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Cours universitaires et travaux de recherche sur les questions d'apprentissage des jeunes et des adultes, science du développement humain, sciences du travail, altérités et inclusion, ressources documentaires, coaching et livres, créativités et voyages. Philippe Clauzard : MCF retraité (Université de La Réunion), auteur, analyste du travail et didacticien - Tous les contenus de ce blog sont sous licence Creative Commons.  

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Relativement aux représentations du travail dans la vie de tous les jours, chacun possède sa  conception du travail : cela étant le champ couvert par le travail est flou et non sans contradiction : bricoler sur une mobylette ou  une voiture n'est-il pas un travail ? Mais si vous assistez à la projection du dernier film de Woody Allen, on peut penser que vous pouvez affirmer ne pas travailler, sauf si vous êtes un critique de cinéma. Dire que le salaire est un critère qui permet de décider d'une activité de travail ne semble pas vraiment pertinent. Pensons à la femme de ménage qui effectue un travail rémunéré de nettoyage de la vaisselle et vous dans votre appartement qui effectuez la même charge de travail ? De la même manière, un étudiant peut affirmer ne pas trop s'intéresser à quelques cours et travailler un autre cours de maths à fond. 

Derrière l'apparente contradiction, on peut observer que la notion de travail renvoie à différentes réalités. Devant la question « quel est votre travail ? », l'opérateur peut détailler l'ensemble et la suite des opérations qu'il effectue pour réaliser une tâche. Cette réponse souligne la dimension du processus de l'activité de travail, c'est ce que l'on fait. Avec d'autres réponses du type : faire en sorte que les élèves atteignent le niveau requis par les instructions officielles et pour la réussite aux examens, il est mis en relief la dimension des résultats de l'activité. Ainsi le travail, c'est ce que l'on produit.

Le mot travail est apparu dans la langue française au 11e siècle. Il provient du verbe travailler qui est lui-même dérivé du latin tripalium qui signifiait « torturer » avec le tripalium, c'est-à-dire un instrument de torture à trois pieux. Il apparaît donc très tôt dans notre culture occidentale que le travail est lié à la souffrance. C'est une idée qui transparaît dans le langage courant, beaucoup de personnes ont en effet une représentation négative de leur travail. Ne dit-on pas lorsqu’une idée nous préoccupe qu'elle nous travaille. Paradoxalement à cette dévalorisation du travail, répond de façon contradictoire l'idée que l'individu ne peut se réaliser que dans le travail. Max Weber soulignait l'existence d'une lecture religieuse valorisant le travail. À la suite de Kant, des auteurs m'affirment que le travail est une valeur qui distingue l'homme de l'animal. À la suite de Marx, on a pu affirmer que le travail est la condition d'une libération de l'humain. En créant des biens, l'être humain se rend indispensable et en même temps, il développe son intelligence et sa personnalité. Freud souligne le caractère positif du travail en ayant la possibilité de transférer les composantes narcissiques, voire agressives ou érotiques, de la libido dans l'univers du travail.

Toutefois, la répartition du travail est socialement complètement inégale au regard du chômage, de la durée du travail, de la répartition du travail entre les sexes et des difficultés inhérentes au travail même, comprenant les maladies professionnelles, les burn-out professionnels, et les  accidents du travail. On peut dire que le travail est devenu une valeur incertaine. Il occupe moins de place dans les existences, car c'est une denrée qui se raréfie donc très recherchée avec plus d'intensité. En même temps, le monde du travail est parfois bien plus cruellement vécu que jadis en termes de responsabilité et de stress lié à une gouvernance plus horizontale.

Le travail devenu une denrée rare a perdu sa valeur de référence pour la jeunesse qui se sent de plus en plus exclue  des activités salariales. L'apparition du travail à temps partiel et des contrats à durée déterminée ne procure plus un statut stable et ne rend plus le travail tout autant attractif. Le caractère pénible de certaines activités de travail se traduit par le nombre de maladies professionnelles. Toutefois, la baisse de la gravité des accidents du travail traduit une amélioration incontestable des conditions de travail. Si le temps du travail, ou bien si la durée officielle du temps de travail a diminué, le temps des transports vers le travail n'a pas diminué dans les mêmes proportions. L'apparition de machines de plus en plus perfectionnées élimine chaque jour davantage la pénibilité physique du travail. L'automatisation fait disparaître cela dit des métiers ou transforme les salariés en simple surveillant. En revanche, la conception et la mise en place, la maintenance des machines ou des robots sophistiqués nécessite des individus de plus en plus qualifiés ou compétents.

Le travail est devenu ainsi une activité très complexe, énormément liée aux évolutions sociales et techniques. Ce qui devient un objet d'étude pour les interventions ergonomiques avec l'adaptation du travail à l'humain en ligne de mire. L'analyse systémique des conduites de travail répond à une nécessité de prendre en contre leur complexité. La situation de travail est considérée comme un ensemble de composantes avec les hommes, l'organisation, la technologie qui sont reliées entre elles par des boucles de régulation assurant la stabilité du système.  La particularité de la psychologie du travail est d'accentuer le rôle essentiel de l'homme dans le maintien de l'équilibre du système. Ce rôle est évalué en fonction de l'écart observé entre le rendement attendu et l'état réel des "sorties". 

La psychologie du travail insiste sur la nécessité d'une prise en compte lors de cette évaluation de l'ensemble des sorties : c'est-à-dire la production, la charge de travail, la sécurité, les conflits et les interactions. L'évaluation ne doit ni privilégier ni l'une  ni l'autre de ces dimensions ni les traiter de manière isolée. La perspective systémique permet aussi d'analyser les conduites de travail comme un système de traitement de l'information pour lequel seront distinguées trois composantes : les entrées définies par les tâches de travail, le traitement constitué par l'activité de l'opérateur et les sorties : c'est-à-dire l'ensemble des réponses produites par le professionnel. La tâche de travail est elle-même subdivisée en trois sous-systèmes interdépendants qui sont la tâche prescrite qui correspond au travail formel, c'est ce que l'on doit faire, la tâche induite qui correspond à la représentation mentale du travail à faire, à ce que l'on pense faire et la tâche actualisée qui correspond à l'adaptation des deux éléments précédents à une situation particulière,  c'est-à-dire ce que l'on devrait faire. Pour les sorties, on distingue deux types de réponses, les premières sont dites finalisées, car elles concourent à l'atteinte des objectifs assignés par la tâche de travail, mais on peut y rencontrer des erreurs. Les secondes collatérales ne visent pas directement l'atteinte des objectifs, mais leurs significations sont importantes, car elle traduit souvent des conflits ou bien l'anxiété chez le salarié. Enfin, le traitement des entrées qui produit les sorties occupe une place centrale en psychologie du travail. On le voit cette discipline est très marquée par la psychologie cognitive et un modèle behavioriste comportant "entrée et sortie". L'activité de travail est ainsi envisagée comme un dialogue entre des humains et des machines en vue de coordonner des informations et des actions afin de résoudre des problèmes liés au travail.

La psychologie du travail apporte un éclairage spécifique sur divers niveaux de relation dans une entreprise. C'est une véritable aide pour organiser le travail. Il faut noter l'importance et le rôle de la perception des structures formelles ou informelles dans ses relations professionnelles,  tout comme la distinction des divers types d'organigrammes qui sont manifestes, réels ou perçus et qui traduisent la nécessité d'intégrer dans l'organisation du travail les déformations que peuvent introduire les acteurs de l'entreprise. Si on peut penser que la mise au point d'un organigramme optimum va contribuer à l'efficacité de l'organisation, celle-ci dépend fortement du degré d'engagement des professionnels dans les structures de l'entreprise. On peut mesurer cet engagement au moyen de grilles d'analyse qui va de l'indifférence ou du rejet à une forte mobilisation. L'efficacité d'une gestion des relations dépend enfin des modes d'exercice du management, voire de ce que l'on pourrait appeler la politique de commandement. La  psychologie du travail propose des repères sur les déterminants et la nature des styles de leadership permettant aux professionnels exerçant des responsabilités dans une entreprise d'objectiver leur relation au pouvoir et à l'autorité, d'analyser leur subjectivité dans l'entreprise. Pour autant, tout cela n’évite pas les conflits dans les relations intra-individuelles ou interindividuelles voire les intergroupes dans les entreprises. Il s'agit de posséder des grilles de lecture afin de saisir l'origine et la signification des conflits et faciliter la mise en place de dispositifs pour les prévenir, en atténuer les conséquences ou encore mieux les résoudre.

Les caractéristiques personnelles et techniques forment une source d'information importante pour comprendre les conduites de travail. On retient les effets de l'âge, les données biologiques, le sexe  les rythme, les activités de traitement de l'information avec les capacités, les compétences mises en jeu, les modes d'appropriation de la formation avec les styles cognitifs des professionnels. Cela ne va pas sans poser de problème, par exemple, peut-on se donner le droit de mettre à jour une intimité de la personne sur le terrain du travail ? Jusqu'à quel degré une analyse du travail et des situations dysfonctionnantes peut-elle être révélatrice de la personnalité et de l'intimité du salarié ? Une grille d'analyse des installations techniques permet de faire ressortir les différents points sur lesquels doit s'attacher l'étude des systèmes hommes - machine. Les ambiances thermiques, sonores, lumineuses sont examinées sous l'angle de leur fait logique. Il n'existe pas de professionnels moyens et stables, car cela est contredit par les variations interindividuelles, les individus sont différents sur les plans anthropométriques, comme affectifs. De plus, l'individu au travail est très dépendant du moment de la journée, de l'année et de sa vie hors travail. Notons aussi que les systèmes techniques sont soumis à des perturbations également à du vieillissement, à de l'usure. 

Le travail n'est pas réduit à l'exécution de la prescription formelle ou officielle, la tâche prescrite. Les représentations du professionnel formant la tâche induite et les ajustements en situation de travail, aux contraintes de la situation de travail formant la tâche spécifiée et l'exécution de la tâche réelle sont autant d'éléments à prendre en compte dans l'analyse des conduites de travail.

De plus, travailler, c'est se saisir et traiter de l'information, c'est évaluer des écarts par rapport à des valeurs attendues, c'est décider de stratégies pour réduire ses écarts. Cela se traduit par des gestes professionnels ou par des adaptations régulatrices. Les psychologues du travail mettent fortement l'accent sur le traitement de l'information et la gestion des aléas, les régulations et les communications au travail. Les analyses sont essentielles pour comprendre les aspects cognitifs des collectifs de travail. Le développement de la psychologie cognitive a permis d'introduire dans ces analyses des modélisations sur les compétences des professionnels. Ceux-ci doivent de plus en plus échanger des informations et coopérer afin de maintenir les systèmes en équilibre ; ils doivent de plus en plus résoudre des problèmes, établir des diagnostics, faire appel à des répertoires de connaissances des compétences en mémoire.  Il apparaît alors des théories sur le travail et la psychologie cognitive, les concepts d'image opérative, de mémoire opérationnelle, de filtre cognitif, de genre et de style au travail, d'invariant du travail, d'organisateurs de l'activité ou de structure conceptuelle de la tâche.

On scrute les intelligences mises en mouvement au travail, les intelligences du travail et par le travail. La rencontre entre théorie et pratique permet d'analyser l'expertise et de concevoir des formations en situation de travail. L'objectif est bel et bien une plus grande maîtrise des actions professionnelles afin que les effets du travail soient positifs pour la production de biens et de services et moins nocifs pour les individus qui travaillent. 

Dans l'analyse des systèmes de production, la psychologie du travail met l'accent sur la nécessité de prendre en compte deux types de boucles de régulation que sont l'équilibrage et la rétroaction. S'observent alors les variables que sont l'atténuation de la charge, la baisse de la production, la prise de risque, la modification stratégique, ou les changements d'outils par exemple. Les théories de la satisfaction au travail, des motivations, du stress et du « burn-out » mettent en évidence les dimensions parfois  ignorées du travail. Elles favorisent des recherches, des tentatives d'amélioration comme l'élargissement ou l'enrichissement des tâches de travail. La difficulté est souvent de ne pas trop dissocier les facteurs techniques des facteurs humains. Il convient aussi d'analyser sérieusement les mécanismes qui sont à l'origine des dysfonctionnements du travail. L'approche du dysfonctionnement n'est pas perçue de façon négative et normative. L'erreur n'est plus perçue négativement, car elle est susceptible d’apporter des informations sur les ratés du couplage individus-technique. L'analyse des erreurs et des dysfonctionnements débouche sur des propositions d'aménagement de l'organisation du travail ou des systèmes sociotechniques. Cela peut être à l'origine d'un plan de formation ou d'une ingénierie de formation pour résoudre des situations problématiques au travail avec les professionnels concernés.

 

L'objectif général de l'intervention d'un psychologue du travail est la quête d'une adéquation entre les caractéristiques de l'individu qui travaillent et les caractéristiques des systèmes sociotechniques ou des situations de travail. Le choix des interventions possible peut être large. Il faut trouver des individus ressources correspondant aux exigences techniques, des professionnels qui répondent à des exigences de modification du système pour l'adapter aux professionnels. Ces choix s'établissent à la suite d'une analyse pertinente du travail : un diagnostic permet de décider quelle est la solution la plus pertinente et quelle est la combinaison de solutions permettant d'optimiser le travail. 

Le psychologue du travail n'est pas un spécialiste de l'évaluation, de la formation de l'ergonomie, mais plutôt un analyste qui propose des solutions dans divers secteurs d'intervention. Cela étant son travail est très proche de celui d'un ergonome. 

Toutefois, on l'associe aux embauches et aux tests. Il existe effectivement des techniques ouvertes comme les CV ou les entretiens d'embauche ou des techniques standardisées avec des tests ou des essais professionnels. Une évaluation vise à déterminer si les caractéristiques des sujets qui se proposent à un poste donné correspondent aux exigences du poste de travail,  de la fiche de définition du poste. Les techniques d'évaluation sont alors référées à des problèmes de mesure qui doivent être discriminantes afin de permettre de bien différencier les personnes, bien sûr fidèles en donnant des résultats stables et indépendants des évaluateurs et fort valides en autorisant des pronostics fiables sur la réussite des candidats à un poste de travail. Qu'il s'agisse de l'accès à un poste de travail ou d'une orientation professionnelle, l'évaluation demeure une pratique statique, très ou trop objective dont la dimension subjective peut manquer pour mieux distinguer les sujets. On ne peut pas dire qu'une évaluation par des tests pour offrir un poste de travail est nécessairement suffisante pour savoir les vraies potentialités d'un candidat.

L'analyse du travail peut permettre la définition d'objectifs de formation réalistes qui correspondent à l'activité réelle des opérateurs et à leurs besoins d'accroître leur compétence.

Au final, la psychologie du travail est ce que l'on peut appeler une science appliquée, dans la mesure où elle se caractérise par un rôle privilégié dans l'interface entre recherche et application. Il s'agit de recherche fondamentale pour comprendre et expliquer le fonctionnement cognitif du professionnel et d'applications pour résoudre les problèmes que posent les activités humaines dans la production de biens et de services au travail.

L'analyse du travail est la méthode d'investigation propre à la psychologie du travail, mais aussi à l'ergonomie. C'est un outil puissant au service des sciences du travail. L'objectif de l'analyse du travail est de dire quelque chose sur un travail. C'est de produire une meilleure connaissance du travail en faisant apparaître en particulier la distance qui peut exister entre le travail prescrit et le travail réel. Il s'agit d'une connaissance objective et d'une prise de conscience de la réalité du travail. L'analyse du travail est un moyen d'aide à la décision en permettant d'objectiver et de modéliser les situations de travail. Les  opérateurs doivent  bénéficier de la possibilité de s'exprimer, de dire le travail, de s'expliquer et de s'impliquer dans des marges de manœuvre facilitant la régulation des aléas et des dysfonctionnements. La démarche d'analyse du travail s'organise autour de l'analyse de la demande, car derrière toute commande explicite,  il existe une demande implicite dont les responsables de l'organisation n'ont toujours pas forcément conscience. De plus, le commanditaire formule le problème dans des termes qui servent sa propre vision, ses propres objectifs, sa propre démarche, un responsable de la production n'exprime pas dans des termes identiques une problématique qu'un représentant du personnel. Il s'agit donc de prendre une distance par rapport au commanditaire, c'est une phase délicate. L'analyste du travail doit solliciter l'ensemble des personnes concernées par le problème. La participation doit être effective afin d'élaborer dans les meilleures conditions un diagnostic sur la situation. Cette participation ne se décrète pas, mais elle se prépare au moyen d'une négociation avec les salariés. La phase de recueil de traitement des données est un moment clef. En effet, l'analyse du travail repose sur des techniques comparatives permettant un échantillonnage correct de l'activité de travail qui est toujours marqué par une grande variabilité intra et inter individuelle. Les techniques utilisées sont l'entretien, l'enquête, l'observation, la mesure, l'autoconfrontation et le filmage des situations de travail. Enfin, la recherche de solutions suppose un diagnostic répondant aux conditions d'identification de l'origine des dysfonctionnements recueillis et de repérages de solutions pertinentes pour résorber les dysfonctionnements. 

3 types de technique sont distingués en fonction de leur finalité particulière. Nous avons les techniques centrés sur la tâche, les techniques à base d'observation, et les techniques à base de verbalisation. Ces techniques doivent toujours être adaptées au contexte particulier des situations de travail. Les techniques centrées sur la tâche renvoient aux analyses documentaires, aux questionnaires d'analyse de position, les techniques centrées sur l'activité sont l'observation, la verbalisation, l'expérimentation et la simulation. La complexité des situations de travail exige parfois une démarche constante de va-et-vient entre ces techniques. Partant de l'entretien l'expérimentation et la simulation, en passant par le débriefing, les observations et l'analyse documentaire, l'analyse du travail conduit toujours à une confrontation systématique des données recueillies, une réflexion sur cette confrontation.

L’analyse du travail présente toujours comme objectif de produire des données permettant de réduire la distance entre les conceptions formelles du travail et de la prescription (les règles, les procédures officielles explicites) et l'activité réelle de l'opérateur (les aspects informels, implicites, imprévus des conduites de travail). Cette distance est la source principale des dysfonctionnements des systèmes de production et des situations de travail, l'endroit aussi où des solutions peuvent s'admettre.  

 

D'après "la psychologie du travail", Nathan Université, 1998

Source de l'image https://www.aipvr.com/psychologue-travail

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