ACTU : À la recherche d'une meilleure école ? Regards sur un tour du monde des pédagogies
Les voyages forment la jeunesse, dit-on. La popularité de programmes d’échanges universitaires comme Erasmus ne dément pas cette idée. Et si voir de nouveaux horizons aidait aussi à mieux enseigner ? Certains acteurs de l’éducation n’hésitent pas en tout cas à se lancer dans de véritables périples pour repérer de bonnes pratiques et se confronter à d’autres points de vue sur leur métier.
Désormais professeur des écoles en région parisienne, Émile Le Menn a relaté son tour du monde sur un blog puis dans un livre aux éditions Retz, dont Sylvain Connac, spécialiste des pédagogies coopératives, nous propose une lecture.
Dans sa vie d’élève puis d’éducateur, Émile Le Menn a trouvé « beaucoup à redire à nos écoles françaises ». Au-delà du manque de contact avec la nature, de la liberté de mouvement restreinte dans des classes de petite taille où règne l’enseignement magistral, il regrette le poids des origines sociales sur la réussite et le peu d’échanges avec les parents d’élèves.
Comment transformer l’école sans se réfugier dans des propositions qui ne seraient que de « la poudre aux yeux » ? Alors qu’il prépare le concours de professeur des écoles, Émile Le Menn décide de répondre à cette question par un tour du monde des écoles alternatives. En 7 mois, il a ainsi parcouru 9 pays (France, Allemagne, Royaume-Uni, Finlande, Norvège, Canada, Autriche, Émirats arabes unis, Nouvelle-Zélande), pour visiter 18 écoles différentes.
Durant ce périple, il dit avoir été amené à « invalider » bon nombre de ses idées initiales sur l’éducation. Il revient de ce voyage, non pas avec LA méthode pédagogique idéale, mais avec des idées précises de ce que pourrait devenir une école accessible et profitable à tous, et qu’il relate dans L’école autrement.
Pédagogies nouvelles en questions
La solution pour refonder l’école est-elle à chercher du côté de l’Éducation nouvelle, sur laquelle les discours abondent actuellement ? De ses visites dans des écoles Freinet, Steiner et Montessori, Émile Le Menn ne retient pas que du bon. Principalement en raison de l’emprise des adultes sur les enfants et parce qu’il trouve que ces pédagogies anciennes, construites dans un monde suranné, évoluent très peu.
Il reconnaît à la pédagogie Freinet son projet révolutionnaire, mais il regrette que l’autonomie accordée aux élèves se fasse dans un cadre très normé. Il apprécie, dans les écoles Montessori où il s’est rendu, les libertés accordées aux enfants, mais il reproche le carcan limité et figé des activités ainsi qu’un manque de vision sociétale, de volonté progressiste en éducation.
Il se montre surtout perplexe avec les écoles qui fonctionnent en pédagogie Steiner-Waldorf, au sein de l’ensemble plus large de l’anthroposophie, un mouvement d’ésotérisme chrétien que connaissent peu d’enfants et de familles inscrits dans ces établissements. Il admet que cette pédagogie cherche à rendre les enseignements vivants (par des poèmes, des chants, un suivi long des adultes, l’absence de manuels…) mais il conteste la « manière presque industrielle de travailler », les élèves réalisant la même tâche au même moment.
Il apporte également une analyse critique sur des écoles qui, pour nous français, apparaissent comme idéales : celles des pays nordiques, Finlande et Norvège. Il souligne une culture éducative riche, priorisant le bien-être des enfants sur leurs performances et la faible importance accordée à la formation de futurs citoyens adaptés au monde économique.
Mais il est revenu déçu des pratiques pédagogiques observées, pas forcément très modernes, les élèves passant « le plus clair de leur temps assis devant leur professeur à exécuter des tâches qu’il leur attribue ».
Vers une école démocratique
Émile Le Menn détaille donc, en synthèse de toutes les observations et des entretiens qu’il a menés, la vision que cette expérience lui a permis de construire : une école « démocratique », beaucoup influencée par des penseurs de l’éducation comme Alexander Neill, Daniel Greenberg ou Bernard Collot (en France). Le projet éducatif qu’il défend laisse les enfants choisir leurs activités scolaires et leur donne la possibilité d’agir sur leur environnement, notamment sur le fonctionnement de leur établissement.
La coopération occupe une place forte, puisque les enfants sont encouragés à travailler à plusieurs et à réaliser avec d’autres des productions abouties. Ils se réunissent régulièrement en conseils démocratiques, pour aborder collectivement les projets communs, les problèmes du groupe et ses réussites.
Les enfants peuvent ainsi développer des compétences sociales comme la persévérance, l’autorégulation, la compassion, la gratitude, le courage… « L’un des objectifs est de percevoir les autres est soi-même sous un angle positif. Le petit Patrick n’est pas seulement timide, il est aussi courageux et généreux ! » Une pédagogie de projet est régulièrement pratiquée pour rendre les activités scolaires plus motivantes, plus variées, plus concrètes et transdisciplinaires.
La priorité est donc mise plus sur l’épanouissement personnel que sur la réussite aux évaluations. Le rôle des adultes est de créer l’environnement permettant le bonheur individuel des enfants ainsi que la dynamique de leur collectif. Par exemple, ils interviennent pour faire perdurer leur motivation et constituent des groupes multiâges pour que l’hétérogénéité des élèves devienne une richesse.
Frustrations et apprentissages
De notre point de vue, si une école, telle que la dessine Émile Le Menn, parvenait à se construire et à devenir une tradition pédagogique, elle apporterait indéniablement une puissance éducative très enviable.
Toutefois, la collecte très sérieuse de données réalisée dans ces 18 écoles n’a pas permis de mettre à jour d’autres éléments constituant l’acte d’éduquer. En effet, la place des savoirs est très peu évoquée dans cette enquête. Ils apparaissent seulement à travers l’idée d’une variété d’activités qui dépasse les seules (et quelques) disciplines habituellement enseignées à l’école.
Cet enrichissement du milieu est surtout pensé pour les enfants qui peuvent difficilement compter sur la richesse de leur contexte familial. C’est, entre autres, à cette fin que les familles soient invitées à entrer dans l’école pour proposer des ateliers aux enfants.
Or, même si l’expérience de ce voyage souligne bien l’importance de la nécessaire tension entre l’individu et le groupe, elle ne montre pas assez celle propre à tout acte éducatif : émanciper et acculturer.
Plusieurs fois, il ressort que les contraintes seraient problématiques pour les enfants. « Un enfant que l’on frustre, que l’on coupe dans ses envies peut difficilement être heureux ». Or, la philosophie de l’éducation, couplée aux recherches en sociologie de l’éducation ou en psychologie de l’enfance rappellent régulièrement la richesse de ces frustrations, qui, sans devenir des violences, sont des sources réelles de désirs, de dépassements et donc d’ouvertures et d’apprentissages.
Ces frustrations concernent souvent, à l’école, l’absence de savoirs. Lorsqu’ignorer devient problématique et au moment où ces manques sont comblés, les savoirs se présentent telles des « épaules de géants », comme le décrivait Jean‑Pierre Astolfi. Grâce à l’appropriation de ces éléments de culture, le monde est plus accessible et sa compréhension est facilitée par ce que d’autres, avant nous et ailleurs, ont pu mettre à disposition de notre entendement.
Plaisir d’enseigner
Au sein d’une école démocratique, Émile Le Menn explique que les adultes doivent « se garder d’exposer les enfants à des savoirs déterminés arbitrairement et donc ne proposer aucune activité tant que les élèves n’en ont pas fait la demande ». Il regrette en même temps que certaines de ces écoles ne cherchent pas à faire rencontrer aux enfants des domaines dont ils ignorent l’existence. Or, l’épanouissement est aussi possible par la culture, il ne dépend pas seulement du sentiment d’être heureux et d’appartenir à un groupe.
Nous défendons même que c’est un rôle essentiel des enseignants que de susciter le désir de savoir chez leurs élèves. Bien évidemment, pas en les soumettant à des flots d’informations sans aucun sens pour eux. Pas plus en tentant de « modeler » leur cerveau en fonction de ce que l’on souhaite qu’ils deviennent. Mais en visant une joie d’apprendre, résultant de réponses obtenues aux questions qu’ils se posent.
Mettre les élèves face à des obstacles, les laisser prendre conscience qu’ils bloquent, entendre leurs questions, puis leur donner les moyens de résoudre avec d’autres ces problèmes à l’aide de savoirs qu’ils n’ont pas encore eu la chance de découvrir. Voilà certainement l’essence de l’école, que les meilleures chaînes YouTube ne pourront jamais compenser. Voici également une raison solide d’atteindre le plaisir d’enseigner, en voyant les élèves réussir ce que précédemment ils n’imaginaient même pas.
Les écoles visitées par Émile Le Menn et décrites dans cet ouvrage ne semblent pas encore arrivées à cette étape de leur évolution. Peut-être en raison d’une peur d’enseigner. Peut-être aussi parce que l’on a trop souvent opposé, de manière stérile, une école de l’épanouissement à une école des savoirs. C’est une grande chance que de pouvoir désormais relever ce défi et construire une école digne des enjeux de l’éducation.
Sylvain Connac, Maître de conférences, Université Paul Valéry – Montpellier III
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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