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Cours universitaires et travaux de recherche sur les questions d'apprentissage des jeunes et des adultes, science du développement humain, sciences du travail, altérités et inclusion, ressources documentaires, coaching et livres, créativités et voyages. Philippe Clauzard : MCF retraité (Université de La Réunion), auteur, analyste du travail et didacticien - Tous les contenus de ce blog sont sous licence Creative Commons.  

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QUESTION ECRITE : QUEL EST LE ROLE DU SOCIAL DANS L'USAGE DE LA LANGUE FRANCAISE AU REGARD DES TEXTES SUIVANTS ? 

La maitrise des règles d’orthographe et de grammaire est donc un enjeu majeur, mais ces évolutions soulèvent aussi la question du bien-fondé de ces règles. Cela fait plus d’un siècle que des linguistes alertent sur les difficultés d’apprentissage qu’engendre l’absence de réformes de l’orthographe. Il est nécessaire de faire la chasse aux exceptions afin que le système soit plus régulier et accessible au plus grand nombre. D’ailleurs, Maurice Druon, Secrétaire perpétuel de l’Académie française, écrivait dans sa présentation des rectifications de 1990 :

« [Les rectifications] en éliminent les principales difficultés qui sont sans justification, et normalisent la plupart des anomalies. »

Puis il ajoutait :

« la langue étant chose vivante, il faudra recommencer le travail, dans trente ans, sinon même avant. »

Un retard important a donc été pris et c’est ce qui peut expliquer, au moins en partie, les difficultés actuelles. Pour mémoire, entre 1694 et 1798, il y a eu 5 éditions du Dictionnaire de l’Académie française avec des évolutions régulières de l’orthographe. Mais depuis 1798 (soit une période de plus de deux siècles), il n’y en a eu que 3 et la quatrième est en cours de rédaction.

De plus, dans l’édition de 1740, un mot sur quatre a vu son orthographe rectifiée. Et on ignore souvent que le mot « poésie » s’est écrit « poësie » jusqu’en 1798 mais qu’il a fallu attendre 1878 pour que poëme s’écrive poème. Quant à « noces », il s’est écrit « nopces » car ce mot vient du latin « nuptiae ».Cela permet de relativiser le mouvement de défense de l’accent circonflexe ou de l’étymologie.

L’orthographe représente une convention que l’on doit faire évoluer vers plus de régularité. Pour le français, cela fait deux siècles environ que notre orthographe stagne et que, parallèlement, on déplore une maitrise insuffisante, sans jamais faire de lien entre les deux.

L’une d’entre elles montre que dans une classe de CM2, les élèves ayant utilisé le Projet Voltaire passent de 16,4 erreurs en moyenne à 13,05 dans le cadre d’une dictée comprenant 62 mots. Dans la classe n’utilisant pas le Projet Voltaire, les élèves passent de 17,1 erreurs à 14,65. L’amélioration constatée n’est donc pas spectaculaire.

En refusant de considérer que le problème puisse venir de l’orthographe elle-même, le tri va continuer à s’opérer entre celles et ceux qui auront les moyens de se former (avec des résultats qui déclinent malgré tout) et le plus grand nombre qui sera condamné à l’exclusion. D’autant plus si l’orthographe continue à avoir une telle importance dans la société.

Mais pourquoi n’appelons-nous pas toutes ces variétés des « langues » ? Quelle est la différence fondamentale entre une langue et un dialecte ? L’exploration scientifique de cette question controversée et sans doute irrésolue à ce jour est conduite par la dialectologie, un champ spécifique de la (socio)linguistique. Définir « langue » et « dialecte » de manière abstraite n’est pas une tâche aisée, comme nous allons le voir. Le sujet est important, en particulier dans le contexte européen actuel où les échanges tendus au sujet de langues et d’identités nationales se multiplient. (...) La distinction entre langue et dialecte est peut-être mieux comprise en tant que notion sociale et politique plutôt que purement linguistique. En ce sens, une langue serait un ensemble de dialectes, gouverné par des continuums géographiques et sociaux, et sujets à des évènements socio-politiques hissant l’un de ces dialectes au sommet de la pyramide via des processus de standardisation. (...) Il faut cependant noter l’arbitraire de ces hiérarchies. D’un point de vue linguistique, il est absurde de dire qu’une variété est « plus pure », « meilleure » ou « plus belle » qu’une autre, comme on le dit parfois à l’école pour dissuader les élèves de pratiquer leurs dialectes locaux.

La langue française nous fait-elle perdre la tête ? Comme régulièrement dans l’actualité, les jugements de valeur et les attachements affectifs nourrissent les débats dès que quelque chose bouge dans la langue – une passion très française qui montre les différences de perception sociohistorique et politique des langues en fonction des pays. Ainsi la langue espagnole a déjà connu plusieurs réformes tandis que la langue anglaise voyait le « they » singulier élu mot de la décennie, sans que cela ne déclenche d’excessives passions.

Et bien évidemment, la polémique n’a pas manqué d’enfler lorsque le très sérieux dictionnaire Le Robert, dans son édition en ligne, a choisi d’y faire figurer le pronom « iel » qui consiste en une proposition de contraction des pronoms français « il » et « elle ». Comme « they » en anglais, ce pronom a pour objectif d’aider les personnes ne s’identifiant pas à un genre biologique à se définir.

Contrairement à ce que l’on a pu entendre de la part des commentateurs les plus émus, les éditions Le Robert ne constituent pas une « armada militante » déterminée à malmener la langue française, mais simplement une équipe de lexicographes qui, avec patience et méthode, observent les évolutions lexicales et décident ensuite de faire entrer ou sortir les mots de leurs éditions – comme le souligne leur impeccable mise au point

Mais en France, lorsque quelque chose se passe au niveau de la langue, même certain·e·s linguistes y perdent leur latin, confondant attention aux évolutions de la langue et tentations prescriptivistes.

Pas UNE mais bien DES langues françaises

La langue est une chose complexe, quel que soit le pays, et les sciences du langage s’attellent à le montrer dans nombre d’initiatives. On peut citer (sans ordre de préférence ni désir d’exhaustivité) le remarquable ouvrage Parler comme jamais coordonné par Maria Candea et Laélia Véron (issu du populaire podcast du même nom), le passionnant Je parle comme je suis de Julie Neveux qui décortique les liens entre mots et représentations sociales, ou encore les chroniques sociolinguistiques de Médéric Gasquet-Cyrus sur France Bleu, « Dites-le en marseillais », qui nous rappelle à juste titre qu’il n’y a pas UNE mais bien DES langues françaises.

« Iel » n’est pas un parangon du wokisme – mot qui, d’ailleurs, n’est pas dans le dictionnaire et, est-il besoin de le souligner, procède d’un import direct de la langue anglaise (« woke », par ailleurs différent de « wokisme » dans son acception sémantique), assorti d’un suffixe permettant de le franciser (le fameux « -isme »).

Il est par ailleurs plutôt intéressant de noter que les adversaires les plus farouches de ce malheureux pronom l’accusent de dévoyer la langue française en utilisant un anglicisme. La preuve, s’il en fallait une, que les langues évoluent en s’influençant entre elles, s’enrichissant mutuellement pour le plus grand bonheur des locutrices et des locuteurs.

Langage texto, néologismes, émojis : ces nouvelles pratiques mettent-elles vraiment la langue en danger ou témoignent-elles de sa vitalité ?

« OK boomer », « J'tdr ms suis oqp, ok ? » Le goût des jeunes pour les innovations linguistiques est un phénomène qui traverse les époques et les cultures. Selon Françoise Gadet, professeur émérite en sciences du langage à l'université ParisX et spécialiste des parlers jeunes (1) : « Pour se distinguer des adultes, les nouvelles générations se plaisent à inventer, avec un objectif ludique autant que cryptique, des manières de parler dont certaines finissent par se diffuser dans la société. » Pas question néanmoins d’y voir une véritable « langue », estime la sociolinguiste : « Pour l’essentiel, la syntaxe et la grammaire restent celles du français oral, les innovations sont d’ordre lexical. » Parmi ces dernières, on note les manipulations de mots telles que le verlan, ou des troncations comme dire zik pour musique. Les ados introduisent aussi des termes venus d’ailleurs : « Si l’emprunt aux langues étrangères est une modalité classique de production de nouveaux mots, les jeunes ont la particularité de piocher parmi les langues moins hégémoniques », rappelle la sociolinguiste, qui cite les fameux kif et seum issus de l’arabe, désignant respectivement une forme de plaisir et de rancœur, ou encore le verbe bouillave pour dire « faire l’amour » dérivé du romani. Le phénomène ne se limite pas aux langues présentes dans les quartiers populaires mais inclut aussi les variétés régionales, comme le souligne Mathieu Avanzi, maître de conférences en linguistique française à Sorbonne Université qui a récemment publié un ouvrage de vulgarisation sur le sujet  : « À Marseille, de plus en plus de jeunes disent “fraté” pour s’interpeller. Le terme vient du corse “fratellu” qui signifie “frère” mais la vieille génération ne l’utilise pas, ce sont les ados qui l’ont mis au goût du jour. » Car si les jeunes contribuent au renouvellement du français populaire, ils sont aussi en partie les garants de sa continuité. Outre la transmission, de génération en génération d’ados, des termes d’argot traditionnel, les enfants restent ceux par qui perdurent les particularités régionales, affirme M. Avanzi : « Les régionalismes les plus ancrés sont ceux qui nous ont été appris dans l’enfance : ce sont les mots de la maison – pour parler de la nourriture, de la vie domestique – et les mots de l’école. Par exemple, il existe près de dix manières différentes de désigner, selon les régions, le classique crayon à mine de graphite », également appelé « crayon à papier », « crayon noir », etc.

La langue orale, témoin des mutations sociales

(...) « Les ponctuants de la langue orale, ces mots qu’on introduit pour capter l’attention de notre interlocuteur, ont beaucoup évolué : dans les années 1970, on employait “voyez-vous” ou “alors voilà”, alors qu’aujourd’hui, c’est plutôt “du coup” et “en fait”. » En outre, C. Dugua note un abandon des proverbes au profit de locutions issues des réseaux sociaux, ainsi qu’une certaine laïcisation de la langue : « Autrefois, on disait beaucoup “ma foi”, ou “je crois que” plutôt que “je pense que”, signes possibles de l’évolution de notre rapport à la religion. » (...)

La langue écrite sanctuarisée

Les inquiétudes relatives à l’évolution de la langue orale ne sont rien face à la panique sociale que suscite l’évolution de la langue écrite. On en veut pour preuve les réticences qui entravent depuis quatre siècles les réformes de l’orthographe, comme le retrace Liliane Sprenger-Charolles, directrice de recherche émérite au CNRS : « Dès le 17e siècle s’est posée la question de simplifier l’orthographe pour tenir compte des évolutions de la prononciation. On a par exemple remplacé “je chantoi” par “je chantai” ou supprimé les lettres devenues muettes comme dans “escriture” devenu “écriture”. Les arguments pour s’opposer à ces évolutions n’ont jamais varié. » Parmi eux, la crainte que les jeunes générations ne soient plus capables de lire les textes anciens, oubliant que les éditions scolaires proposent déjà une version modernisée des classiques. L. Sprenger-Charolles y voit aussi une forme d’élitisme : « L’orthographe a historiquement été fixée dans le but de distinguer les gens de lettres des ignorants et simples femmes. On répugne donc à transformer les “ph” en “f” car cela semble moins distingué. » Autant de préjugés qui expliquent pourquoi la nouvelle orthographe de « nénufar » ou d’« ognon » reste encore peu usitée. Il a même fallu attendre 2008 pour que le ministère de l’Éducation nationale reconnaisse officiellement les dernières rectifications de l’orthographe, publiées au Journal officiel de la République française en 1990

La culture numérique : une révolution de l’écrit

« Le numérique a ouvert la possibilité inédite de converser en temps réel par écrit d’un bout à l’autre de la planète. Ce nouvel usage a bouleversé notre rapport à la langue : jusqu’ici, les écrits étaient faits pour durer et se devaient donc d’être soignés ; ils ont aussi désormais une fonction conversationnelle, qui les rend plus éphémères et exige d’eux d’être plus efficaces. » Ceci explique donc le succès du langage texto, fait d’abréviations, qui n’est pas sans rappeler les méthodes utilisées de longue date par la sténographie pour optimiser la prise de notes. De même, l’insertion d’émoticônes ou émojis répond aux contraintes de ce nouvel usage de l’écrit : « Ces signes permettent de réintroduire les indices posturo-mimo-gestuels de l’oral qui ne peuvent être traditionnellement insérés à l’écrit qu’au moyen de longues descriptions », analyse M. Candea.

L’idée d’une langue française unique reste encore très ancrée. En quoi cette représentation a-t-elle pu modeler notre rapport aux autres langues ?

Historiquement, la principale conséquence a été la stigmatisation des langues régionales, qui sont encore trop souvent considérées comme des dialectes dans lesquels il ne serait pas possible d’exprimer des idées complexes. De même, le bilinguisme de certains enfants reste mal considéré à l’école, en dépit des nombreuses recherches qui montrent un bénéfice cognitif. À cela s’ajoutent d’autres répercussions plus générales. Par exemple, il est probable que l’insécurité linguistique, particulièrement intense chez les Français, découle de cette vision élitiste de la langue. Dès l’école, les Français sont tétanisés à l’idée de faire des « fautes », oubliant que la langue est avant tout un outil d’expression. 

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