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Cours universitaires et travaux de recherche sur les questions d'apprentissage des jeunes et des adultes, science du développement humain, sciences du travail, altérités et inclusion, ressources documentaires, coaching et livres, créativités et voyages. Philippe Clauzard : MCF retraité (Université de La Réunion), auteur, analyste du travail et didacticien - Tous les contenus de ce blog sont sous licence Creative Commons.  

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"Est-ce que la ligne me force à la suivre ? Non, mais quand je me suis résolu à m’en servir comme d’un modèle à suivre de cette façon, alors elle me contraint. Non, ce qui arrive alors est que je me contrains à l’utiliser de cette façon. Je m’accroche pour ainsi dire à elle." (Wittgenstein)

Comment le choix d'une règle peut-elle contraindre la conduite du sujet alors même que ce même sujet qui choisit en toute liberté de la suivre ?

La règle est une utilité pour suivre un modèle d'action. Elle est un choix : on peut la suivre ou non. Une fois qu'on fait le choix de la règle, d'une certaine façon, on en subit des conséquences, on doit la suivre dans ses aspects contraignants. Elle est à la fois liberté de choix et contrainte d'exercice. Il faut faire comme c'est réglé. Toutefois, cette attitude permet de se raccrocher à elle, la règle, comme nous dit Wittgenstein. La règle permet de gérer des incertitudes en se mettant sur de bonnes voies. Telles des rails (pour reprendre la notion métaphorique de Wittgenstein), les règles fixeraient définitivement la voie à prendre, indépendamment de toute pratique. Aussi peut-on penser que le sujet se prend dans un  certain piège : le sujet n’agit pas mais se contente de réagir. Peut-être à la manière d’un automate sous l’impulsion d’un mécanisme. (Par exemple, lorsque nous nous dirigeons d’après la signalisation routière, il faudrait considérer que ce sont les panneaux eux-mêmes, dotés d’une mystérieuse force intrinsèque, qui dictent notre conduite, sans aucune contribution de notre part.)

Notons que l’Homme possède la capacité de se poser à lui-même ses propres règles. Autrement dit, selon cette conception, la règle aurait son siège dans l’individu lui-même, au sein d’un énigmatique monde interne (Vincent Descombes).

Wittgenstein reprend la conception de la philosophie des lumières selon laquelle les règles ne sont pas inscrites préalablement dans la nature des choses mais portent la marque des hommes. Cependant, il va prendre en quelque sorte au mot cette pensée : les hommes sont des... hommes et non des entités surnaturelles. La philosophie subjective des règles (kantienne ou héritée de Kant) a envisagé l’autonomie du sujet sous le rapport de l’autolégislation : le sujet peut se donner à lui-même sa propre règle (indépendamment de tout contexte empirique). Cette idée, qui revient à doter un pur individu de pouvoirs surnaturels, Wittgenstein la conteste. Mais en quoi consiste précisément ce subjectivisme ? Selon ses promoteurs, entre la règle et son application s’interpose toujours l’acte d’interprétation de l’agent. Car il n’y a pas de règle en dehors de lui. L’agent ne peut obéir à une règle que s’il en comprend le sens. Puisque tous les cas particuliers de la règle ne sont pas fournis au moment de son apprentissage.

Il convient bien que le sujet apporte son interprétation personnelle, qu’il fasse comme si la règle existante était la sienne propre, comme s’il était lui-même le créateur de la règle.

Pour Wittgenstein, cette idée n’est qu’un mythe. Soit l’acte d’interprétation est intégralement conforme à la règle à suivre et l’agent n’ajoute rien à la règle : il a simplement compris le commandement qui lui a été donné. Soit il y a bien un écart entre la règle et son application, auquel cas le sujet a effectué un autre commandement, il n’a pas suivi la règle originelle.

Selon ce deuxième cas de figure est possible, peut-on déduire qu’une règle ne peut jamais être suivie ?

« Si l’agent devait s’approprier les commandements et les règles en se les traduisant à lui-même de façon à les recevoir de lui-même, il ne pourrait obéir qu’à des ordres ineffables et il ne pourrait suivre que des règles privées. Mais l’exécution d’un commandemant ineffable consiste dans une action elle-même ineffable, et le fait d’appliquer correctement une règle privée consiste dans des opérations dont la correction est elle-même privée puisqu’elle ne correspond à aucun critère susceptible d’être expliqué par d’autres. » (p. 441).

Ce n’est pas la règle qui s’applique sur l’agent (comme le ferait une force extérieure) mais l’agent qui applique la règle.

Suivre une règle, c’est donc agir de soi-même. Si nous n’agissions pas librement, on ne pourrait pas dire que nous obéissons à une règle, fait remarquer Descombes. Mais reconnaître que l’agent ne subit pas la règle ne conduit pas à penser que celle-ci se niche dans une mystérieuse entité privée. Si on admettait que l’agent ne peut suivre des règles externes qu’en les convertissant en règles internes (comme s’il les avait reçues de lui-même), il faudrait alors conclure paradoxalement que « personne n’a jamais obéi à personne, sinon à soi comme sujet. Il est impossible d’obéir. Il ne peut certes pas obéir à quelqu’un d’autre, car les commandements extérieurs lui restent extérieurs. Il ne peut pas s’obéir à lui-même en tant qu’autre, car un ordre qu’il se donnerait "en tant qu’autre" partagerait le même statut d’extériorité, ce serait de nouveau un message reçu de dehors. L’homme ne peut obéir qu’à des ordres immanants à sa sphère subjective. » (p. 440)

Par ailleurs, cette idée que l’agent doit se formuler la règle à lui-même pour se l’approprier revient à dire que c’est toujours pour la première fois qu’il suit une règle : « L’individu ne peut suivre la règle qu’en l’instituant pour lui même. Peu importe ce qui s’est fait avant lui, et peu importe aussi ce que lui-même a déjà fait des milliers de fois. » (p. 439) La règle est un acte de création perpétuelle !

Pour autant, n’est-ce pas aussi paradoxal de défendre, comme Wittgenstein, que ce n’est jamais pour la première fois qu’un individu suit une règle ? Une règle, avant de devenir une coutume, une convention, ne puise-t-elle pas sa source dans un acte individuel ? En fait, il n’y a aucun paradoxe : « Soit un nouveau venu dans le monde humain (enfant ou homme naturel) : il ne pourra suivre correctement la règle qu’après avoir été formé à le faire. Or cette formation consiste à se conformer à la règle (grâce aux messages de l’instructeur : "juste", "faux") sans savoir ce qu’on fait. Il s’ensuit que quelqu’un qui se montre capable de suivre une règle ne le fait jamais pour la première fois. S’il sait qu’il suit une règle, c’est toujours après l’avoir suivie sans être encore capable de se formuler à lui-même ce qu’il faisait. » (p. 456)

Récapitulons. Si c’est bien l’agent qui décide de suivre ou de ne pas suivre la régle, il ne lui appartient pas de décider de son sens.

Fonder la règle sur l’entendement discursif de l’agent a pour corollaires paradoxaux : 

- qu’il n’a jamais obéi à personne sinon à son « soi » 

- que c’est toujours pour la première fois qu’il suit une règle 

- l’inexistence de la règle elle-même. 

 

Comment peut-on apprendre une règle à quelqu'un qui n'a pas appris la moindre règle ?

Wittgenstein souligne de la façon suivante cet apparent paradoxe :« Quand on enseigne la manière de suivre une règle, on utilise les mots "correct" (richtig) et "faux" (falsch). le mot "correct" laisse l’élève continuer, le mot "faux l’arrête. Est-ce qu’on pourrait expliquer ces mots à l’élève en les remplaçant par : "cela s’accorde avec la règle" ? Oui, si l’élève possède déjà un concept d’accord. Mais comment le pourrait-on si ce concept reste encore à former. » (p. 455)

Un pré-requis est indispensable. Si on veut enseigner une règle à quelqu’un qui possède le langage, il est possible de le faire en s’appuyant sur des mots, des phrases, des règles déjà appris. Des philosophes interrogent : comment procéder avec quelqu’un qui ne connaît aucune langue ? 

Comment des individus, qui sont à la naissance dépourvus de tout savoir, peuvent-ils apprendre quoi que ce soit (les règles du langage, les règles du jeu, les conventions sociales, etc.) ?

Les exemples sur lesquels Wittgenstein s’appuie offrent la particularité d’être tirés de la vie ordinaire : des gens qui jouent aux échecs ou au tennis, des voyageurs qui se dirigent d’après la signalisation routière, des locuteurs qui appliquent le vocabulaire de la couleur, etc. Wittgenstein démontre, en imaginant une interaction entre un instructeur et son élève, que « le cercle que semble comporter un tel enseignement est en réalité celui du langage lui-même » (p. 456). En d’autres termes, puisque le problème est un problème interne au langage, c’est un faux problème ; il va donc s’agir, pour reprendre ce que disait Wittgenstein lui-même, moins de le résoudre que de le dissoudre. Voici donc l’exemple :

« Supposons, écrit Wittgenstein, que l’instructeur doive expliquer une règle à quelqu’un qui ne sait que le français (cf. Recherches philosophiques, & 208). Dans ce cas, l’instructeur doit lui parler français. Mais supposons que l’instructeur doive expliquer une règle quelconque à un élève qui ne sait aucune langue. Cette fois, il ne peut rien lui expliquer du tout, car l’élève ne possède pas les notions requises dès lors qu’il ne comprend pas la différence que nous faisons entre une réponse correcte et une réponse incorrecte. Dans ce dernier cas, les leçons données par l’instructeur ne consisteront pas en un enseignement proprement dit (passant par des définitions et des justifications), mais dans de purs exercices. Ce sera un enseignement par l’exemple et non par la formulation générale : mais, ajoute Wittgenstein, l’instructeur qui procédera par l’exemple et l’exercice communiquera tout autant ce que lui-même sait que s’il produisait des formulations explicites de la règle. » (p. 457)

Ce n’est donc jamais en cherchant à définir ce que veulent dire des notions comme « correct », « faux », etc. que l’instructeur apprend la règle à l’élève mais en en procédant de manière pratique, c’est à dire en lui faisant faire des exercices. Pour mettre l’élève sur la bonne voie, il doit ajuster son attitude à ses résultats : lui montrer qu’il est déçu quand il échoue, qu’il est content quand il réussit, etc. 

C’est dans la pratique que se déploie le suivi des règles (on devient forgeron en .. forgeant !) : « Ce qui se présente hors de l’individu sous la forme de modèle pré-établis et des usages institués se présente dans l’individu sous la forme des aptitudes acquises d’abord par l’apprentissage social, ensuite seulement par la formation de soi- même. » (p. 22)

Il semble bien que pour Wittgentsein (dans ses "Recherches Philosophiques"), cet apprentissage soit imitatif. On apprend en faisant ce que autrui nous montre de faire. Peut-on cela dit apprendre par le mime sans réflexion sur le sens de ce qu'on apprend et que cet apprentissage devienne une ressource durable.

Source : http://www.sociotoile.net/article108.htm

À bien des égards, la formation des nouveaux enseignants, sur le terrain des écoles, n'est pas pleinement satisfaisante. Comment les tuteurs peuvent-ils être à la fois juge et partie ? Comment étayer l'activité de l'apprenant - enseignant et en même temps le contrôler ?

Sébastien Chaliès explique que le tuteur est souvent dans la compassion, l'indulgence. Il aide dans l'immédiateté, prescrit souvent. S'agit-il pour autant d'aider à enseigner et/ou aider à apprendre à enseigner ? Le dilemme est fort.

La situation de tutorat présente une structuration « traditionnelle » : observation et entretien de conseil pédagogique -  plutôt monologue  que dialogue d'ailleurs. Pour accroitre l'efficacité de la situation de tutorat, il conviendrait de passer d'un mode traditionnel (modèle du compagnonnage) à un mode collaboratif (faire travailler ensemble plusieurs dyades – collaborer entre tuteurs). On peut aussi avoir une conception élargie de la situation de tutorat en considérant l'établissement comme lieu de tutorat (parce que d'autres acteurs peuvent contribuer à une formation plus ouverte : la CPE, l'infirmière)

L'outillage théorique de Clot est une base, avec les composantes personnelle, interpersonnelle, impersonnelle, transpersonnelle du métier. Mais il n’y a pas de genre déposé : le genre n’est-il pas un « style étalon » ? (Bertone). L’expérience, ce sont des règles de métier (Wittgenstein) qui règlent l’activité en servant de mètre étalon.

S. Chaliès fait des propositions pour la formation des tuteurs : il faudrait déjà se  mettre d'accord sur l'objet de formation des enseignants novices. Pour lui, il est de la responsabilité du tuteur d’enseigner ostensiblement les règles de métier, d'accompagner les premiers suivis des règles enseignées et l'interprétation des règles (afin d'épaissir le métier).

Du coup, d'autres questions se posent : est-ce qu'accompagner et enseigner se valent ? Que sont les règles de métier et qui les fixe ? Le collectif enseignant ou un ensemble d'experts ?

 

Les règles de métiers se définissent comme ce qu'on dit qu'il y a faire quand on est enseignant. Cela étant les élèves introduisent beaucoup imprévisibilités dans la classe et le professionnel de l'école enseigne avec ses propres convictions, priorités et arrangements pédago-didactiques. Alors si les règles du métier sont des prescriptions ou des raisons d'agir, on observe pourtant que le professionnel  redéfinit bien souvent à sa manière les règles du métier. Car l'enseignant fait vivre le métier, le réinvente en le mettant à sa mesure. Le métier est développé en même temps que l'enseignant se développe. 

L'aspect dérangeant avec la notion de règles est l'aspect normé qui pourrait figer l'agir. C'est un aspect stéréotypé que le concept de schème ne possède pas. Car par définition, un schème est une unité de l'action plastique qui vise l'adaptation. Une règle qui ne fonctionne pas ou plus n'est plus une règle. On se perd. La notion est cependant séduisante car elle rassure le débutant, on peut se raccrocher à des règles. Pour autant, sont-elles ajustables ? Enfin, qui dit règle dit une grammaire de l'action par nature normative. Peut-on négocier avec la grammaire et ses règles ? La règle ne risque-t-elle pas d'être trop applicationniste et empêchement de singularités individuelles, un manquement à la conceptualisation dans l'action, chère à Gérard Vergnaud ? Notons quoi qu'il en soit que définir un métier par des règles ou des invariants est bien pratique pour l'apprendre.

Les dilemmes :

- aider et/ou évaluer l'enseignant novice... le tuteur est souvent dans la compassion, l'indulgence...
- Aider à enseigner et/ou aider à apprendre à enseigner... le tuteur aide dans l'immédiateté, prescrit souvent.

S. Chaliès propose :

- Conseiller sur le métier n'est pas conseiller sur son métier.
- Conseiller, c'est faire apprendre le genre professionnel et accompagner le style.
- Il est de la responsabilité du tuteur d’enseigner ostensiblement les règles de métier, d'accompagner les premiers suivis des règles enseignées et l'interprétation des règles (épaissir le métier).

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