et la symétrie entre le détenteur d’une autorité statu- taire et celui sur lequel elle s’exerce. Elle nait d’une volonté d’influencer de la part du premier et recherche la reconnaissance du second, par l’obéissance et le consentement, en visant l’engagement dans un processus d’autorisation de soi. Ajoutons l’intéressante notion d’autorité didactique qui crée les conditions de réelles situations d’apprentissage, en suscitant « l’engagement volontaire de l’élève sans occulter les conditions didactiques nécessaires à l’appropriation des connaissances » (Alain Marchive). Ainsi, des modalités de présentation des contenus de savoir font autorité lorsqu’elles permettent à l’élève de s’approprier la tâche préparée par l’enseignant. (...) En fait, ni l’autorité « autoritariste », ni l’autorité « évacuée » (ou transférée) ne relèvent de l’autorité. La première est abus de pouvoir, la seconde est déficit d’exercice d’autorité. (...) L'autorité éducative va consister à créer et prendre soin du lien à l’élève, à le maintenir quoi qu’il arrive, même si c’est difficile avec certains et que, dans la pratique, les enseignants oscillent aussi entre autoritarisme et non-intervention.
Pédagogie (Jean Houssaye, professeur honoraire en sciences de l’éducation et de la formation àl’université de Rouen, extraits issus des Cahiers pédagogiques, hors série numérique n°55, octobre 2020 : Petit dictionnaire des mots de l'éducation) :
Un savoir pédagogique nait à l’articulation de la théorie et de la pratique éducatives par l’acteur lui-même dans sa propre pratique. (...) La pédagogie n’est pas aveugle, mais elle articule dans le même mouvement actions, conceptions scientifiques de référence et convictions. Prenons quelques exemples au fil des siècles : la maïeutique de Socrate (pédagogue) n’est pas du même ordre que le livre 7 de La République de Platon (philosophe). Les Lettres de Stans de Johann Heinrich Pestalozzi (pédagogue, 1799) ne sont pas du même ordre qu’Émile, ou De l’éducation de Jean-Jacques Rousseau (philosophe, 1762). L’imprimerie à l’école de Célestin Freinet (pédagogue, 1927) n’est pas du même ordre que Le langage et la pensée chez l’enfant de Jean Piaget (psychologue, 1923). Qui c’est l’conseil? de Fernand Oury (pédagogue, 1979) n’est pas du même ordre que La reproduction : Éléments d’une théorie du système d’enseignement de Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron (sociologues, 1970). Les deux types de savoirs, savoirs pédagogiques pour les premiers, savoirs sur l’éducation pour les seconds, sont respectables, mais ils ne sont pas identiques et ils n’ont pas la même origine ni la même fonction. D’où l’impossibilité, en termes de respect des statuts des savoirs, de réduire les uns aux autres, que ce soit dans un sens ou dans un autre. (...) le pédagogue est avant tout un praticien théoricien de l’action éducative. Le pédagogue est celui qui cherche à conjoindre la théorie et la pratique à partir de sa propre action. C’est dans cette production spécifique du rapport entre théorie et pratique en éducation que s’origine, se crée, s’invente et se renouvèle la pédagogie. Par définition, le pédagogue ne peut être ni un pur et simple praticien, ni un pur et simple théoricien. Il est entre les deux, il est cet entredeux. Le lien doit être à la fois permanent et irréductible. Car le fossé entre la théorie et la pratique ne peut que subsister. C’est cette béance qui permet la production pédagogique. En conséquence, le praticien en lui-même n’est pas un pédagogue, il est le plus souvent un utilisateur plus ou moins conscient d’éléments, de cohérences ou de systèmes pédagogiques. Mais le théoricien de l’éducation comme tel n’est pas non plus un pédagogue, car penser l’acte pédagogique ne suffit pas. Seul sera considéré comme pédagogue celui qui fera surgir un plus dans et par l’articulation entre théorie et pratique en éducation. Tel est le chaudron de la fabrication pédagogique. Ce qui doit rester en pédagogie, c’est certes une proposition pratique, mais en même temps une théorie de la situation éducative référée à cette pratique, soit une théorie de la situation pédagogique. (...) Les sciences de l’éducation sont utiles et nécessaires à la démarche pédagogique : cette dernière se doit de tenir compte des approches philosophiques de l’éducation (les convictions), tout autant que des savoirs scientifiques sur l’éducation (les conceptions). Pour autant, ni les unes ni les autres ne peuvent prétendre définir et régenter les actions pédagogiques. À l’inverse, la pédagogie peut très bien devenir un objet d’observation et de recherche pour la philosophie et les sciences de l’éducation, mais cet objet ne peut se dissoudre dans leurs approches. (...) La pédagogie est une théorie-pratique qui a pour fonction d’orienter et de réguler la pratique. Entre art et science, la pédagogie se construit et se développe dans un espace intermédiaire qui a un statut particulier, spécifique et original de réflexion sur l’éducation.
Didactique des disciplines (Michel Develay, professeur honoraire en sciences de l’éducation et de la formation à l’université de Lyon II, extraits issus des Cahiers pédagogiques, hors série numérique n°55, octobre 2020 : Petit dictionnaire des mots de l'éducation) :
En France, la didactique des disciplines est apparue pour la première fois, presque simultanément en mathématiques et en sciences, dans les années 1970-1975. (...) La didactique des mathématiques conduira ainsi à faire travailler ensemble des mathématiciens, des psychologues, des sociologues et des linguistes. Ce champ de recherches s’institutionnalisera avec la création au sein des universités d’Instituts de recherche sur l’enseignement des mathématiques (les IREM créés en 1968), l’existence d’enseignements doctoraux (les premiers en 1975), d’un séminaire national (1978), et d’une revue nationale en 1980. (...) Les évènements de 1968 ont développé une plus grande vigilance à la prise en compte de la pensée de l’élève et Jean Piaget constitue une référence scientifique forte. (...) Cette installation en domaines de recherche universitaire a été amplifiée par l’existence, à partir de 1990, de nouveaux centres de formation des enseignants, les IUFM (institut universitaire de formation des maitres). Pour les formateurs de ces centres, la didactique a constitué la figure tutélaire à laquelle se raccrocher. À l’origine professeurs d’une discipline, les enseignants en IUFM deviennent formateurs, et enfin didacticiens. (...) Par la suite, ont vu le jour une didactique du français, une autre des arts plastiques, des langues étrangères, des sciences humaines, de l’EPS, etc. Soutenances de thèses, création de postes universitaires, existence de revues, de colloques, de séminaires, depuis 1990-1995, ont permis de formaliser et institutionnaliser ces didactiques. Elles constituent maintenant un domaine de recherche, d’action et de formation bien identifié en France. Elles se centrent sur les processus d’enseigne- ment, d’apprentissage et de formation non pas en général, mais au sein d’une discipline donnée. Elles font ainsi l’hypothèse que la nature d’une discipline détermine les conditions de réussite des apprentissages ou de la formation qui lui sont liées. Ainsi le didacticien des mathématiques conjecture que si un élève est plus à l’aise dans l’apprentissage de cette discipline que dans l’apprentissage de sa langue maternelle ou de l’EPS, c’est parce qu’il entretient un rapport de plus grande proximité avec les maths qu’avec sa langue maternelle ou l’EPS. (...) Les didactiques des disciplines répondent à la question du sens posée par les élèves en mettant l’accent sur le plan pédagogique sur les situations problèmes, les représentations des élèves et, au-delà, à l’épistémologie des savoirs, donc à leur structure, à leur histoire et à l’idée d’obstacle épistémologique. On pourrait compléter ces démarches en référence à Alain Touraine pour qui le sens est dans une ambition démocratique attentive à l’accès à la raison, à la valeur de l’histoire et à la recherche de la liberté. Dès lors, le sens est tout à la fois dans l’aventure du savoir en en découvrant le passé, et dans sa fonction actuelle en s’intéressant aux débats démocratiques qu’il peut éclairer, et, plus largement, à la notion de vérité qui l’affecte. (...) Les élèves entretiennent une certaine liaison, un certain commerce avec le savoir. On parle de rapport au savoir comme on parle de rapport amoureux. Ce rapprochement n’est du reste pas totalement fortuit. Sigmund Freud n’a-t-il pas écrit qu’« apprendre, c’est investir du désir dans un objet de savoir » ? Il n’y a pas d’apprentissage scolaire sans désir d’apprendre, sans chercher à vivre avec le savoir et ce que représente son acquisition, une liaison de plaisir, une liaison de nature érotique. Bernard Charlot écrit à ce propos que ce qui s’exprime dans le rapport au savoir, c’est l’identité même de l’individu constituée par une « constellation de repères, de pratiques, de mobiles et de buts engagés dans le temps ». (...) Des interrogations métaphysiques aussi puissantes que celles d’infini, d’idéal de la pensée, de réel, de hasard et leurs corolaires, l’ordre, la comparaison, la mesure, l’espace, le temps sont sous-jacentes à un enseignement des mathématiques dès l’école primaire. Alors, enseigner des mathématiques, c’est plus que chercher à calculer, à démêler des équations, à démontrer, plus même que résoudre des problèmes. C’est s’intéresser à ces questionnements qui viennent de la nuit des temps. On pourrait reprendre chaque discipline, montrer comment ces interrogations fondamentales les traversent et permettent d’approcher de grandes interrogations philosophiques à dimension universelle. Les didactiques des disciplines nous apparaissent dès lors comme une approche épistémologico-ontolo- gico-anthropologique des questions tout à la fois de transmission de contenus et de pratiques mais aussi de formation, pour une discipline donnée.
Personnalisation (Sylvain Connac, enseignant chercheur en sciences de l’éducation à l’université Paul-Valéry-Lirdef, extraits issus des Cahiers pédagogiques, hors série numérique n°55, octobre 2020 : Petit dictionnaire des mots de l'éducation) :
Personnaliser des enseignements, c’est cher- cher à prendre en compte la diversité des élèves en articulant l’individu avec le groupe. Personnaliser des apprentissages, c’est organiser un équilibre dans le travail des élèves entre des activités communes à la classe et d’autres propres à chacun. Cela renvoie à la difficile tension éducative entre l’individu et le collectif, auxquels les dispositifs de personnalisation proposent d’apporter des éléments de réponse. (...) Les pratiques pédagogiques de personnalisation s’inscrivent dans la grande variété de la différenciation pédagogique. À ce titre, elles visent deux objectifs: faire progresser le niveau scolaire des élèves et lutter contre l’augmentation des inégalités sociales par l’école. Elles se distinguent de l’adaptation, qui consiste à se mettre au niveau des élèves (avec le risque de trop simplifier les consignes et de réduire les exigences), de la diversification, qui se traduit par une variation tous azimuts des modalités de travail (au risque de créer un zapping ou un picorage pédagogiques, peu cohérents avec le suivi que réclament des apprentis- sages) et de l’individualisation qui correspond à l’adaptation de l’enseignement au profil individuel de chacun (au risque d’isoler encore plus les plus fragiles dans leurs difficultés). (...) Pour distinguer individualisation de personnalisation, il est utile de faire un détour par la philosophie. Pour la plupart des auteurs, une personne n’est pas un individu. L’individu se définit comme un être insécable, indivisible, celui qui fait un. La notion de personne est autre. Le mot persona chez les Romains désigne un masque, utilisé au théâtre pour investir un personnage et servir de porte-voix. En conséquence, bien plus que l’individu, la personne est tournée vers les autres, englobe son propre environnement relationnel. Louis Not décrit bien cette distinction : alors que l’individu est le « je », la personne est le « je + nous ». (...)
En pédagogie, individualiser, c’est donner à chaque élève un travail qui lui correspond. Ces approches ont été beaucoup développées par des pédagogues du début du XXe siècle comme Maria Montessori, Helen Parkhurst ou encore Carleton Washburne. Utilisées exclusivement, elles conduisent les élèves à de l’isolement et les privent de développer des habiletés sociales.
Les formes de personnalisation sont le fruit du travail d’autres pédagogues, comme Célestin Freinet, Mosséï Pistrak, Barthélémy Profit ou Fernand Oury. Ils ont eux-mêmes été inspirés par les pédagogues de l’individualisation, mais ont souhaité attribuer une place importante à la dimension sociale dans l’apprentissage. Ainsi, dans une classe, personnaliser, c’est alterner des moments de travail collectif avec des situations de travail personnel, où les élèves effectuent des tâches qui leur parlent, avec la liberté de coopérer avec des camarades.
De manière plus fine, une pédagogie personnalisante s’articule autour de trois piliers, permettant à chacun de construire un équilibre singulier:
• le pilier du collectif : des situations d’enseigne- ment-apprentissages conduites par un enseignant à partir des logiques socioconstructivistes : expression des représentations spontanées, exploration individuelle d’une situation problème, conflit sociocognitif par du travail en groupe, confrontations collectives, structuration par l’enseignant, systématisation (entrainement) ;
• le pilier du travail individualisé: des activités ajustées et progressives, à partir de supports d’entraînements autocorrectifs (papiers ou numériques), per- mettant aux élèves de progresser suivants des parcours propres à chacun;
• le pilier de la coopération : une organisation rigoureuse de l’aide, l’entraide, le tutorat et le travail en groupe et en équipe, pour que les élèves qui maitrisent des compétences deviennent des personnes ressources dans la classe, pour que ceux qui rencontrent une difficulté ne se retrouvent pas seuls et bloqués, pour que les interactions permettent une évolution majorante des conceptions, pour que l’enseignant ne soit plus seul dans la délicate entreprise de l’accompagnement des apprentissages.
(...) Les pratiques de personnalisation ne sont pas évidentes, parce qu’elles se heurtent à plusieurs freins. Le premier est l’acceptation des postures de retrait dans la classe, autorisant une part d’autonomie et de responsabilité aux élèves et, de fait, interdisant le contrôle systématique de leur activité. Dans une classe personnalisée, l’enseignant n’est plus seulement un animateur du groupe, il s’efforce d’être un organisateur et un accompagnateur du travail d’apprentissage de chacun. C’est parce que les élèves ne sont plus sur- veillés en permanence qu’ils vont être amenés à se prendre en main et à solliciter des camarades pour essayer d’être plus efficaces. (...) Le deuxième concerne l’obligatoire recours à du matérialisme pédagogique, afin que les élèves en autonomie puissent disposer de ressources orientant leurs activités. Ces supports (matériel, fiches autocorrectives, évaluations, applications) peuvent très difficilement être fabriqués par chaque enseignant, et les sites inter- net qui en proposent ne sont pas tous fiables et cohérents. (...) Le troisième soulève l’importance de la formation personnelle des enseignants, notamment pour piloter une structure d’enseignement qui coïncide avec la diversité des formes d’apprentissage des élèves. Cette formation semble particulièrement importante pour bâtir les temps collectifs (afin qu’ils favorisent la compréhension de nouvelles notions) et pour organiser la coopération (afin qu’elle ne devienne pas principalement bénéfique pour les élèves solides scolairement). Enfin, les pédagogies personnalisantes se confrontent à cinq familles d’épreuves que rencontrent les enseignants dans leurs expériences professionnelles : le réel (entre la frustration de ne pas être à la hauteur de ses idéaux et le respect des normes attendues), la démocratisation (les progrès de tous les élèves), l’intégration (la reconnaissance professionnelle), les choix (peser le pour et le contre, s’ajuster et décider) et l’épreuve de soi (réinterpréter son ou ses rôles en fonction de ses repères, de son histoire et de son projet identitaire). (...) les approches personnalisées en pédagogie demandent aux enseignants des efforts supplémentaires vis-à-vis de soi (parce qu’on n’a pas soi-même vécu de telles pédagogies), des élèves (par souci de justice), de leurs parents (pour une nécessaire reconnaissance) et des autres enseignants (par besoin d’appartenance à un groupe).
Débat, discussion (Michel Tozzi, professeur honoraire en sciences de l’éducation, extraits issus des Cahiers pédagogiques, hors série numérique n°55, octobre 2020 : Petit dictionnaire des mots de l'éducation) :
Le débat consiste en un échange interactif entre élèves, le plus souvent animé dans le groupe classe par le maitre (ou par un élève en petit groupe ou en conseil coopératif). C’est une des modalités de l’apprentissage, utile dans un panel de méthodes pour construire une séquence. Elle peut se pratiquer en petits groupes ou en séance plénière. Nous préférons personnellement le terme discussion, car il n’y a pas dans le mot « bat(tre) ». En effet l’autre est pour nous, dans une perspective coopérative, un partenaire avec lequel on cherche avec, plutôt qu’un adversaire contre lequel on lutte. Dans cet esprit, la discussion engage une « éthique discussionnelle » (Jürgen Habermas) : respect de la parole et de la per- sonne de l’autre qui ne pense pas comme moi, mais peut au contraire m’aider dans ma pensée.
Mais c’est le mot débat le plus fréquemment employé dans les programmes. C’est un mode d’enseignement moderne, tranchant avec le primat du cours magistral, inspiré par les pédagogies actives de l’éducation nouvelle (cf. Célestin Freinet), mais aussi par les recherches didactiques disciplinaires sur les conditions et modalités psychosociales d’apprentissage, en particulier sur le conflit sociocogitif (cf. École piagétienne genevoise). La discussion à visée philosophique s’est par exemple développée à l’école primaire comme innovation depuis 2000 et s’étend peu à peu.
Elle peut porter, suivant les différentes disciplines, sur l’approfondissement d’un thème ou d’une question (par exemple, les questions socialement vives en sciences économiques et sociales ou en sciences de la vie et de la Terre, l’atelier philo), l’interprétation d’un texte (débat interprétatif en français), l’acquisition d’une notion, la résolution d’un problème (débat mathématique, cf. Marc Legrand ; débat scientifique, cf. Christian Orange ; démarche de La main à la pâte), etc. Chaque discipline a didactisé la spécificité du débat qu’elle préconise comme démarche d’apprentissage (objectifs et méthode). Il y a donc à l’école différentes formes possibles de débats disciplinaires (par exemple, mathématique, scientifique, à visée philosophique, interprétatif en français, à partir de dilemmes en éducation morale et civique pour développer le jugement moral, etc.). Elle peut aussi porter sur une activité interdisciplinaire (philo-danse).
Il peut aussi concerner la vie de la classe (ou de l’école), pour analyser une situation, résoudre un conflit, prendre des décisions (conseil coopératif, débat citoyen)... (...) L’intérêt pédagogique d’une discussion est de développer chez les élèves, dans une posture participative et non passive (méthode active), certaines compétences disciplinaires et sociales, comme la maitrise de l’oral et l’argumentation (compétence langagière en français, compétence sociale pour intervenir en public, ou la conceptualisation, par exemple en philosophie)... La discussion permet aux élèves de faire évoluer par la confrontation leurs représentations, leur pensée (apprentissages disciplinaires), et de s’appuyer sur le collectif pour aborder les questions qui concernent la classe, l’école, la Cité (éducation à la citoyenneté). Il peut y avoir des « discussions de débroussaillage », qui permettent aux représentations spontanées des élèves d’émerger et de se confronter (intéressant au début d’une séquence), et des « discussions informées », après un cours, des études de textes, des recherches personnelles ou collectives, qui vont faire appel à des connaissances (plutôt en fin de séquence). (...) On peut apprendre en discutant, par la confrontation des idées, des méthodes, des résultats (apprentissages disciplinaires) ; on peut apprendre à discuter, compétence fondamentale dans une démocratie, où le citoyen doit investir l’espace public pour exprimer son point de vue. La discussion est généralement appréciée par nombre d’élèves, car elle leur donne la parole, les reconnait comme interlocuteurs valables, ce qui est important pour l’estime d’eux-mêmes, et facilite leur motivation à s’investir dans une activité scolaire. (...) Beaucoup d’enseignants redoutent la discussion: c’est prendre le risque insécurisant de la parole donnée aux élèves, en s’affrontant à l’inconnu de ce qui va se dire et advenir ; avec la peur de ne plus savoir comment gérer psychosociologiquement la dynamique de son groupe (« tenir sa classe »), ni comment l’animer intellectuellement. Il faut donc de la formation pour que le débat soit formateur quant aux savoirs et attitudes, « réglé et argumenté » (selon l’expression de l’EMC). Car on reproche souvent à la discussion de prendre trop de temps au détriment de la diffusion des savoirs, de s’en tenir sur le fond à des lieux communs superficiels, de renforcer des préjugés, d’accorder trop d’importance à la parole et aux représentations des élèves, de développer le relativisme, de négliger l’autorité du maitre et du savoir, de dériver par sa dynamique dans le hors-sujet. Il faut répondre à ces objections parfois fondées que la discussion permet d’apprendre, à certaines conditions sur lesquelles le maitre doit être vigilant. Car la discussion ne s’improvise pas : c’est un dispositif à penser pédagogiquement pour gérer la parole des élèves (régulation de la dynamique du groupe) et didactiquement pour organiser la confrontation de leurs pensées par des conflits sociocognitifs. Elle s’organise, pour éviter par exemple les affrontements (dérive du conflit sociocognitif formateur sur des idées en conflit socioaffectif stérile entre personnes), et permettre une progression sans dispersion (plan de discussion). Du côté des élèves, elle peut se préparer individuellement pour recueillir des informations (recherche sur internet en histoire ou biologie), ana- lyser des documents (économie), reprendre le cours et réfléchir. Elle implique des règles d’organisation (par exemple, la dévolution aux élèves de fonctions différenciées: animateur et secrétaire d’un petit groupe, et en plénière président pour distribuer la parole, reformulateur de ce qui vient d’être dit et secrétaire de séance comme mémoire collective). Et elle suppose des règles de fonctionnement (répartition démocratique de la parole par un ordre d’inscription, la priorité aux moins disants, des perches tendues aux muets, un passage par l’écrit individuel en cours de discussion). Elle suppose une vigilance intellectuelle du maitre sur les processus de pensée à l’œuvre (problématisation, conceptualisation, argumentation). Dans les disciplines scientifiques, elle doit aboutir à un moment de validation des hypothèses émises et discutées de façon à stabiliser les acquisitions. (...) la discussion en classe et à l’école est une modalité pédagogique et didactique pour permettre aux élèves de s’approprier de façon active et motivée des savoirs scolaires, de développer des compétences disciplinaires, sociales, éthiques et citoyennes, avec la condition d’une vigilance rigoureuse du maitre sur sa préparation, son organisation, son fonctionnement, la place et le rôle qu’il lui accorde dans la diversité des activités scolaires.
Esprit critique (Gérard de Vecchi, maitre de conférences honoraire à l’Inspé de Créteil, extraits issus des Cahiers pédagogiques, hors série numérique n°55, octobre 2020 : Petit dictionnaire des mots de l'éducation) :
In fine, l’esprit critique c’est: La capacité d’analyser ce qui nous entoure ? Le besoin d’analyser ce qui nous entoure ? Un ensemble de recettes pour ne pas se faire berner ? Un certain état d’esprit, une culture? On nous apprend que derrière les informations, il se cache toujours quelque chose, et quand on essaie de le savoir, à notre manière, on «nous critique! » Léo, 16 ans L’esprit critique consisterait, selon le site www.toupie.org, à « examiner (les ouvrages d’art ou d’esprit) par la critique pour en faire ressortir les qualités et les défauts » ou ce serait, selon le dictionnaire Larousse, une « attitude intellectuelle qui consiste à n’accepter pour vraie ou réelle aucune affirmation ou information sans l’examiner attentivement au moyen de la raison ». C’est ce que nous apprennent les dictionnaires. Mais, quand on a dit cela, on a tout dit et on n’a rien dit! (...) Voyons si une définition plus philosophique, celle de Christian Godin, nous éclaire davantage : « disposition et attitude intellectuelles consistant à n’admettre rien de véritable ou de réel qui n’ait été au préalable soumis à l’épreuve de la démonstration ou de la preuve ». (...) Beaucoup d’enseignants trouvent que la formation de l’esprit critique est essentielle, mais « ne savent pas comment faire ». En lisant les définitions précédentes, on les comprend aisément. Mais nous allons voir que l’on peut définir l’esprit critique autrement, par exemple par un ensemble de critères opérationnels. Tout d’abord, ne confond-on pas « critique » ou « esprit de critique » avec « esprit critique » ? Henri Poincaré a mis en évidence la différence entre « critiquer » et « avoir un esprit critique ». « Si le premier est à relativiser, puisqu’il est souvent porteur de jugements et stérilise l’idée, le second au contraire enrichit l’idée et fait incontestablement partie des compétences à faire acquérir. » Le premier est donc péjoratif. Il consiste à faire des reproches, à ne faire ressortir que les défauts. Le second, par le discours ou par l’écrit, mentionne les défauts mais aussi les qualités des choses ou des personnes. Il ne rabaisse pas, il est constructif. En le prenant en compte, il peut permettre de progresser. (...) Différents critères définissant l’esprit critique. Ils nous permettent de prendre conscience de tout ce qui peut être fait en classe, à un moment que l’on choisit ou dans la foulée, quand l’occasion se présente. L’esprit critique, une somme de capacités mais sur- tout un certain état d’esprit! Et si, dans l’enseignement comme dans la vie, on développait sans cesse l’esprit critique sans même en prononcer le nom? Et si, de nos jours, former l’esprit critique devenait aussi important qu’apprendre à lire, écrire et compter ? Et si cela dépendait de chacun de nous ?