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Cours universitaires et travaux de recherche sur les questions d'apprentissage des jeunes et des adultes, science du développement humain, sciences du travail, altérités et inclusion, ressources documentaires, coaching et livres, créativités et voyages. Philippe Clauzard : MCF retraité (Université de La Réunion), auteur, analyste du travail et didacticien - Tous les contenus de ce blog sont sous licence Creative Commons.  

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Mais qu’est-ce que la mémoire ?
 
         
        Souvenirs…         Debby Hudson/Unsplash      
 
Véronique Lefebvre des Noettes, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)

La mémoire est une fonction cognitive qui nous permet de saisir, stocker, puis rappeler des informations perçues. C’est facile à comprendre. Même si le mécanisme de la trace mnésique et de sa consolidation reste du domaine de la recherche. Le chiffre 3 peut nous aider à nous souvenir de la séquence des événements liés à la mise en mémoire. Car mémoriser, c’est : 1, saisir ; 2, stocker ; 3, rappeler.

Étape numéro 1 : saisir et encoder

La première étape est donc celle de la saisie, c’est-à-dire de l’encodage des informations sensorielles. Cet encodage a quelques impératifs. Il est en effet perturbé si l’on souffre de déficits sensoriels tels que la presbyacousie – perte progressive de l’audition liée à l’âge – ou pire encore de surdité. Il l’est également en cas de troubles visuels non compensés comme la presbytie – trouble de la vision souvent associé au vieillissement – ou encore de dégénérescence maculaire liée à l’âge. Et il va sans dire que l’encodage nécessite de bonnes capacités d’attention.

La deuxième étape, qui concerne le stockage ou la consolidation de la trace mnésique, est un processus biologique. Quant à la troisième étape, on lui donne les noms de rappel libre (je me souviens spontanément de ce que j’ai appris), ou indicé (j’ai besoin d’indices pour me rappeler) de la mémoire. Ces rappels peuvent se dérouler de manière consciente, avec un effort de remémoration (fouiller dans ses souvenirs), ou inconsciente, lorsqu’ils surgissent spontanément – comme l’a magnifiquement décrit Marcel Proust au début du XXe siècle, avec la petite madeleine du narrateur d’A la recherche du temps perdu. Prenons le temps de nous arrêter sur ces écrits devenus une véritable mine d’inspiration…

« Il y avait déjà bien des années que, de Combray […] Elle envoya chercher un de ces gâteaux courts et dodus appelés petites madeleines qui semblent avoir été moulés dans la valve rainurée d’une coquille de Saint-Jacques […] Mais à l’instant même où la gorgée mêlée des miettes du gâteau toucha mon palais, je tressaillis, attentif à ce qui se passait d’extraordinaire en moi […] Un plaisir délicieux m’avait envahi, isolé, sans la notion de sa cause […] D’où avait pu me venir cette puissante joie ? Il est clair que la vérité que je cherche n’est pas en lui, mais en moi […] Je pose la tasse et me tourne vers mon esprit. C’est à lui de trouver la vérité […] La vue de la petite madeleine ne m’avait rien rappelé avant que je n’y eusse goûté […] peut-être parce que, de ces souvenirs abandonnés si longtemps hors de la mémoire, rien ne survivait, tout s’était désagrégé […] »

Ancienne, sensorielle et mouvante

Ce qui a été vécu d’une manière émouvante et sensorielle, peut, à l’occasion d’une mise en situation similaire, faire resurgir la présence d’un souvenir encore bien vivant, alors qu’on le pensait enfoui depuis longtemps. Et c’est cette mémoire ancienne et sensorielle qui fonctionne encore très bien chez les personnes souffrant de la maladie d’Alzheimer. Du reste, sans être malade, prêtez-vous à l’expérience. Réécoutez une berceuse ou une valse, appréciez le goût si particulier de tel chocolat croqué dans l’enfance, éprouvez le toucher d’une écorce ou d’une caresse, la vue d’un beau visage ou d’un coucher de soleil, l’odeur du parfum d’une grand-mère bien aimée, des sous-bois où vous alliez chercher du muguet ou des champignons…

Quand on évoque des souvenirs, force est de constater qu’ils ne sont pas toujours fidèles à la réalité du moment, mais toujours en mouvance. Que se passe-t-il dans la construction de ces petits morceaux de vie délicieuse, celle du passé ? Y a-t-il une mémoire monolithique, ou des mémoires de durées, d’intensités, de profondeurs différentes ? Que pouvons-nous en tirer d’intéressant pour ceux et celles qui souffrent de la maladie d’Alzheimer ? C’est ce que nous allons explorer.

Une ou des mémoires ?

Il n’y a pas une maisdes mémoires. Et là encore, retenons le chiffre 3. Car on recense à la fois : 1, une mémoire sensorielle ; 2, une mémoire à court terme, encore dite de travail ; et 3, une mémoire à long terme.

La mémoire sensorielle, très labile, ne dure que quelques millisecondes et constitue l’empreinte ou la trace mnésique. On la qualifie aussi de « subliminale », car elle s’inscrit dans le cerveau de manière quasi inconsciente. C’est cette mémoire que certains publicitaires sollicitent, pour nous pousser à l’achat de leurs produits… L’odeur du café, la musique associée à sa publicité, la couleur de son emballage, tout va faire signe et nous conduire presque de façon subliminale vers ledit café.

La mémoire à court terme, ou mémoire de travail, est un peu plus longue : quelques minutes. Nécessaire à notre quotidien, elle nous permet de retenir une information utile qui sera ensuite effacée comme un numéro de téléphone, une place de parking, une liste de courses, etc. Or cette mémoire est très sensible à notre capacité d’attention et de concentration, au stress et à la dépression. C’est donc la plus altérée en cas de maladie d’Alzheimer.

La mémoire à long terme, elle, résulte d’un stockage durable dans certaines zones du cerveau. On peut la subdiviser en mémoire déclarative, et non déclarative.

Déclarative, ou procédurale

La première, que l’on nomme également mémoire explicite, est consciente et verbalisable, et l’on y distingue trois sous-types.

D’abord, une mémoire dite épisodique : c’est le où, quand, et comment, j’ai fait telle chose, mémoire fondamentale à la fois en termes d’adaptation à l’environnement et de sentiment d’identité.

Ensuite, il y a la mémoire que l’on dit sémantique. Elle est très liée au niveau de scolarisation et d’éducation, c’est-à-dire à notre réserve cognitive : elle n’est pas la même selon que nous avons fait peu d’études ou au contraire fréquenté les bancs de l’université ou d’une grande école, si nous avons ou pas un métier stimulant, créatif, ou nécessitant d’entretenir constamment nos compétences, etc.

En clair, cette mémoire sémantique est tributaire du niveau socioculturel, c’est-à-dire non pas d’un statut social mais d’apprentissages cumulés tout au long de la vie : il n’y a pas d’âge limite pour apprendre !

Enfin, on compte aussi dans cette catégorie une mémoire dite autobiographique, faite de nos souvenirs personnels. In fine, la mémoire déclarative repose sur l’enregistrement de connaissances culturelles ou générales qu’un individu peut faire émerger consciemment avec la mémoire sémantique. Ainsi, le seul fait qu’un homme ait marché sur la lune peut avoir été en rapport avec notre propre vie (par exemple, c’était un moment où l’on était installé devant le poste de télévision des voisins, avec telle ou telle personne…), tout en étant stocké comme un élément du savoir universel.

La mémoire non déclarative, aussi qualifiée de procédurale ou implicite, n’est quant à elle pas accessible à la conscience. Il s’agit de souvenirs se rapportant à des associations et des savoir-faire comme lacer ses chaussures, nager, circuler à vélo, etc. Ces gestes ont été appris par leur répétition, puis stockés dans une mémoire procédurale à long terme qui ne nécessite pas de rappel conscient. Et c’est précisément sur cette mémoire, implicite, non déclarative que nous pouvons nous appuyer très longtemps chez les patients atteints de la maladie d’Alzheimer. Car elle reste très vivace, de même que les souvenirs les plus anciens de l’enfance.

Le mémoire ne « s’use » que si l’on s’en sert pas, il faut donc la faire travailler, tout en se faisant plaisir, et les occasions sont nombreuses ! Sa stimulation est aussi une voie qui porte ses fruits pour retarder la maladie d’Alzheimer et gagner des années d’une meilleure vie.The Conversation

Véronique Lefebvre des Noettes, Psychiatre du sujet âgé, chercheur associé au Laboratoire interdisciplinaire d'étude du politique Hannah Arendt, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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