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Cours universitaires et travaux de recherche sur les questions d'apprentissage des jeunes et des adultes, science du développement humain, sciences du travail, altérités et inclusion, ressources documentaires, coaching et livres, créativités et voyages. Philippe Clauzard : MCF retraité (Université de La Réunion), auteur, analyste du travail et didacticien - Tous les contenus de ce blog sont sous licence Creative Commons.  

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« Dyslexique », « hyperactif », « HPI »… Ces diagnostics qui se multiplient en milieu scolaire
Cécile Charazas, Université de Bordeaux

« Dyslexique », « précoce », « troubles de l’attention » : nous avons tous déjà entendu au moins un de ces termes, le plus souvent pour qualifier un enfant rencontrant des difficultés dans le cadre scolaire.

Ces « diagnostics scolaires » sont décrits, explorés et soutenus par des chercheurs et praticiens de différentes disciplines (psychologie, neuropsychologie, psychiatrie, etc.) et bénéficient d’une variété de prises en charge à visée rééducative (psychomotricité, orthophonie, ergothérapie, etc.).

Au sein même du champ scientifique, ces diagnostics ne font pas consensus : l’approche principalement neurologique du TDAH (trouble du déficit de l’attention/Hyperactivité) y est critiquée, les effets et les limites des diagnostics de troubles dys- et de HPI (haut potentiel intellectuel) y sont interrogés.

Les troubles dys – ainsi que le TDAH sont considérés comme étant des troubles du neurodéveloppement, et font l’objet de recommandations par la Haute Autorité de Santé. Les politiques publiques insistent sur la nécessité d’un repérage précoce, puis de la mise en place de remédiations et rééducations pour ce type de troubles.

Un quadrillage de dispositifs

Malgré l’absence de consensus scientifique, le haut potentiel ainsi que les troubles dys – figurent dans le Code de l’éducation, ouvrant le droit à des aménagements des contenus et du rythme d’enseignement, ainsi qu’à des adaptations des examens terminaux pour les élèves diagnostiqués.

Ainsi, si ces troubles ne donnent pas systématiquement lieu à la reconnaissance d’un handicap, différentes formes de projets individualisés sont tout de même proposés dans le cadre scolaire. Ces différents dispositifs révèlent l’impact réel qu’ont ces diagnostics – qui concernent environ 5 % de la population d’âge scolaire – sur le parcours des élèves concernés.

Cette médicalisation des difficultés scolaires est paradoxale : en effet, tendre vers la réussite de tous les élèves passerait par un étiquetage de plus en plus exhaustif des difficultés rencontrées par chacun.

On peut difficilement critiquer un discours visant à aider les enfants en difficulté au nom de plus d’égalité, avec pour objectif de soutenir leur accroche à l’école et aux apprentissages. Cependant, il existe bien un paradoxe fort entre la volonté de faire réussir chaque élève et, en même temps, le découpage de plus en plus fin des catégories que l’on va attribuer à ces élèves.

Ce découpage va de pair avec un quadrillage de dispositifs de plus en plus serré : repérages précoces, prises en charge, adaptations pédagogiques allant jusqu’à l’adaptation des examens terminaux. Ces catégories ne sont donc pas sans effet sur ces élèves et les adultes qui les accompagnent.

Un dépistage accru

Quarante-sept acteurs de l’éducation et du soin nous ont répondu sur la définition qu’ils en donnent, et leur manière de faire avec, dans leur exercice quotidien.

Cet échantillon comprend des enseignants en milieu ordinaire ou spécialisé, des inspecteurs de l’éducation nationale, des médecins et des psychologues scolaires, ainsi que diverses professions impliquées auprès des enfants et adolescents en difficulté scolaire – AESH, éducateurs, infirmiers.

Ces personnes exercent dans différents établissements (école élémentaire, collège, centre d’information et d’orientation, hôpital de jour) qui se répartissent entre secteurs rural, semi-urbain et urbain, ainsi qu’entre réseau d’éducation prioritaire (REP) et milieu plus favorisé.

L’analyse qualitative de ces discours permet de révéler les représentations qui traversent le monde social : explorons ce que cette catégorisation produit comme effets, dans le réel des pratiques. Tous les acteurs s’accordent sur la forte augmentation de ces troubles comme explication aux difficultés scolaires, depuis une vingtaine d’années, accompagnée d’un dépistage accru et de plus en plus précoce.

Une enseignante souligne que « dès qu’il y a une difficulté on cherche un trouble », résumant l’idée aujourd’hui dominante qu’une certaine part des enfants relève de troubles (diagnostiqués ou non) depuis le début des années 2000.

Dépossession pédagogique ?

Nos entretiens ont mis en lumière des manières très disparates de repérer ces « troubles » dans les classes, avec par exemple une forme de « diagnostic autonome » de la part de certains enseignants, sans consultation médicale, et parfois même sans bilan orthophonique.

Une psychologue tente d’expliquer cette tendance :

« Ça passe rapidement dans le langage courant, et quand par exemple un élève va juste inverser deux lettres […] les enseignants, ou les parents vont avoir tendance à dire : c’est peut-être une dyslexie. »

Selon un inspecteur de l’éducation nationale, une part conséquente d’enfants sont envisagés comme étant porteurs de troubles dys – au sein de l’école, sans même avoir rencontré de médecin pour objectiver ce diagnostic.

Cette tendance à la désignation spontanée d’un enfant comme dyslexique, ou encore hyperactif va de pair avec un effet de dépossession pédagogique : la majorité des enseignants ont le sentiment de manquer de formation face à ces troubles spécifiques.

Ils cherchent pour la plupart à se former de manière autonome, et fabriquent ou financent eux-mêmes du matériel adapté aux enfants qu’ils accueillent dans leur classe. Ces constatations pourraient rester anecdotiques si ces troubles n’étaient pas décrits – par la littérature scientifique – comme « durables », notion que s’approprie une principale de collège REP : « C’est pas curable, la dyslexie, c’est vraiment un cheminement neurologique qui est différent », partageant avec la majorité des enquêtés l’idée que tant que l’enfant sera en apprentissage, il nécessitera compensations et rééducations.

Une individualisation des parcours ?

Sans prétendre résumer les multiples questions soulevées par ces « troubles des apprentissages », nos résultats interrogent l’intérêt que peuvent avoir les politiques publiques à systématiser le repérage de ces troubles au sein de l’école, et proposer une variété d’aménagements et d’orientations en regard.

Ce repérage précoce massifié peut en effet être mis en regard du caractère exceptionnel du redoublement depuis 2014, mais aussi des effectifs élevés dans chaque classe dès l’école élémentaire.

Les acteurs soulignent que l’individualisation pédagogique est ainsi rendue très difficile, alors même qu’elle est – avant toute mise en place d’un quelconque dispositif d’adaptation – la base du métier d’enseignant.

Le fait de reconnaître un enfant comme porteur de tel ou tel trouble produit déjà un effet, connu sous le nom d’étiquetage, selon la célèbre théorie de Becker, qui met en garde contre de potentiels effets de mise en conformité avec l’étiquette apposée.

L’enfant désigné dysgraphique ou hyperactif pourrait bien avoir du mal à se dégager de cette désignation, puisqu’il bénéficiera de prises en charge spécifiques, d’interactions pédagogiques et d’adaptation des enseignements qui marqueront incessamment l’existence de son « trouble », y compris au sein de l’école et de sa famille.

Il ne s’agit donc pas uniquement de controverses scientifiques ou éducatives, mais bien d’un phénomène de catégorisation ayant des implications et des effets dans la scolarité des enfants et des adolescents d’aujourd’hui.

La multiplication des diagnostics de plus en plus précoces conditionne l’accès aux savoirs des jeunes concernés, dans le contexte d’une école permettant de moins en moins l’individualisation spontanée du rythme d’apprentissage.The Conversation

Cécile Charazas, Attachée temporaire enseignement-recherche, doctorante en Sciences de l’éducation, Université de Bordeaux

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Burn-out des élèves : ces risques à prendre en compte
Aline Vansoeterstede, Université de Paris; Emilie Boujut, Université de Paris et Emilie Cappe, Université de Paris

De nombreuses recherches ont été menées sur le stress en milieu professionnel et ses conséquences sur la santé des travailleurs. Cette notion est aujourd’hui largement intégrée dans le cadre de la prévention des risques psycho-sociaux (RPS) au travail.

Actuellement, l’idée que, dans le cadre scolaire, les élèves puissent également être soumis à ce type de risques commence à s’imposer. Hélène Romano, psychologue et chercheuse en psychopathologie a proposé en 2016 de les définir comme

« toute source de stress en milieu scolaire, susceptible de nuire à l’élève sur le plan physique, psychologique, scolaire et ayant de possibles répercussions sur sa vie familiale et sociale ».

Au collège et au lycée, les élèves sont soumis à de nombreux facteurs de stress : pression de la part des parents et des enseignants, charge de travail personnel, incertitude liée à l’orientation, conflits interpersonnels (harcèlement par exemple). Une étude de 2015 menée en France a montré que leur stress tendait à augmenter régulièrement, 17,1 % d’élèves se déclarant très stressés en sixième et jusqu’à 49,6 % en Terminale.

Or, dans le milieu professionnel, il a été montré que le stress chronique pouvait engendrer un syndrome de burn-out. Celui-ci se caractérise par l’association entre un épuisement émotionnel et physique, une attitude cynique envers son activité et un sentiment d’inadéquation (impression de ne pas être à la hauteur). Cette notion, déjà appliquée aux étudiants depuis le début des années 2000, est aujourd’hui transposée chez les élèves du secondaire, notamment par des chercheurs en psychologie de l’éducation et de la santé, et les travaux dans ce domaine se multiplient depuis les années 2010.

Comme dans le milieu professionnel, le burn-out des élèves affecte leur motivation, leur persévérance scolaire (risque de décrochage) et leur santé mentale. C’est pourquoi les chercheurs essaient d’en comprendre les facteurs de risque et d’en identifier les conséquences.

Un syndrome psychologique

Quand on parle de burn-out, la plupart des personnes se représentent une maladie, caractérisée par un épuisement qui atteindrait un tel paroxysme que la personne touchée se trouverait un jour, brutalement, dans l’incapacité physique de se rendre sur son lieu de travail. C’est cette manière de concevoir le burn-out qui est principalement mobilisée dans les médias.

Mais, selon l’approche à laquelle nous nous référons, le burn-out est en fait un syndrome psychologique que l’on évalue sur un continuum, plutôt qu’un trouble ou une maladie, même s’il peut parfois mener à une incapacité totale de travailler. Dans ce cadre, on le définit comme une relation subjective de l’élève à son travail scolaire associant :

  • épuisement (fatigue émotionnelle et physique, difficulté à se détendre et à récupérer) ;

  • cynisme (attitudes négatives et détachées, perte de sens du travail scolaire) ;

  • sentiment d’inadéquation en tant qu’élève (dévalorisation de son travail et de ses compétences scolaires, sentiment d’échec).

Certains élèves peuvent avoir un niveau de burn-out élevé tout en continuant à venir en classe. Les échelles de mesure du burn-out scolaire permettent de situer les élèves sur un continuum sans qu’il y ait de score seuil défini à partir duquel on déclare un élève en burn-out de manière binaire. Par conséquent, il n’y pas non plus de consensus scientifique sur la manière d’évaluer la prévalence du burn-out scolaire.

Certains chercheurs estiment cependant qu’un « état d’esprit » caractéristique du burn-out, c’est-à-dire un score élevé dans les trois dimensions qui le constituent, serait présent chez 7 % à 21 % des élèves selon les pays européens.

Par ailleurs, de récentes analyses ont pu montrer qu’il existe aussi un groupe d’élèves qui ; tout en étant épuisés, maintiennent un engagement émotionnel important dans leur travail. Ces élèves trouvent du sens à leur travail scolaire et restent motivés mais ressentent une forte pression permanente. À la fois très engagés dans leur travail et stressés de manière chronique, ils pourraient représenter un groupe à risque également, pouvant se désengager plus tard dans leurs études supérieures ou leurs emplois.

Une dégradation de la qualité de vie

Le burn-out scolaire en soi est un état de tension désagréable qui impacte la qualité de vie. Il peut aussi avoir des conséquences négatives sur les parcours scolaires, professionnels et sur la santé mentale. A niveau scolaire égal, les élèves qui présentent un niveau de burn-out plus élevé ont moins d’ambition scolaire et sont plus à risque d’abandonner l’école, en particulier les lycéens avec des scores élevés en cynisme et sentiment d’inadéquation.

En outre, comme le burn-out professionnel, le burn-out scolaire peut avoir des répercussions sur l’ensemble du fonctionnement psychologique des adolescents. Les adolescents en burn-out ont plus de symptômes anxieux et dépressifs et consomment davantage de substances toxiques.

On peut distinguer trois séries de causes du burn-out scolaire : les causes liées au cadre de travail, celles liées aux relations interpersonnelles et celles liées à des caractéristiques individuelles. Le burn-out étant principalement causé par la charge de travail personnel et la pression qu’elle engendre sur les élèves, il a tendance à s’aggraver au cours des études secondaires. De même, il est plus important en voie générale de lycée qu’en voie professionnelle.

Les élèves sont particulièrement sensibles à leurs relations avec les enseignants et celles-ci peuvent être un facteur de burn-out scolaire quand elles sont de mauvaise qualité. La pression des parents (les exigences liées à la réussite par exemple) ou le fait d’avoir des relations familiales compliquées peuvent aussi y contribuer.

Enfin, certains traits de personnalité pourraient exposer au risque de burn-out, comme le perfectionnisme dysfonctionnel (douter en permanence de ses actions, craindre de faire des erreurs) ou une mauvaise estime de soi. Enfin, la pression scolaire peut être particulièrement mal vécue par les élèves qui sont les moins motivés ou ceux qui ont une mauvaise image d’eux-mêmes car ils peuvent ne pas se sentir capables de relever les défis scolaires (réussir les évaluations, gérer la charge de travail) auxquels ils sont confrontés.

Des programmes de soutien à développer

Aussi, la manière la plus simple d’éviter le burn-out est sans doute de choisir une voie scolaire qui corresponde à la fois aux intérêts de l’élève mais aussi à ses compétences scolaires et ses capacités de gestion de la charge de travail. Pour éviter le burn-out scolaire d’un élève n’augmente, les rencontres avec les psychologues de l’Éducation Nationale seraient utiles. Cependant, ceux-ci sont trop peu nombreux (souvent un pour 1500 élèves dans le secondaire) pour pouvoir apporter un accompagnement de qualité à tous les élèves qui en auraient besoin ou qui en expriment la demande.

Quelques programmes d’intervention ont été créés par des chercheurs en psychologie à destination de petits groupes de lycéens concernés par le burn-out scolaire. Ils ont pu montrer leur efficacité. Ces interventions visent généralement à renforcer les ressources des élèves, par exemple en travaillant sur leurs forces et leurs réussites ou sur leur motivation et leurs stratégies pour faire face au stress. Ces interventions sont toutefois difficiles à implémenter en établissement du fait de leur coût puisqu’ils nécessitent du temps et du personnel bien formé. On estime en effet que la durée d’intervention optimale est d’au moins huit séances ou plus (de 45 à 90 minutes) pour pouvoir espérer un effet significatif.

Par ailleurs, on sait que le soutien que les élèves perçoivent de la part de leurs enseignants est un des facteurs protecteurs les plus importants vis-à-vis du burn-out. Aussi, certains chercheurs soutiennent l’idée que développer l’intelligence émotionnelle (c’est-à-dire la capacité à traiter les informations émotionnelles : comprendre leurs causes et les gérer) et le bien-être des enseignants eux-mêmes pourraient être des leviers prioritaires de la prévention car cela renforcerait leur capacité à soutenir leurs élèves.

Il est donc essentiel d’aider les enseignants à nouer des relations positives avec les élèves les plus difficiles. En dehors de programmes d’intervention spécifiquement dédiés à la réduction du burn-out, on pourrait également imaginer mieux former les enseignants aux problématiques de stress afin qu’ils puissent aider leurs élèves, dans le cadre de l’accompagnement méthodologique, à réagir plus positivement aux échecs, mieux s’organiser pour gérer la charge de devoirs et de révisions. Cela pourrait passer par des programmes de formation continue, notamment sur les questions de stress scolaire et l’appréhension des élèves « difficiles » et par des conditions de travail de qualité leur permettant d’offrir un encadrement suffisant aux élèves.The Conversation

Aline Vansoeterstede, Doctorante en psychologie de la santé appliquée à l'éducation , Université de Paris; Emilie Boujut, Maitre de conférences en Psychologie de la santé, Université de Paris et Emilie Cappe, Professeur des universités en psychologie clinique et psychopathologie, Université de Paris

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Quel regard les enseignants portent-ils sur l’école inclusive ?
Mickaël Jury, Université Clermont Auvergne (UCA)

Depuis plusieurs années et notamment la loi du 8 juillet 2013, le système scolaire français se transforme pour permettre à tous les élèves, et notamment ceux en situation de handicap, d’accéder à l’école et aux apprentissages. Dit autrement, l’école française a accepté de se repenser afin de s’adapter aux besoins de tous les élèves, y compris ceux et celles qui étaient privés jusqu’alors d’une scolarisation « ordinaire ». Cet objectif, inscrit dans un mouvement international (voir l’Agenda 2030 de l’Unesco), est non seulement louable, mais porte aussi ses fruits.

Tout cela demande un engagement fort de la part des enseignants, il est donc important de considérer ce que ces acteurs et actrices essentielles de l’éducation pensent de ce changement de paradigme. En effet, leurs attitudes peuvent (modestement) permettre de prédire leur implication dans des pratiques visant l’inclusion des élèves en situation de handicap. Ainsi, plus les enseignants seraient favorables à l’inclusion scolaire et plus ils seraient prompts à adopter des gestes professionnels soutenant l’apprentissage de tous les élèves.

Sur ce point, une méta-analyse récente (c’est-à-dire une étude combinant l’ensemble des études sur une question donnée) a mis en évidence que celles-ci seraient plutôt positives tout en étant teintées d’une certaine ambiguïté. Plus précisément, si les enseignants expriment des attitudes positives envers l’idée générale de l’éducation inclusive, ils expriment davantage de réticences à la mise en pratique de celle-ci dans leur propre classe. Bien sûr, ces attitudes varient selon de multiples facteurs, certains liés aux individus (élèves ou enseignants), d’autres à l’environnement.

Des déterminants liés aux personnes

Un nombre conséquent de travaux a cherché à comprendre l’influence de caractéristiques liées à l’enseignant (ce qu’il ou elle est) ou même aux élèves (ce qu’ils ou elles sont) sur les attitudes exprimées. Touchant les premiers, s’il semble qu’il y ait relativement peu de variations dans les attitudes entre les enseignantes et les enseignants ou même en fonction de l’âge ou l’expérience, il apparaît néanmoins de manière extrêmement claire que ceux et celles qui ont le plus confiance en leur capacité à enseigner sont aussi ceux et celles qui expriment les attitudes les plus favorables. Dit autrement, un enseignant qui doute peu de ses compétences professionnelles serait plus prompt à accepter l’ensemble des élèves dans sa classe.

Touchant les élèves, il semble que les difficultés rencontrées puissent également influencer particulièrement les attitudes du corps enseignant. Ainsi, si l’inclusion d’élèves à mobilité réduite ne semble plus faire l’objet de contestation, cela est moins le cas pour les élèves faisant face à une situation de handicap invisible.

Dans nos propres travaux, menés en collaboration avec Anne-Laure Perrin, Odile Rohmer et Caroline Desombre, nous avons pu confirmer ces résultats auprès d’enseignants français en montrant que ces derniers sont globalement plus défavorables à l’inclusion des élèves porteurs de troubles du spectre de l’autisme, par rapport aux élèves présentant une déficience intellectuelle ou une déficience motrice. Cela semble s’expliquer par le fait qu’ils ou elles associent spontanément aux élèves porteurs d’un trouble du spectre de l’autisme des comportements qui pourraient nuire à la conduite de la classe.

Si ces travaux sont éclairants, il faut néanmoins noter qu’ils présentent le risque d’amener à penser que les enseignants (particulièrement ceux et celles qui se sentent les moins compétents) seraient de fait les seuls responsables des difficultés de la mise en place de l’école inclusive (en refusant davantage certains élèves que d’autres). Or, comme discuté dans la partie suivante, nous pensons que pour comprendre ces difficultés, il faut aussi porter un regard critique sur l’organisation même de notre système éducatif.

L’école, entre inclusion et sélection

Les travaux en sociologie de l’éducation ont depuis longtemps mis en exergue le fait que les systèmes éducatifs occidentaux ont à la fois une fonction de formation et une fonction de sélection. Ainsi, si l’école doit « transmettre » des savoirs afin que chacun puisse « développer un socle commun de connaissances, de compétences et de culture », elle doit aussi permettre l’identification, parmi l’ensemble des élèves, de celles et ceux qui sont les plus aptes à obtenir les diplômes, celles et ceux qui seraient les plus méritants.

Le système éducatif français devrait donc, grâce à une démocratisation de l’accès aux savoirs, offrir à l’ensemble des élèves les mêmes opportunités de développer leur potentiel, tout en ayant pour objectif de « faire le tri » afin d’assurer aux élèves sélectionnés une place correspondant à leur mérite individuel.

Toutefois, cette fonction de sélection ne semble pas autant se baser sur le mérite qu’elle le prétend et il nous est apparu important de poser la question de l’articulation entre celle-ci et l’école inclusive. Si, a priori, vouloir identifier les élèves les plus méritants n’empêche pas de proposer des pédagogies adaptées aux besoins de tous les élèves, il semble que la réalité puisse être un peu différente. En effet, tout se passe comme si lever les barrières à l’apprentissage de certains pourrait venir contrecarrer le principe d’une comparaison juste entre les élèves (qui ne sont plus sur la même ligne de départ, n’ayant pas tous reçus la même enseignement/évaluation).

C’est ce qu’appuient en partie nos travaux, menés en collaboration avec Kamilla Khamzina, en mettant en évidence que plus les enseignants souscrivent à l’idée de la sélection à l’École et moins ils ou elles soutiennent la politique d’éducation inclusive. Dit autrement, l’organisation même du système éducatif à travers sa fonction de sélection semble pouvoir créer des barrières à la mise en place de l’éducation inclusive en mettant notamment les enseignants face à un dilemme entre sélectionner et inclure. Mais alors, existent-ils des solutions pour soutenir la mise en place de cette politique ?

Si les enseignants réclament légitimement des moyens supplémentaires pour soutenir la mise en place de l’école pour tous et toutes, il semble particulièrement pertinent que ceux-ci soient investis dans la formation. En effet, il apparait que plus les enseignants ont une compréhension fine de ce qu’est cette politique inclusive, plus ils ou elles y sont favorables. En outre, mieux les former permettrait d’améliorer leur sentiment d’efficacité personnelle et donc, par extension, leurs attitudes.

Si les changements récents touchant la formation initiale sont encourageants, il nous semble très important de soutenir également la formation continue à travers la mise en œuvre des décisions législatives prises il y a plusieurs années et le développement de celle-ci. Si la formation n’est assurément pas la seule réponse, elle est pour autant essentielle pour faire évoluer les mentalités et permettre à l’ensemble des élèves de trouver leur place à l’école.The Conversation

Mickaël Jury, Maître de conférence en psychologie à l'INSPÉ Clermont Auvergne, Université Clermont Auvergne (UCA)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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