Créer des classes de niveau : atouts ou freins à la réussite des élèves ?
Comment faire travailler ensemble des élèves ayant des compétences scolaires et des problèmes d’apprentissage de natures variées ? Certains enseignants rapportent leurs difficultés à gérer l’hétérogénéité de leurs classes. C’est particulièrement le cas lorsque les difficultés scolaires de certains élèves se doublent de problèmes de comportement.
Constituer des classes de niveau est-il alors la solution ? En évoquant en octobre 2023 la possibilité d’organiser des groupes de niveau en maths et en français pour l’enseignement des maths et du français au collège, le ministre de l’Éducation nationale, Gabriel Attal, a relancé des débats sur la composition des classes qui reviennent depuis plus d’un siècle.
Les promoteurs des classes de niveau centrent leurs arguments sur la meilleure adaptation des pratiques pédagogiques et l’efficacité qui en résulterait. Pour les autres, les classes hétérogènes seraient un facteur de cohésion sociale et de réduction des inégalités. Qu’en est-il réellement ? Quel impact la répartition des élèves a-t-elle sur l’enseignement, le climat scolaire et les apprentissages ?
Composition de la classe : des effets sur le bien-être des élèves
De nombreuses études internationales en économie de l’éducation se sont centrées sur l’effet des pairs. Ces recherches examinent l’influence des caractéristiques des autres élèves de la classe (notamment le niveau scolaire et le niveau social qui apparaissent très corrélés) sur les performances ou le bien-être d’un élève donné. Globalement, ces dernières montrent que la composition de la classe (hétérogène/homogène) n’influence pas (ou avec des effets très faibles) les résultats scolaires des élèves.
Par ailleurs, même s’il n’existe pas de consensus clair, ces études suggèrent que les élèves d’un niveau scolaire élevé bénéficieraient davantage des classes homogènes du point de vue de leurs performances scolaires alors que les élèves avec de faibles résultats scolaires profiteraient plus des classes hétérogènes.
En ce qui concerne le bien-être et les attitudes sociales, la littérature tend à montrer que les classes hétérogènes seraient plus propices à leur développement. En France, une récente enquête du CSEN (Comité scientifique de l’Éducation nationale) révèle que, si une plus grande mixité sociale dans les collèges n’a pas d’impact sur les résultats scolaires, elle provoque en revanche des effets positifs sur le plan du bien-être personnel et du bien-être social, pour les élèves de milieux favorisés comme des milieux défavorisés.
Ces études apportent des résultats précieux sur les effets de la composition de la classe. Toutefois elles occultent une pièce maîtresse des apprentissages et du fonctionnement de la classe : les pratiques pédagogiques des enseignants.
Les classes de niveau changent-elles les façons d’enseigner ?
Il est généralement admis que les classes de niveau, à travers les pratiques pédagogiques des enseignants, peuvent creuser les écarts entre les élèves scolarisés dans des classes de faible niveau par rapport à ceux inclus dans des classes d’un niveau élevé. En effet, les enseignants auraient tendance à baisser le niveau d’exigence et à moins solliciter l’activité réflexive des élèves avec les classes perçues comme faibles.
Par ailleurs, il a été montré que, plus les attentes des enseignants vis-à-vis de l’engagement et du niveau de leurs élèves sont élevées, plus leurs pratiques pédagogiques soutiennent la motivation et les apprentissages de leurs élèves.
D’autres études, plus rares, ont examiné les effets de la composition de la classe sur les performances scolaires en prenant en compte la qualité de l’enseignement mesurée à partir de trois catégories de pratiques pédagogiques :
les stratégies d’enseignement (ajuster les situations d’apprentissage, solliciter des stratégies de recherche de solutions face à des problèmes, etc.) ;
le soutien émotionnel et social (encourager, être disponible pour les élèves en cas de difficultés, etc.) ;
la gestion de classe (mettre les élèves en activité, prévenir les comportements perturbateurs, etc.).
Si les résultats obtenus à l’école primaire ne montrent pas d’effet de la composition de la classe sur la qualité de l’enseignement, en revanche ils révèlent que, plus la classe est hétérogène, plus la qualité de l’enseignement a un rôle important. Autrement dit, les pratiques pédagogiques des enseignants auraient plus de poids dans les apprentissages et les progrès des élèves lorsque la classe est hétérogène.
Par ailleurs, les premiers résultats d’une étude en cours auprès de 145 classes du second degré suggèrent que la perception de l’hétérogénéité de la classe par les enseignants entraîne des pratiques pédagogiques aux effets contradictoires sur l’engagement des élèves. Notamment, plus les enseignants perçoivent leurs classes comme hétérogènes, plus ils soutiennent le sentiment de compétence des élèves (notamment par une explicitation des attentes et un ajustement des situations d’apprentissage), mais moins ils sollicitent des stratégies cognitives de haut niveau et l’autonomie des élèves.
La classe hétérogène, un défi pour les enseignants ?
En définitive, même si la classe hétérogène n’influence pas les performances scolaires, elle des effets positifs sur le bien-être et les attitudes sociales des élèves. Par ailleurs, c’est dans ce type de classes que les pratiques pédagogiques des enseignants semblent jouer un rôle essentiel dans la réussite des élèves.
Toutefois, les réalités professionnelles révèlent également les difficultés rencontrées par les professeurs à gérer ce type de classe qui requiert de différencier et personnaliser leur enseignement alors même que les effectifs de chaque classe sont élevés. Dès lors plusieurs questions méritent d’être soulevées.
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Tout d’abord, au-delà de la comparaison entre classes de niveau ou classes hétérogènes, les futures recherches gagneront à affiner la mesure du degré d’hétérogénéité dans les classes (exemple : la proportion d’élèves de chaque niveau et écart entre les niveaux). En effet, il y a lieu de se demander s’il n’existe pas un degré d’hétérogénéité optimal favorable aux progrès des élèves et aux pratiques pédagogiques des enseignants.
Il apparaît également qu’une organisation flexible de la classe articulant classes hétérogènes et groupes de niveaux puisse faciliter la différenciation pédagogique et être bénéfique pour les élèves. Dans cette optique, les élèves qui appartiennent à une classe hétérogène peuvent rejoindre ponctuellement des groupes de niveau pour certains apprentissages.
Ce mode d’organisation est parfois adopté avec les collégiens sur certains apprentissages fondamentaux pour que les élèves puissent bénéficier de manière momentanée d’un enseignement ajusté à leurs besoins tout en maintenant la poursuite d’objectifs communs. C’est également le cas dans le premier degré, dans des classes à plusieurs niveaux dans lesquels des groupes de besoin sont mis en place ponctuellement. Dans cette perspective, une attention doit être portée à l’articulation entre les pratiques pédagogiques et les contenus disciplinaires dans les formations initiales et continues des enseignants pour les aider à développer des compétences professionnelles permettant une meilleure gestion de l’hétérogénéité.
Enfin, il s’agit de réfléchir aux leviers qui permettent aux enseignants de mieux gérer les classes hétérogènes et qui sont efficaces pour faire progresser les élèves. Dans ce cadre, le coenseignement (deux enseignants pour une classe), même avec des effectifs de classes plus élevés, apparaît comme une piste prometteuse. En effet, il offre l’opportunité d’une plus grande flexibilité par le partage des tâches (pilotage de la classe, étayage, soutien émotionnel, etc.) qui facilite la différenciation et la gestion de l’hétérogénéité.
Toutefois, le coenseignement n’a pas des effets magiques mais implique une organisation particulière de la structure scolaire, un pilotage adapté et une formation de qualité des enseignants.
Amaël André, Professeur des universités, sciences de l’éducation, Université de Rouen Normandie; Damien Tessier, Maître de conférences en STAPS, laboratoire Sens, sport en environnement social, Université Grenoble Alpes (UGA) et Jonas Didisse, Docteur en économie de l'éducation, Ingénieur de Recherche "100% Inclusion, un Défi, un Territoire", Université de Rouen Normandie
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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