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Carte de visite

Cours universitaires et travaux de recherche sur les questions d'apprentissage des jeunes et des adultes, science du développement humain, sciences du travail, altérités et inclusion, ressources documentaires, coaching et livres, créativités et voyages. Philippe Clauzard : MCF retraité (Université de La Réunion), auteur, analyste du travail et didacticien - Tous les contenus de ce blog sont sous licence Creative Commons.  

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C’est l’élève qui apprend et lui seul

« Nous n’en sortirons pas sans cette évidence : c’est l'élève qui apprend, et lui seul. Il apprend à sa manière, comme n'a jamais appris ni n’apprendra personne. Il apprend avec son histoire, en partant de ce qu’il sait et de ce qu’il est. Aucune pédagogie ne peut faire l'économie de ce phénomène ; toute pédagogie doit s’enraciner dans l'élève, dans ses connaissances empiriques, ses représentations, son vécu. Apprendre, c’est toujours, d’abord, être impliqué et se dégager progressivement de cette implication première pour accéder à l’abstraction ; c'est un parcours singulier que personne ne peut faire à votre place.

C’est pourquoi la plupart des pédagogues affirment qu’il convient de partir de l'élève, de ses besoins et de ses intérêts. Et ils ajoutent justement que l’on ne doit pas s’en tenir là, que l'on doit aussi lui fournir des outils pour dépasser ces besoins et ces intérêts, lui permettre d'accéder à des représentations épurées, à des connaissances scientifiques. La pédagogie, en ce sens, n’est rien d’autre que l’art de la médiation, elle bricole dans l'intermédiaire, s’ingénie à construire une arche entre l’enfant et le savoir. »

Philippe Meirieu, L'école, mode d'emploi,1985, p.95

 

Apprendre, c’est faire œuvre de soi-même

« La décision d'apprendre se prend seul et pour des raisons qui n’appartiennent pas, pourtant, à celui qui la prend. Elle se prend, au contraire, pour se « décoller » de ce que l'on « est », pour

« se dégager » de ce que l’on dit et l’on sait de vous, pour « différer » de ce que l’on attend et de ce que l’on a prévu. Car il y a toujours une multitude de « on », auprès de vous et en vous, qui savent mieux que vous ce que vous pouvez et devez apprendre, ce qui est à votre portée, ce qui correspond à votre profil, ce qui entre dans vos capacités ou renvoie à votre ascendance astrologique. Il y a toujours une multitude de « on » qui préféreraient, pour reprendre la distinction de Paul Ricœur, vous voir enfermé dans votre idem, dans votre « caractère » ou votre « personnalité », dans ce dont vous avez hérité et qui constitue votre identité stable plutôt que de vous laisser exprimer votre ipse, ce par quoi vous décidez de différer de tout cela. Ceux-là ne vous autorisent pas — c’est-à-dire n’acceptent pas de vous « rendre auteur » — d'autre chose que de la « mêmeté » qui vous colle à la peau ; quand vous pourriez prendre

appui sur votre identité pour oser votre différence, ils vous assignent à résidence en vous-même. Par leurs regards, par leurs gestes les plus banals et par l’organisation de leur pédagogie, ils ne cessent de vous dire, au nom du sacro-saint réalisme : « Voilà ce que tu es. Voilà ce que tu dois faire. » Or, apprendre c’est précisément déjouer les pronostics de tous les prophètes et les prédictions de tous ceux qui vous veulent du bien et disent connaître votre véritable « nature ». Apprendre, c’est oser subvertir sa véritable « nature », c’est un acte de révolte contre tous les fatalismes et tous les enfermements, c’est l'affirmation d’une liberté qui permet à un être de déborder de lui-même. Apprendre, au fond, c’est « se faire œuvre de soi-même ».

Philippe Meirieu, Frankenstein pédagogue,1996 p. 68-69

 

C’est l’élève qui construit son savoir

« Dans la lignée des mouvements d'éducation nouvelle, renforcée par la psychologie piagétienne, on se rend compte que c’est l'élève qui construit son savoir à partir de son activité (manipulatoire comme intellectuelle), et que personne n’est en mesure de se substituer à lui dans ses réorganisations cognitives successives. C’est, ici, la part d’autostructuration de la connaissance. Le rôle de l’enseignant est d’abord ici de mettre en place des dispositifs facilitants et de réguler des apprentissages qui, en tant que tels, lui échappent. L'autre pôle de la tension qu’il faut appréhender simultanément, c’est l’idée que l'essentiel des connaissances que l'élève maîtrise, au terme de sa scolarité, ne résulte pas, loin de là, de ses investigations et de ses découvertes personnelles. Les apports externes ont, eux aussi, une place tout à fait centrale, et surtout l’objet du savoir se situe en rupture avec les intérêts, les besoins et les questions des élèves au moins autant que dans leur prolongement. C'est là, la part d’hétérostructuration des connaissances. (…) Dans ce processus, on voit bien que le rôle de l'enseignant est tout à fait décisif, certains pourraient même dire manipulateur. En réalité, il s'efforce de réussir la médiation vers un savoir qu’il sait ne pas pouvoir donner, et auquel, pourtant, les élèves seraient incapables d'accéder de leur propre mouvement. Il est contraint pour ce faire, d'intervenir de manière décisive, mais sur un mode qui n’est pas substitutif à l’activité propre des élèves, sous peine de retomber dans un effet Topaze. Un tel mode d'intervention, décisif mais non substitutif, peut être relié à ce que le psychologue américain Jérôme Bruner a appelé la fonction d'étayage de l'adulte. »

Jean-Pierre Astolfi, L'école pour apprendre, 1992, P. 113-114

 

Distinguer savoirs, connaissances, informations

« Le savoir : le terme est parfois distingué de celui de connaissance ou d’information et se confond alors avec celui de science. Le savoir, ce n’est plus dans ce cas ce qui est personnel, mais c’est ce qui relève d'une communauté qui a décidé de statuer sur une connaissance pour l’ériger en savoir. Dans ce cas, le savoir serait universel, la connaissance singulière. Jacques Legroux (1981) va dans ce sens. L'information, pour cet auteur, désigne des faits, des commentaires dont il est possible de prendre connaissance dans son entourage par la radio, la télévision, la presse, une conférence, une discussion, une lecture. L'information constitue une donnée extérieure à la personne, qu'il est possible de stocker (livre, bande magnétique ou magnétoscopique, mémoire d'ordinateur) et de redécouvrir identique à plusieurs années de distance.

Lorsque l'information est reçue par une personne, celle-ci se l’approprie, la fait sienne. L'information externe devient sa connaissance propre. Ainsi le même discours est entendu diversement par ses auditeurs, le même livre est perçu différemment selon ses lecteurs. Pour chacun, l'information impersonnelle devient connaissance personnelle.

La connaissance est intérieure à la personne et, en tant que telle, n’est pas stockable ailleurs que dans la mémoire du sujet où le temps la transforme. Elle risque de ne pas être identique chez un sujet à plusieurs années de distance. »

Michel Develay, Donner du sens à l’école,1996, p. 41-42

 

Connaissances déclaratives et procédurales

« Les connaissances déclaratives : le terme est emprunté à la psychologie cognitive, depuis un article de Winograd (1975). « Les connaissances déclaratives sont celles qui s'expriment dans le langage naturel ou un autre langage symbolique, et les connaissances procédurales dans l’activité finalisée. » Conservons l'idée qui resterait à affiner, que les connaissances déclaratives sont de l’ordre du discours, du savoir, alors que les connaissances procédurales sont de l'ordre de l’action, du savoir-faire.

Nous avons déjà rencontré des élèves qui maîtrisent des connaissances déclaratives parce que capables de réciter une règle de grammaire, une loi de physique, un théorème mathématique où un principe d'action pour analyser un texte, mais qui ne parviennent pas à appliquer cette règle, cette loi, ce théorème, ce principe. Inversement, certains élèves sont parfois capables d'appliquer un algorithme de résolution d’un problème sans parvenir à expliciter ce qu'ils ont fait. Le passage du déclaratif au procédural, et, inversement, est une question importante Pour comprendre les difficultés d'apprentissage des élèves. »

Michel Develay, De l'apprentissage à l'enseignement, 1992, p. 36

 

Les connaissances ne sont pas des poupées russes : jeu de perception

«  On croit parfois, sans doute parce que cela renvoie à une apparente rationalité, que les différents niveaux de l'apprentissage s'emboîtent comme des poupées russes: il y aurait d’abord une phase d'identification au cours de laquelle le sujet mettrait en œuvre des activités perceptives appuyées sur des capacités sensorielles, suivie d’une phase centrée sur la signification dans laquelle le sujet intégrerait la nouveauté en percevant son intérêt, l’usage qu’il peut en faire ou le sens qu’il peut lui donner, et ensuite une phase d’utilisation où le sujet réinvestirait la connaissance, l’utiliserait à des fins personnelles, bref en maîtriserait enfin l'usage et la posséderait vraiment. Les connaissances s’emboîteraient, alors ainsi : je dois d'abord savoir que le marteau est dans l'atelier, je dois ensuite savoir à quoi sert le marteau pour pouvoir, enfin, utiliser cet outil.

Certes, une telle conception peut avoir une valeur régulatrice pour permettre d'organiser un cours ; elle est d’ailleurs très largement réfractée par la plupart des manuels scolaires : on y repère d’abord, on y comprend ensuite, on fait les exercices enfin. Mais, en réalité, cette conception ignore la réalité des processus mentaux ; elle ignore, en particulier, qu'une simple identification perceptive n'existe pas, qu’une information n’est identifiée que si elle est déjà,

d’une certaine manière, saisie dans un projet d'utilisation, intégrée dans la dynamique du sujet et que c’est ce processus d'interaction entre l'identification et l’utilisation qui est générateur de signification, c’est-à-dire de compréhension. »

Philippe Meirieu, Apprendre... oui, mais comment, 1987, P. 54

 

La zone proximale de développement, entre point d’appui et déstabilisation

« Une situation d’apprentissage véritable suppose de manière simultanée et complémentaire, une certaine déstabilisation (faute de quoi, il n’y a rien, vraiment, à apprendre) en même temps qu’un point d’appui possible (sinon ce qu’il y a à apprendre n’est même pas repérable comme tel). Son efficacité suppose qu’elle joue bien sur ce que Bruner appelle la zone proximale. Il reprend, ce faisant, les travaux du grand psychologue russe Lev Vygotski, qu’il a contribué à diffuser en Occident après la mort prématurée de ce dernier en 1934.

Aujourd’hui, avec même un effet de mode, on redécouvre Vygotski (qui aurait sans doute été le challenger de Piaget) et, notamment, son concept central de zone proximale du développement (ZPD) ou zone du développement proche, selon les traductions.

Alors que la tradition piagétienne place les possibilités didactiques sous la dépendance du développement intellectuel et de ses fameux stades (au-delà de l’incompétence déclarée de l'intéressé en pédagogie), Vygotski conceptualise l'apprentissage d’une manière qui lui « fait prendre les devants » par rapport à l’état cognitif présent. Il ajoutait, suivant une expression restée célèbre que « si l'enfant fait un pas par l'apprentissage, il avance de deux pas dans son développement ». On sait que, pour Vygotski, la ZPD est une distance, celle qui sépare ce dont l'enfant est capable quand il travaille seul, de ce qu’il est en mesure de réussir en collaboration avec un adulte ou des pairs (cf. la « fonction de tutelle » chez Bruner). Et Vygotski d’ajouter : « Ce que l'enfant sait faire aujourd’hui en collaboration, il saura le faire tout seul demain. » C’est pourquoi certains préfèrent traduire l'expression de Vygotski par zone du développement potentiel.

L'efficacité dans l’apprentissage consisterait ainsi à anticiper sur le développement, dans les limites, évidemment, de la ZPD. Presque soixante ans après, on n'a pas le sentiment que ces perspectives soient aujourd’hui dépassées, quand on les rapporte à la nature des activités scolaires auxquelles sont confrontés journellement les élèves. Sur ce point, peut s'établir une parenté théorique avec le concept d’objectif-obstacle. L'obstacle franchissable correspond bien à ce qui est susceptible d’être réussi, même si la tâche n’est pas aisée, à condition que des activités didactiques cohérentes soient mises en place à cet effet, activités qui font évidemment jouer la coopération, les activités par groupes et l’aide magistrale. Et qui conduisent, du coup, à un progrès intellectuel, seul objectif véritablement en jeu et possédant sa traduction en termes de développement. »

Jean-Pierre Astolfi, L'école pour apprendre, 1992, P. 141-142

Les représentations, obstacles et /ou points d’appui ??

« Jean Migne définit une représentation comme « la manière dont un individu donné, à un moment donné, dans une situation donnée mobilise ses connaissances antérieures ». Il s’agit bien d’une théorie personnelle du sujet, à distance plus ou moins grande du concept, qui peut renvoyer à deux attitudes de la part de l'enseignant :

— considérer la représentation comme une erreur à éliminer, et de l'erreur à la faute il n’y a souvent qu’une faible distance à parcourir. L'enseignement n’a pas alors à s'intéresser aux représentations ;

— aborder la représentation comme le système explicatif du sujet qui est à comprendre et à analyser en termes d'obstacles ou de point d'appui pour atteindre le concept. La représentation est alors à prendre en compte de manière centrale dans un apprentissage donné. Apprendre devient alors la capacité pour le sujet à changer de système de représentations. »

Michel Develay, De l'apprentissage à l'enseignement, 1992, p. 78-79

 

Travailler les représentations au sens où un potier travaille la terre

« [...] L'enfant, en arrivant dans la classe, comme l'adulte en arrivant en formation, dispose de toute une série de connaissances. Il « sait » comment marche une automobile, ce qu’est un rayon laser, pourquoi il y a du vent et comment se reproduisent les plantes. Il sait ce que sont la « nature » et la « fonction » d'un mot, ce que représente « l'infini », de la même manière qu'il « sait » pourquoi on lui pose ce problème et ce que l’on attend de lui en lui faisant faire

cet exercice... Certes, on peut toujours faire abstraction de ce « savoir » et engager un apprentissage comme s’il n’en était rien ; on a alors toutes les chances de simplement superposer à ce « savoir » antérieur un « savoir scolaire », vernis superficiel qui craquera dès

que la situation scolaire qui l’a mis en place disparaîtra. Vous pouvez expliquer à des enfants que ce qui fait pousser une graine, c’est l’eau, et vérifier cette acquisition, sans toucher pour autant le moins du monde à la représentation selon laquelle ce qui fait pousser la graine, c'est la terre : quelques jours après la leçon, l'enfant se sera « libéré » de votre savoir savant et sera revenu à la confusion terriblement prégnante du lieu avec la cause... En interrogeant récemment des élèves de première sur la Révolution de 1789, j'ai pu constater que ceux-ci, alors qu’ils ont étudié au moins quatre fois dans leur scolarité cet événement historique, croient et affirment toujours que, en 1789, on a guillotiné le roi et instauré la République !

On n’a donc aucune chance de faire progresser un sujet si l’on ne part pas de ses représentations, si on ne les fait pas émerger, si on ne les « travaille pas », au sens où un potier travaille la terre, c’est-à-dire non pour lui substituer autre chose mais pour la transformer. Car il y aurait beaucoup d’illusion à croire que, quand on a repéré la représentation par un entretien, une mise en situation ou un dessin, il suffit de l’exorciser pour la chasser de l’esprit de l'élève et lui substituer la vérité scientifique. Un sujet ne passe pas ainsi de l'ignorance au savoir, il va d’une représentation à une autre, plus performante, qui dispose d’un pouvoir explicatif plus grand et lui permet de mettre en œuvre un projet plus ambitieux qui, lui-même,

contribue à la structurer. Et chaque représentation est, à la fois, un progrès et un obstacle ; elle est même d'autant plus un obstacle qu’elle aura constitué un progrès décisif et que, en raison de cela, le sujet lui sera d'autant plus attaché. »

Philippe Meirieu, Apprendre… oui mais comment, 1987, p.59-60

 

Qu'est-ce qu’un schème ?

« Si Bachelard alerte sur le fait que les erreurs des élèves sont les indices d'obstacles qui résistent et qu’on tend à sous-estimer, Piaget a insisté pour sa part sur le fait qu’on ne peut pas brusquer les étapes. À l’idée d’obstacle fait ici place celle de « schème », centrale chez cet auteur. Pour lui, les schèmes sont les instruments de connaissance dont dispose un sujet pour comprendre et pour interpréter la réalité extérieure. Ils se situent à différents niveaux, depuis les schèmes sensori-moteurs de la petite enfance (schèmes de succion ou de préhension) jusqu'aux schèmes opératoires les plus élaborés de la pensée formelle (schèmes de la proportionnalité) en passant par une diversité de schèmes d’action.

Qu'est-ce qu’un schème ?

Le mot schème est construit sur la même racine que schéma (du grec: skhêma, signifiant forme ou figure), tous deux ayant un statut abstrait et stylisé, mais s'opposant un peu comme l'intention à l’action :

— le schéma, bien qu’appartenant au domaine de l’image, conserve un statut d'objet, aussi épuré soit-il ;

— le schème au contraire, n’est qu'une virtualité et ne désigne pas l’action elle-même, mais la structure générale commune à un ensemble d’actions.

Les schèmes ne sont donc pas les actions ni les opérations en elles-mêmes, mais ce qu’il y a de transposable, de généralisable ou de différenciable d’une situation à la suivante. Ils correspondent à une « stylisation » des actions et opérations qui se « schématisent » par répétition, autrement dit à la structure générale commune aux diverses répliques ou applications de la même action. Nous dirons, avec Marie-Françoise Legendre-Bergeron, qu’ils se caractérisent par le fait qu’ils se conservent dans leurs répétitions, se consolident par l'exercice et tendent à se généraliser au contact du milieu, donnant alors lieu à des « différenciations » et des « coordinations » variées. D'où l’apparition de nouvelles conduites, qui s’élaborent à partir des schèmes initiaux et de leurs interactions adaptatives avec le milieu (Legendre-Bergeron, 1980).

N'oublions pas, de plus, que le schème constitue une totalité, c’est-à-dire un ensemble cohérent d'éléments qui s’impliquent mutuellement et assurent la signification globale de l'acte. C’est ainsi qu’il se distingue d’un simple automatisme ou d’un conditionnement. »

Source : Jean-Pierre Astoli, L’erreur un outil pour enseigner, 1997, p.45-46

 

Conflits socio-cognitifs

« En réalité, seule la confrontation avec la différence peut susciter chez l'élève ce que les psychologues nomment un « conflit sociocognitif ». Un sujet, en effet, n'évolue que par la nécessité d'intégrer dans son architecture psychique de nouvelles données qui l'amènent à la reconfigurer et à accéder à un niveau supérieur de complexité. Il lui faut examiner d'autres solutions aux problèmes qu'il rencontre que celles qui lui viennent spontanément à l'esprit : il doit introduire dans son système de pensée des faits nouveaux apportés par les autres : il lui est nécessaire de confronter ses représentations des phénomènes à celles d'autrui, de comparer ses manières d'apprendre avec celles de ses camarades, de rapprocher ses conceptions d'autres façons de voir pour repérer ce qu'elles ont en commun et ce qu'elles ont de différent. Bref, il doit se livrer à une série d'exercices intellectuels qui lui permettent d'approcher et d'intégrer l'altérité, de distinguer progressivement le « savoir » et le « croire », d'atteindre « ce qui résiste » au cœur des différentes expériences et conceptions et qui peut constituer un point d'accord, un « savoir » où s'articulent « ce qui réunit » — et doit être admis par tous de « ce qui sépare » et relève des différences légitimes et  acceptables entre les visions, opinions et conceptions des uns et des autres.

Certes, ce « conflit sociocognitif » ne se produit pas spontanément et il requiert un contrôle pédagogique strict pour éviter que la confrontation ne tourne à un conflit d’influences et au triomphe de l’intimidation. Le maître ne doit pas, ici, s’absenter et laisser jouer la spontanéité : il a à vérifier que chacun peut s'exprimer, être entendu et que la tâche commune requiert bien l'intervention de tous. Mais, ces conditions une fois réunies, il découvre vite à quel point l'interaction est efficace : elle permet non seulement l’enrichissement des plus « faibles », mais aussi de ceux qu’on identifiait comme « les plus forts » et qui découvrent, à cette occasion, des obstacles et objections qui leur permettent de s’approprier encore mieux des connaissances qu’ils croyaient parfaitement acquises.

Chacun se voit contraint, à l'écoute des autres, de « réviser » son système de pensée, de mieux asseoir certains de ses acquis, d'en relativiser d’autres. La confrontation ouvre, de plus, des perspectives insoupçonnées : elle permet souvent des rapprochements inattendus qui s'avèrent féconds, elle développe l’imagination et stimule la curiosité... »

Philippe Meirieu, Faire l'école, faire le classe, 2004, P. 48

Le cocktail didactique

« L’appropriation du savoir doit être envisagée d'abord comme un processus de transformation systémique et progressif. Ce qui compte principalement c’est que l'élève soit concerné, interpellé dans sa façon de penser. Il faut qu'il soit face à des données qui contredisent ce qu’il pense. La conception initiale ne se transforme que si l’apprenant se trouve confronté à un ensemble d'éléments convergents et redondants qui rendent cette dernière remplie de contradictions et, par-là, difficile à gérer. Ce processus ne peut donc pas être le produit du simple hasard, ni le résultat de mécanismes de transmission directe ou d’association. Il doit être largement favorisé par ce que nous appelons un environnement allostérique, mis à la disposition de l’apprenant par l'enseignant et, d’une manière plus générale, par tout le contexte éducatif et culturel. Car la probabilité pour qu’un apprenant puisse « découvrir » seul l’ensemble des éléments pouvant transformer les questionnements où pouvant faciliter les mises en relation multiples et les reformulations est pratiquement nulle dans un temps limité.

Parmi les paramètres significatifs, un certain nombre d’entre eux peuvent être déjà répertoriés. D'abord, le contexte éducatif doit nécessairement induire une série de déséquilibres conceptuels pertinents. Il s’agit de faire naître chez l’apprenant une envie d’apprendre, puis une activité élaboratrice permettant de produire de nouvelles connaissances. Pour cela, le contexte doit être motivant par rapport à la question ou à la situation à traiter ou, du moins, le faire entrer dans cette dernière.

Un certain nombre de confrontations authentiques sont indispensables. Ces dernières doivent toujours être multiples. Ce peut être des confrontations élève-réalité par le biais d'enquêtes, d’observations ou d’expérimentations dans le cas où celles-ci s’y prêtent. Ce peut être aussi des confrontations élève-élève par le biais de travaux de groupe ou de confrontations avec les informations. Toutes ces activités doivent convaincre l’apprenant que ses conceptions ne sont pas suffisamment adéquates par rapport au problème traité. Par ailleurs, elles facilitent l’explicitation de sa pensée et l’entraînent à prendre du recul par rapport à ses évidences. Le plus souvent, elles peuvent le conduire à reformuler le problème ou à envisager d’autres relations.

Deuxièmement, il est important que l’apprenant ait accès à un certain formalisme. Ce formalisme qui peut prendre des formes très diverses (symbolisme, schématisation, modélisation) est une aide à la réflexion. Pensez combien les chiffres arabes et les règles de la multiplication peuvent faciliter cette acquisition contrairement aux chiffres romains ou aux abaques du Moyen Âge ! Bien sûr le symbolisme choisi doit être accessible et facilement manipulable pour l’apprenant. Il doit correspondre à une réalité, lui permettre d'organiser les diverses données ou lui servir de point d'ancrage pour produire une nouvelle structuration du savoir. [...]

Troisièmement, il est utile de procurer à l’apprenant des situations où, une fois élaboré, le savoir pourra être mobilisé. Ces activités sont indispensables pour montrer à l'élève que des nouvelles données sont plus facilement apprises lorsqu'elles sont intégrées dans des structures d'accueil ou quand elles ont un usage. N’apprend-on pas le plus souvent quand on est conduit à enseigner ou quand il faut réintroduire le savoir dans des pratiques ? De même, ces situations habituent l’apprenant à « greffer » le nouveau sur l’ancien. Elles l’entraînent à ce « va-et-vient » entre ce qu'il connaît et ce qu’il est en train de s'approprier.

Enfin, il est souhaitable que l’apprenant puisse mettre en œuvre ce que nous appelons « un savoir sur le savoir ». De nombreuses difficultés constatées montrent que souvent l'obstacle à l'apprentissage n'est pas directement lié au savoir lui-même, mais résulte indirectement de l’image ou de l’épistémologie intuitive qu’il possède sur la démarche enjeu ou sur les mécanismes de production du savoir. Par exemple, de nombreux élèves refusent d'apprendre en mathématiques parce que pour eux cette « discipline est trop compliquée ». D’autres ne savent pas distinguer une démarche scientifique d’une démarche sociale. D'autres encore ont des idées fausses sur ce qu'est une hypothèse ou une expérience, etc. Autant d'obstacles préalables à une élaboration du savoir.

Concrètement, il s’agit de mettre en place, et cela dès le plus jeune âge, une réflexion sur les pratiques conceptuelles. Quels sont leurs portées, leurs intérêts ? Quelles sont les démarches mises en jeu en classe ? Quelles sont leurs « logiques » sous-jacentes ? Pourquoi le savoir et même l'apprentissage ne seraient-ils pas un objet de savoir à l’école !

Pour que tous ces paramètres soient simultanément opératoires, il se dégage nettement que le rôle de l'enseignant est primordial et irremplaçable. La somme des apports, leurs interactions, leurs progressivités dans la mise en œuvre ne peuvent faire l’objet de programme préétabli. Pour cela, ils devront, eux aussi, modifier leurs conceptions pédagogiques : leur emploi bien que fondamental est second. L'enseignant devient l'organisateur des conditions de l'apprentissage, une sorte d'interface en quelque sorte, pour prendre un terme à la mode, entre le savoir, la réalité et l’apprenant.

Son rôle n’est plus expositif, il n’est plus de présenter des informations. Il existe des moyens plus rentables quand cela est nécessaire. Son rôle est d’abord de concerner, de suggérer, de conseiller, de convaincre l’apprenant de passer d’un niveau de pensée à un autre plus performant.

Cela ne signifie pas qu’il doit se priver d'intervenir ou encore de fournir des repères. Bien au contraire, si l’apprentissage part de l’apprenant, l'enseignant ne doit pas craindre de ménager ce dernier. Mais pour réussir dans son challenge quotidien, l'enseignant doit avoir « à l'esprit » que son action n'aura des retombées valables que s’il met en place le surprenant cocktail constitué des paramètres pertinents que nous venons de décrire brièvement ci-dessus. »

André Giordan, in La pédagogie : une encyclopédie pour aujourd'hui, 1993, P. 271-273

 

Apprendre à l’heure numérique,

« [...] Il faut penser plus globalement l’environnement de la formation et y intégrer l'expérience numérique. S'il est parfois reproché aux théories cognitiviste, behavioriste, voire socioconstructiviste, d’avoir peu d'effets pratiques, c’est parce que la rencontre avec le milieu est oubliée. Une théorie du cerveau sans environnement qui le questionne est incomplète. “Le cerveau n’apprend que parce que l’environnement fluctue”, affirme Giordan* (1998). L'organisation de formation basée sur des objectifs cognitifs exclusifs néglige l’autre, sa motivation et sa situation particulière, les possibilités de l’environnement.

Cette vision de savoirs vivants requiert une double approche de la connaissance et de son élaboration. Une approche par des contenus formalisés et de qualité d’une part, et une approche par des processus et des expériences, d’autre part. Il s’agit de valoriser le learning by doing de Dewey ou le tâtonnement expérimental de Freinet.

Les pratiques pédagogiques actuelles1 mettent souvent l'accent dans leurs catalogues et leurs programmes sur les savoirs stabilisés et objectivables transmis par le moyen de stages ou de cursus, et validés par la rédaction de mémoires ou la réussite à des concours. Elles négligent, ou sous-estiment, les savoirs vivants et singuliers validés par des expériences, des réalisations concrètes, ou une imagination du futur. Intégrer cette part de savoir vivant interroge la façon dont est conçu et vécu le monde.

Les formateurs font des efforts pour mettre en forme des connaissances que des hommes ont mis, parfois, des siècles à acquérir. Ils exposent leurs auditoires à cette élaboration et attendent que celui-ci : 1. comprenne ; 2. applique.

Mais pourquoi des habitudes et des croyances, qui ont mis tant de temps à être réfutées par des chercheurs, des praticiens et des scientifiques devraient-elles se modifier si vite chez ceux qui apprennent ? Pourquoi croire qu’ils sont vierges de toute idée ? Pourquoi imaginer qu’ils puissent se dessaisir sans peine de leurs repères, de leur expérience quotidienne, par la seule exposition à un discours ?

Le rôle d’une imprégnation forte du quotidien dans sa prise de repère est plus probable. Une telle vision postule que la connaissance est située et active. Chacun réévalue en permanence les options qui s'offrent à lui pour prendre une décision et agir. Il n’y a pas d’un côté moi, et de l’autre côté, le monde. Il y a simultanément occurrence d’actions, de possibilités, de décisions à prendre en mouvement. Ces deux aspects de la connaissance ne sauraient être dissociés. Cette association étroite est l’énaction“* de Francisco Varela. »

 

* Giordan À., Apprendre !, Paris, Belin, 1998.

** La notion d'énaction est une façon d'envisager la coconception de l'esprit et de son environnement. C’est le couplage entre l'homme et son environnement qui fait émerger le monde.

1. Denis Cristol évoque ici la formation permanente.

 

Denis Cristol, Former, se former à l’ère numérique,2014, p. 48-49

 

Statut de l'erreur : à qui la faute ?

« Les enseignants semblent obsédés par les erreurs de leurs élèves. Ils les perçoivent souvent comme des indicateurs d’un mal qu'il faudrait éviter et cette perception est souvent un obstacle dans la réflexion sur la construction des situations d’apprentissages. Il est urgent que les représentations évoluent sur ce point. Que penserait-on d’un médecin qui ne supporterait pas que ses patients soient malades ?

L'erreur fait partie intégrante du processus normal d'apprentissage. On ne réussit pas tout du premier coup et il est bien souvent nécessaire de commencer par se tromper avant de finir par réussir une tâche. Pourquoi cette règle ne s’appliquerait-elle pas en milieu scolaire ?

L'erreur n’est donc pas une faute et constitue un indicateur, révélateur de l’état des connaissances de l’enfant, de ses modèles implicites de pensée et de ses procédures de travail. Elle n’est pas non plus toujours l'indice d’un défaut de connaissance, mais plutôt d’une inadéquation des connaissances de l'enfant.

Pourtant, dans de nombreuses pratiques pédagogiques, elle est dramatisée et garde la figure culpabilisatrice de la faute. « Tu t'es trompé, c'est mal ! » Cela n’est pas sans effets sur des enfants en construction, vite paralysés par cet impératif de réussite immédiate et à tous les coups. On nous dira que toutes les histoires de maux de ventre et de terreurs infantiles sont à ranger au musée de l’éducation. Pourtant, l’observation de classes bien contemporaines vient totalement infirmer cette croyance. Pire, on peut penser que le retour d’une vision musclée des formes d'apprentissage soit mauvais signe et s'accompagne d’un état de grâce de tous les revanchards du système, les grognons, les bougons, les rigides, ceux qui sont pour le « marche ou crève » parce que petits — mais l’ont-ils oublié ? — ils ont eu des épaules sur lesquelles grimper.

Il faut donc changer la perception commune de l'erreur pour fonder une démarche de travail différente. « Indice d’un mouvement vers la connaissance » disent les plus optimistes, elle est effectivement un matériau précieux pour qui veut découvrir les chemins empruntés par celui qui apprend et non par celui qui enseigne !

Comme l’illustre la célèbre formule d’Einstein : « Je n’ai pas échoué, j'ai trouvé dix mille moyens qui ne marchent pas », l’erreur est révélatrice d’une incompréhension, d’une stratégie erronée et doit constituer un des éléments dynamiques de la situation pédagogique. Bien souvent elle n’est pourtant encore perçue que dans son rôle d’évaluation et il nous paraît cependant essentiel de favoriser chez l'enfant une réflexion autonome sur les motifs de l’erreur devant lui permettre justement de la dépasser. »

Sylvain Grandserre, Laurent Lescouarch, Faire travailler les élèves à l'école, 2009, P. 61-62

 

Il est des heures et des jours de correction qui ne servent à personne

« Bien des pratiques relatives à l’erreur s'appuient sur des critères externes préformés, qu’on dira prêts à penser, ou plutôt « prêts à barrer ». En désignant ainsi des défauts formels du travail, on s’interdit d'entrer dans son économie propre pour en relever les potentialités et en mesurer la chance. De plus, l'ambiguïté est permanente de savoir si le jugement concerne l’action ou l'acteur, le résultat ou le processus dont il témoigne. De sorte qu’on bascule vite dans l'évaluation... avant d’avoir sérieusement exploré l'apprentissage.

[...] Là réside le « geste professionnel » consistant à encourager l'élève, tout en restant vrai avec lui. Pourtant, dira-t-on, s’il faut ainsi pénétrer l'intelligence des copies tout en anticipant ce que ressentira l’apprenant, on risque de n’en jamais sortir alors qu’on passe déjà nos week-ends à les corriger. À la vérité, c’est peut-être l'inverse, tant il est vrai qu’il est des heures et des jours de corrections qui ne servent à personne. Ce qui est mortifère — pour les enseignants comme pour les élèves —, c’est bien le temps interminable du signalement rituel et sans perspective des erreurs. Ce qui épuise les uns comme les autres, c'est moins la réalité du lourd travail effectué que le sentiment de s’user sans projet sur les mêmes résistances. »

Jean-Pierre Astolfi, L'erreur, un outil pour enseigner,1997, p.100-101

 

Vos erreurs m’intéressent !

« Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron écrivaient déjà en 1970 dans leur livre célèbre La reproduction : « Lorsque les professeurs plaisantent à propos des “perles”, ils oublient que ces ratés du système en enferment la vérité. »

[...] Les erreurs commises ne sont plus des fautes condamnables ni des bogues regrettables : elles deviennent les symptômes intéressants d’obstacles auxquels la pensée des élèves est affrontée. « Vos erreurs m'intéressent », semble penser ici le professeur puisqu'elles sont au cœur même du processus d'apprentissage à réussir, et puisqu'elles indiquent les progrès conceptuels à obtenir.

[...] L'erreur parvient à acquérir ici un statut nouveau : celui d’indicateur et d’analyseur des processus intellectuels en jeu, ce qui ne ressort absolument pas quand on corrige au stylo rouge. Au lieu d’une fixation (un peu névrotique ?) sur l'écart à la norme, il s’agit plutôt de décortiquer la « logique de l'erreur » et d’en tirer parti pour améliorer les apprentissages.

[...] L'idée essentielle, quand on considère l’erreur d’un point de vue constructiviste, c’est de renoncer à ce que J. Piaget appelait le « n'importe quisme ». Aussi bizarre que paraissent les réponses de prime abord, il s’agit de se mettre en quête du sens qu’elles peuvent avoir, de retrouver les opérations intellectuelles dont elles sont la trace. Certes, il n’est pas assuré qu’une réponse qui nous surprend ou nous irrite) contienne une logique identifiable, il se peut fort bien même qu’elle soit le fruit de la seule l'ignorance ou de la distraction, mais voilà : si je pars de ce principe-là, je cesse de pousser la réflexion au-delà. Et du coup, si du sens s’y trouvait caché, je m'interdis de pouvoir y accéder. Un processus de fermeture symbolique se met en route, qui m'offre réponse toute prête au lieu de poursuivre l’investigation. »

 Jean-Pierre Astolfi, L'erreur, un outil pour enseigner,1997, p.15-17

 

Accepter l’erreur, s’appuyer sur l’erreur, c’est aussi construire l’esprit critique

« Le statut de l’erreur varie en fonction des théories des apprentissages. D’après René Amigues et Marie-Thérèse Zerbato-Poudou, dans le behaviorisme par exemple, l’enseignement doit viser un apprentissage sans erreur. Il se réalise par des exercices, des répétitions et un renforcement des bonnes réponses. L'élève est progressivement guidé vers l'atteinte d’un objectif. Par contre, dans le constructivisme, l'apprentissage est un processus de réorganisation de connaissances, les nouvelles se trouvant face à d’autres déjà présentes (conceptions initiales) qui peuvent être remises en cause.

Et surtout, « l'erreur n’est pas une faute [...]. Les erreurs sont des constats et les fautes sont des erreurs assorties d’un jugement négatif »2. L'erreur est donc le signe d’un obstacle qui doit être dépassé. Pour l'élève, dans une analyse critique ou un débat, il ne s’agit plus de se sentir jugé mais de comprendre que ce qui a été avancé par d'autres peut avoir un rôle constructif. La modification du statut de l'erreur dans la classe va donc devenir, pour le récepteur, l’une des clés de l'acceptation de la critique. Et la compréhension, le consentement puis la correction de l’erreur par son auteur indiqueront le dépassement de l’obstacle. De même pour Francis Danvers, « l’erreur est féconde dans la mesure où elle nous renseigne sur la démarche de l’apprenant. Elle est le point de passage obligé dans la capacité à se poser de bonnes questions » ? Quand on s’appuie sur l'erreur et qu’on confronte les réponses ou les opinions des élèves, on entre dans une démarche critique. Enfin, on comprend que ce qui est important, ce n’est pas de corriger l'erreur mais de construire un nouveau savoir. »

  1. Amigues René et Zerbato-Poudou Marie-Thérèse, Comment l'enfant devient élève, Retz, 2007.
  2. De Vecchi Gérard, Évaluer sans dévaluer, Hachette Éducation, 2° éd., 2013.
  3.  Danvers Francis, 700 mots-clés pour l'éducation, Presses Universitaires de Lille, 1992.

Gérard De Vecchi, Former l'esprit critique, tome 1, Pour une pensée libre, 2017, p. 86-87

À l’école, on ne se pose guère de questions sur le ou les savoirs

« [...] À l’école, on ne se pose guère de questions sur le ou les savoirs. On n'y travaille pas systématiquement des questions pourtant déterminantes pour construire une représentation du savoir, par exemple :

*Comment le savoir se développe-t-il dans l'esprit de quelqu'un ? Par imitation, essais et erreur, transmission organisée, construction active, apprentissage par cœur ?

* Quelle est la part de l'expérience personnelle et la part de la transmission culturelle ? Faut-il les opposer ?

* Comment le savoir se conserve-t-il? Est-il enregistré dans son détail ou reconstruit au gré des besoins (problème de la mémoire et de l’organisation des connaissances) ?

* Comment est-il mis en œuvre pratiquement, dans la pensée, l’action et le discours ? De façon digitale (comme dans un ordinateur) ou par analogie, Gestalt ?

* Y a-t-il des savoirs de natures diverses ? Comment les classer, les distinguer ?

* Comment les savoirs sont-ils vérifiés, mis à l'épreuve de la réalité ? Y a-t-il plusieurs modes de validation ?

* Comment le savoir d’une personne est-il observé, jaugé, mesuré, reconnu dans les rapports sociaux ?

* Comment les savoirs sont-ils créés, élaborés, accumulés dans l'histoire d’un groupe ou d’une société ?

* Pourquoi y a-t-il inégalité d’accès aux savoirs ? Quelles en sont les conséquences ?

° À quoi servent les savoirs ? Pourquoi cherche-t-on à en produire ou en acquérir, qu’il s'agisse d’une personne ou d’une collectivité ? Quel rapport à la réussite sociale? Au bonheur? Au pouvoir ? À l'autonomie ? À l'argent ? À la foi ? À l'estime de soi? À l'identité ?

* Une personne sait-elle exactement ou confusément ce qu’elle sait ? Et comment elle l’a appris ?

° Le savoir est-il une chose sérieuse ou ludique ? Libératrice ou aliénante ? Conservatrice ou novatrice ? Bénéfique ou dangereuse ?

À de telles questions, les discours pédagogiques ne répondent pas, ou alors de façon normative et schématique. Alors que le savoir est au centre de l’identité de l’école, elle le prend rarement pour objet d’une interrogation ouverte, d'une métaconnaissance, d’une épistémologie interne.

[..….] Le métier d'élève est donc un métier du savoir qui le traite comme une réalité simple, évidente, non problématique, dans un rapport normatif plus qu’analytique. C’est donc dans une certaine solitude que chacun s'efforce de comprendre, loin des normes didactiques et des déclarations d'intention, ce qu'est le savoir, à quoi il sert, comment on se l’approprie. »

Philippe Perrenoud, Métier d’élève et sens du travail scolaire, 1994, p. 181-182

 

Donner du sens, c’est construire un rapport au monde

« Trouver du sens à l’École c’est construire un ensemble de repères, se fixer un ensemble de valeurs qui permettent de mettre son monde en ordre et de le partager avec ceux d'autrui. Le sens se construit ainsi dans l’action consciente du sujet qui s'implique et qui parvient à regarder cette implication. Le sens est investissement et prise de distance à son égard. Le sens est dans le lien que le sujet établit entre l’implication et l'explication qu’il construit de ses actions. Le sens est au cœur de la construction de la personne. Donner un sens à son action, à sa vie, c’est se donner un dessein, une fin, un projet personnel et plus tard professionnel, c’est se construire une identité. L'École peut constituer le théâtre de ces opérations.

La situation d’apprentissage ne prend du sens pour celui qui apprend qu’à la condition de correspondre à un dessein qu’il ambitionne d’atteindre.

Ce dessein peut être regardé sur trois plans : celui de la réalité, celui de l'imaginaire, celui des symboles.

— La réalité, c'est le monde extérieur qui regroupe des êtres, des objets et les règles qui les relient. La connaissance du réel révèle à celui qui l’interroge une distance insurmontable entre ce qu'il en comprend et ce qui est. Apprendre, c’est espérer connaître ce qui m’échappera toujours, car une théorie prochaine remettra en cause l’explication d'aujourd'hui. La connaissance du réel n’est que provisoire, elle n’est pas accès à l'éternité, elle est au contraire renoncement au définitif. Nous donnons du sens aux choses, aux situations que nous vivons parce que nous pensons à un moment les connaître, au sens de les dominer. Je peux par exemple trouver du sens dans l’enseignement de la physique parce qu’elle me fait espérer que je comprendrai, à travers elle, la matière inanimée.

— L’imaginaire correspond à notre manière personnelle de réagir à l'interprétation et à la conceptualisation du monde. Ainsi existe-t-il, dans toute signification que nous donnons aux choses, cette part d’imaginaire qui la personnalise. Nous donnons du sens aux savoirs par l'imaginaire qu’ils développent. Gaston Bachelard l’a magistralement montré : la connaissance de la réalité se nourrit de nos imaginaires. Je peux encore trouver du sens dans l’enseignement de la physique parce qu’elle me permet d'imaginer l’infiniment petit que je ne connais pas et que je ne connaîtrai sans doute jamais.

— Le symbolique correspond à un discours sur les choses ou les êtres en retrouvant des symboles, donc une interprétation cachée, sous l'apparente réalité. Le sens réside dans cette interprétation que nous recherchons des choses que nous côtoyons. Je peux trouver du sens

dans l’enseignement de la physique parce qu’elle me convainc que l’homme aura toujours la toute maîtrise de son environnement, que l’homme sera toujours tout puissant. Nous cherchons à apprendre autant pour les symboles présents dans les choses que nous découvrons, que pour les symboles qui résulteront du fait de savoir. Apprendre, c’est fréquemment se construire du pouvoir par du savoir.

Ainsi l’apprentissage, fondateur de notre rapport au monde, emprunte-t-il en permanence au réel, à l’imaginaire, au symbolique. »

Michel Develay, Donner du sens à l’école, 1996, p. 90-92

 

Faire du franchissement d’un obstacle le véritable objectif

« Le problème principal pour l’enseignement, c’est bien ici de retenir, parmi la diversité des objectifs possibles, celui qui se révélera le plus judicieux pour une séquence, ni trop facile à atteindre ni hors de portée des élèves. Ici, l’idée d’objectif-obstacle intervient comme un outil conceptuel important pour mieux pouvoir penser les choses. Martinand s'efforce, on l'aura compris, de coupler ces deux points de vue, ce qui, du coup, les renouvelle partiellement.

Au lieu de définir séparément obstacles et objectifs et de les faire s'affronter, il propose d'utiliser la caractérisation des obstacles comme un mode de sélection des objectifs. En quoi un objectif possible est-il intéressant ? demande-t-il. Deux raisons le conduisent à choisir ceux qui correspondent à des obstacles franchissables au cours des activités.

« La première raison est que les objectifs doivent être en nombre limité, si l’on veut qu’ils puissent réellement être utilisés par les enseignants. Or, les objectifs de type comportemental sont toujours beaucoup trop nombreux, ponctuels et dispersés, pour être une aide permanente. La première hypothèse est qu’il est possible de trouver un nombre limité de progrès décisifs, non acquis spontanément, mais qui ont une signification du point de vue des attitudes et des capacités correspondantes.

La seconde raison est que, si l'éducation ne consiste pas à construire sur terrain vierge, mais à transformer des attitudes, des représentations, des habiletés qui existent déjà et qui trouvent à s'investir par ailleurs, c’est aux difficultés de ces transformations, plus qu'aux produits finaux, qu’il faut se référer pour guider les activités didactiques. La seconde hypothèse est qu'il existe à un moment donné du cheminement éducatif, dans une activité donnée, un obstacle décisif dont l’aspect dominant se situe dans une des grandes catégories d'objectifs, attitudes, méthodes, connaissances, langages, savoir-faire.1 ».

Martinand insiste sur le fait que si les obstacles ont une signification profonde par rapport aux apprentissages à réussir, ce sont bien eux qu’il faut mettre au centre pour définir les véritables objectifs. Une chose est de définir les objectifs à partir de la seule analyse des programmes et contenus (ce que fait la pédagogie par objectifs), autre chose est de faire du franchissement d’un obstacle l'objectif vraiment recherché. Citons-le à nouveau : « Dans la mesure où ces obstacles ont une signification épistémologique profonde, je crois qu'ils fournissent la clé pour formuler les buts les plus essentiels de l'éducation. Autrement dit, il s’agit d'exprimer les objectifs en termes d’obstacles franchissables, car parmi la diversité des objectifs possibles, les objectifs intéressants sont les objectifs-obstacles. » Il lui paraît ainsi légitime « de faire de leur franchissement les vrais objectifs conceptuels ».

1.Jean-Louis Martinand, Connaître et transformer la matière, Berne, Peter Lang, 1986.

 Jean-Pierre Astolfi, L'école pour apprendre, 1992, P. 134 à 136

 

Un dispositif didactique n’est pas la définition d’un objectif

« Tout apprentissage est ainsi : ce qui le constitue est irréductible aux descriptions comportementales qui peuvent en être faites. On peut accumuler les objectifs opérationnels sans y trouver la moindre trace de l’intentionnalité susceptible de les relier dans une dynamique mentale. « Il est tout aussi impossible, pourrait-on dire en reprenant la célèbre formule de Sartre, d'atteindre l'opération mentale qui régit un apprentissage en entassant des objectifs que d'aboutir à l’unité en ajoutant indéfiniment des chiffres à la droite, de 0,99. » Entre les comportements observables et le geste mental qui les supporte, il y a une rupture, un saut qualitatif : on ne parle pas de la même chose, on n’est pas dans le même domaine. C’est là grande leçon de la phénoménologie : « Il n’y aurait pas de pensée et de vérité, explique M. Merleau-Ponty, sans un acte par lequel je surmonte la dispersion temporelle des phases de la pensée et la simple existence de fait de mes événements psychiques. » Un acte, un geste, une certaine modalité de notre prise sur le monde et les choses, une opération mentale par laquelle nous tentons de nous relier au savoir, une structuration fugace et qui disparaît sans doute avec le mouvement qui l’institue, mais qui, un instant, nous met en correspondance avec les choses et nous permet de les comprendre. »

Philippe Meirieu, Apprendre... oui, mais comment, 1987, p. 108

 

À propos de l’usage courant du mot compétence

« (Il y a) difficulté à définir une compétence en dehors d’un type d'activités spécifié et sans rapport avec un objet précis. Examinons celle-ci, dans son usage ordinaire, c’est-à-dire en dehors de l’univers scolaire. Ce qu’on appelle compétence renvoie ordinairement à un champ d'activités spécifié : un métier, une fonction, une technique. On parlera de la compétence d’un soudeur à l'arc, d'un médecin, d’un cuisinier et la compétence du soudeur n’est pas celle du médecin ; toute compétence est exclusive, ce qui ne signifie pas qu'un individu unique ne puisse cumuler deux ou plusieurs compétences, mais dans ce cas elles coexistent en lui sans se mêler : elles sont a priori hétérogènes.

Il n’est pas inutile ici de rappeler le sens originel du mot « compétence », qui est juridique : il s’agit du droit qu’à une juridiction de connaître une cause. Elle se détaille en compétence d'attribution (qui fixe la nature des causes entrant dans la compétence) et en compétence territoriale (qui prévoit le territoire sur lequel s'exerce la compétence). L'idée centrale est là, à l'évidence, celle de limite : la compétence de telle instance judiciaire se définit par une délimitation territoriale associée à une délimitation de la catégorie de causes judiciaires qu’elle peut prendre en compte. Mais il est essentiel de noter également que cette délimitation se définit comme délimitation des objets auxquels la compétence s'applique, délimitation à la fois qualitative (le type de causes) et quantitative (la circonscription).

Or, en revenant à l'usage courant du mot, on retrouve les mêmes idées : ce qui définit une compétence, c’est la délimitation des travaux qu’elle permet de mener à bien. Le principe de la délimitation tient encore à l’objet auquel s'applique la compétence. Cette délimitation doit être rigoureuse, afin d'offrir à la fois une garantie technique et une protection statutaire : faire faire des travaux de plomberie par un maçon, c’est prendre un risque quant à la qualité du travail et c’est aussi léser un corps de métier La valeur constitutive de la limite semble s'opposer radicalement à l’idée de transversalité, laquelle implique une subversion des limites et la possibilité de passage d’un domaine à un autre. Que serait une compétence sans limite ? Une compétence sans objet ? »

Bernard Rey, Les compétences transversales en question, 1996, p. 23

Différencier, c’est...

« Toute situation didactique proposée ou imposée uniformément à un groupe d'élèves est inévitablement inadéquate pour une partie d’entre eux. Pour quelques-uns, elle est trop facilement maîtrisable pour constituer un défi et provoquer un apprentissage. D’autres élèves, au contraire, ne parviennent pas à comprendre la tâche, donc à s’y impliquer. Même lorsque la situation est en harmonie avec le niveau de développement et les capacités cognitives des élèves, elle peut leur sembler dénuée de sens, d’enjeu, d'intérêt et n’engendrer aucune activité intellectuelle notable, donc aucune construction de connaissances nouvelles, ni même aucun renforcement des acquis. D'où une définition possible de la différenciation de l’enseignement : différencier, c’est organiser les interactions et les activités, de sorte que chaque élève soit constamment ou du moins très souvent confronté aux situations didactiques les plus fécondes pour lui. [...]

Je m'en tiendrai ici à la problématique de la différenciation restreinte dans le cadre d'objectifs communs. En soulignant cependant d’emblée :

— qu’elle ne condamne pas à l’uniformité des contenus ; on peut atteindre les mêmes maîtrises par des itinéraires divers ; la différenciation restreinte porte donc sur le curriculum comme suite d'expériences formatrices ;

— qu’elle voue moins encore à l’uniformité des rythmes de progression, des démarches et des contrats didactiques ;

— qu’elle ne veut donc pas dire « plus du même », ne se borne pas au soutien ou aux remédiations classiques ;

— qu’elle n’est pas davantage synonyme d’individualisation de l’enseignement ; certes, il n’y a pas de différenciation sans gestion plus individualisée des processus d’apprentissage ; cela ne signifie pas que les élèves travaillent seuls ou face au maître seulement, mais que les régulations et les parcours sont individualisés ;

— enfin, qu’elle ne peut être enfermée dans aucune méthodologie, aucune classe d'âge, aucune catégorie de contenus ou de maîtrises.

La différenciation de l’enseignement doit rester un paradigme général, donc assez abstrait, détaché de telle ou telle modalité de réalisation. S'il fallait le caractériser globalement, on pourrait dire qu'il s’agit de rompre avec l'indifférence aux différences analysée par Bourdieu (1966), donc de neutraliser l’un des principaux mécanismes de fabrication de l’échec scolaire (Perrenoud, 1989). »

Philippe Perrenoud, La pédagogie à l’école des différences, 1995, p. 28-29

 

La différenciation n’est pas l’atomisation

« [...] Il n’est pas possible, pour autant, d’individualiser complètement le fonctionnement d’une classe. Cela, d’ailleurs, ne serait pas souhaitable. La classe est un collectif qui doit se donner des temps de travail communs : l'attention de tous doit être focalisée régulièrement sur les mêmes objets ; l'interaction entre les personnes acquiert qu'un langage partagé soit construit et que les mêmes consignes soient appliquées. Plus encore : on ne tirera vraiment profit d’un temps de travail individuel avec une démarche spécifique que si l’on peut aussi se confronter avec d’autres qui ont travaillé autrement. Et il convient toujours que, régulièrement, le maître recadre le travail et fasse le point, effectue des synthèses, formalise les acquis et indique les objectifs à atteindre par tous.

C'est pourquoi la différenciation pédagogique n’est pas l’atomisation de la classe ou la disparition du cadre scolaire au profit du seul tutorat individuel, de l’enseignement à distance ou assisté par ordinateur. C’est, d’abord, la capacité à alterner différentes méthodes dans la durée, afin qu’une même notion fasse l’objet d’approches successives et complémentaires. C’est, ensuite, le fait de ménager des temps de travail individuels où l’attention du maître portera sur la manière dont chacun travaille, les difficultés qu’il rencontre et les façons possibles de l'aider. C’est, enfin, la mise en œuvre de « groupes de besoin >», qui peuvent être centrés soit sur des acquis, soit sur des méthodes: des acquis à reprendre, des notions mal stabilisées, des savoir-faire qui requièrent un entraînement plus systématique, des connaissances à approfondir ou bien des méthodes qui apparaissent plus adaptées pour faire un exercice, rédiger un texte, réviser une leçon ou un contrôle. L'efficacité de la différenciation

pédagogique est donc subordonnée à la richesse de la palette méthodologique de l'enseignant, à sa Capacité à puiser dans sa mémoire pédagogique des matériaux, des dispositifs, des méthodes de travail qu’il peut ordonner aux objectifs qu’il cherche à atteindre.

Ainsi la différenciation pédagogique ne peut être une structure rigide, administrée de manière technocratique par une multitude d’évaluations ; c’est une démarche ouverte, vectorisée par des objectifs communs et régulée par l'observation en temps réel du travail des élèves. Ce n’est pas un système organisé sur la base d’une succession de diagnostics et qui viserait à placer, au bout du compte, the right man at the right place, mais un ensemble d'activités articulées entre elles et qui s’ajustent et se fécondent réciproquement pour ouvrir à chacun et à chacune des espaces et des possibilités inexplorées. Ce n’est pas une manière de remplacer le « prêt-à-porter » traditionnel par du « sur mesure » systématique, afin de faire correspondre à l’hypothétique nature de chacun « la bonne méthode » et « les bons objectifs », mais un effort Permanent pour dialectiser l’acquis et l’apprendre, le donné et le possible, le déjà-là et la promesse d’un avenir différent. »

Philippe Meirieu, Faire l’école, faire la classe, 2004, P. 184

 

Les postulats de Burns

« Les postulats de Burns peuvent nous guider dans la prise de conscience de la nécessité de différencier car ils mettent en évidence la singularité de chaque situation d'apprentissage :

- Il n'y a pas deux apprenants qui progressent à la même vitesse.

- Il n'y a pas deux apprenants qui soient prêts à apprendre en même temps.

- Il n'y a pas deux apprenants qui utilisent les mêmes techniques d’étude.

- Il n’y a pas deux apprenants qui résolvent les problèmes exactement de la même manière.

- Il n’y a pas deux apprenants qui possèdent le même répertoire de comportements.

- Il n’y a pas deux apprenants qui possèdent le même profil d’intérêt,

- Il n’y a pas deux apprenants qui soient motivés pour atteindre les mêmes buts ».

Sylvain Grandserre, Laurent Lescouarch, Faire travailler les élèves à l’école, 2009, P. 147

 

Le soutien : une pédagogie de la bonne conscience ?

« [..] Même si la pédagogie de soutien se présente comme un vaste ensemble de pratiques puisant aux différents courants que nous venons de croiser, elle n’en a pas moins une logique et une spécificité pédagogiques qu’il convient de reconnaître.

Mais qu’en est-il dans les faits ? Prioritairement, elle permet de reprendre les apprentissages de base à l’aide d’un surplus de temps et d'explications destiné aux élèves en difficulté, à l’aide de la répétition des éléments du programme jugés indispensables à acquérir, les élèves « faibles » devant rattraper les autres pour profiter de l’enseignement collectif dispensé par ailleurs. C'est une pédagogie du rattrapage et... de la bonne conscience. Au fond, les enseignants aiment la pédagogie de soutien parce qu’elle permet de maintenir une pratique traditionnelle dans le cadre simultané, tout en ayant fait quelque chose dont on sait que ce n'est pas suffisant quant aux résultats mais que c’est satisfaisant en termes de coûts et d'intentions. À ce titre, elle est promise à un très grand avenir :

« La pédagogie de soutien est une pédagogie réparatrice d’une pédagogie traditionnelle qui propose une aide ponctuelle à ceux qui éprouvent des difficultés, susceptible d'améliorer leurs résultats scolaires. Elle est aussi une pédagogie de la compensation car elle s'adresse à un public “défavorisé”, veut pallier tous les “handicaps” et réduire les inégalités grâce à la remédiation. Pour les praticiens, la pédagogie de soutien constitue la seule pédagogie praticable et pratiquée en classe dans le domaine de l’aide aux élèves, même si l'efficacité relative et partielle n'échappe pas à l’initiateur de ces actions qui, pourtant, n’envisage pas un système d'intervention » (Wittmann H., « La pédagogie de soutien vingt ans après », Les sciences de l’éducation pour l'ère nouvelle, 1995, p. 79)

Dit brutalement : la pédagogie de soutien a comme fonction première de soutenir la pédagogie traditionnelle dans le cadre du mode simultané. C’est là son charisme. Et le substrat de sa réussite indéniable. Cette réussite est d’ailleurs d'autant plus probante que le soutien s’institue de plus en plus comme une discipline à part, puisqu'il s'inscrit désormais souvent dans les horaires hebdomadaires des élèves, à côté des disciplines scolaires traditionnelles. Ce qui est bien la preuve qu’il a en quelque sorte quitté la classe dans son fonctionnement quotidien.

Ce n’est pas dire que la pédagogie de soutien ne fait rien ni n’a aucun effet. Faisant appel à des compétences certaines, elle entraîne le praticien dans une démarche de recherche de solutions, témoin de la bonne volonté de l'adulte, sans toutefois bouleverser le fonctionnement en place (les programmes, la prédominance du cognitif, le rôle central du maître). Elle se présente comme réparatrice des perturbations apportées au mode simultané et permet à ce dernier de rester le cadre dominant de l’ordre scolaire. La pédagogie de soutien est là pour intégrer au mode simultané certaines vertus de la pédagogie différenciée sans lui permettre d'opérer le renversement radical qu’elle suppose. Mais au prix d’une efficacité limitée. »

Jean Houssaye, Le triangle pédagogique, 2010, p. 51-52

 

Le travail de groupe, outil de la différenciation

« 1.Tout élève a besoin d’être considéré dans sa différence et regroupé avec d’autres afin d’être pris en charge en fonction de leurs besoins communs spécifiques. Même dans la classe la plus homogène, les élèves présentent une multitude de différences, tant dans leurs sensibilités réciproques que dans leurs acquis antérieurs, leurs stratégies d'apprentissage et leurs rapports au savoir. Et si, bien évidemment, l'enseignant doit adresser régulièrement à toute la classe pour donner des informations ou des consignes, même s’il peut, à l’occasion d’une expérience, d’une lecture ou d’un récit focaliser l'attention, structurer un apport collectif dont tous vont pouvoir profiter, il n’en reste pas moins que chaque élève présente des caractéristiques qui justifient un travail personnel particulier d’appropriation.

(…)

Différencier la pédagogie », c'est donner à chacun les moyens de s'approprier les savoirs en respectant ses besoins spécifiques et en l’accompagnant au mieux dans sa démarche d'apprentissage.

Reste que, s’ils souhaitent répondre scrupuleusement à cette exigence, les enseignants risquent bien d’être pris de vertige : comment traiter une diversité qui concerne autant de dimensions différentes, qui recoupe les domaines cognitifs, affectifs, sociaux et qui aboutit irrémédiablement à reconnaître le caractère idiosyncrasique, c’est-à-dire radicalement singulier, de chaque élève en train d'apprendre ?

(…)

Il faut donc trouver une façon de réduire et traiter la diversité de manière acceptable : sans faire voler la classe en éclats ni renvoyer le suivi individualisé à l’aléatoire des bonnes volontés individuelles et à la richesse de l’environnement de chacun. C’est, précisément, ce à quoi peuvent correspondre des « regroupements temporaires sur des besoins spécifiques ». Ces regroupements, organisés à partir d’un diagnostic dont le caractère est toujours assez largement hypothétique, sont fondés sur un type d'homogénéité qu’on réussit à identifier et qu'on a les moyens de traiter: tels élèves semblent manquer d'entraînement sur tel ou tel exercice; tels autres paraissent pouvoir profiter efficacement d’une nouvelle explication; tels autres, encore, semblent pouvoir être regroupés, un moment, en fonction de leur rythme de travail; tels autres doivent être réunis en raison d’acquis antérieurs mal stabilisés, etc. Il arrive même que ce soit les dispositifs pédagogiques dont on dispose — ressources documentaires, types d'exercices, tuteurs possibles, fichiers de travail utilisables, etc. — qui servent de base à la constitution des groupes... Mais peu importe : car ces regroupements restent, néanmoins et tout à la fois, un moyen de reconnaître chacun dans sa spécificité et de traiter, en la réduisant, une diversité sur laquelle, sinon, l'enseignant n'aurait guère de prise.

2. Les regroupements homogènes risquent toujours de se pérenniser et d’engendrer des processus d’enfermement, voire de ghettos. On le sait bien : l'angoisse devant la diversité est telle que tout enseignant est tenté, à un moment ou à un autre, de penser celle-ci en termes de catégories, de créer des typologies définitives, d’enfermer les élèves dans des cases et de leur coller dessus des étiquettes. Les groupes temporaires sont toujours conçus avec les meilleures intentions du monde et chacun clame bien fort son refus de les transformer en ghettos. Mais ils sont vite saisis d’une forme d’entropie. Des habitudes se créent, les élèves ne tardent pas à nommer leur groupe et à se conférer une identité... jusqu’à ce qu’ils s'approprient cette identité et la revendiquent : se reconstituent ainsi, à chaque occasion, le groupe des « lents » et celui des « rapides », ceux qui sont « en retard » et ceux qui sont « en avance », les « faibles à l'écrit » et les « timides », etc. Ce qui devait être une aide temporaire devient une forme d’organisation définitive ; l’institution réintègre en son sein le suivi individualisé, mais se construit exclusivement sur celui-ci, oubliant ses autres missions et, en particulier, la nécessité de favoriser toutes les formes possibles d’enrichissement réciproque par les différences. [...]

3. Tout élève a besoin de travailler avec d’autres ayant des sensibilités, des stratégies d'apprentissage et des niveaux différents, afin de s'enrichir de ces différences.

[...] On a besoin d'apprendre « avec les mêmes » (ceux qui ont les mêmes besoins, aspirations ou difficultés), on n’apprend toujours que « des autres ». On a besoin de se retrouver « avec les mêmes » pour se sentir pris en compte dans ses spécificités, mais, même avec « les mêmes », on n’apprend que « des autres » ou, plus exactement que parce que « les mêmes » dans un domaine considéré, sont toujours aussi « des autres » dans un autre domaine.

De l'identique, on n’apprend rien : on se conforte dans ses certitudes, on s’admire comme Narcisse dans le miroir de l’autre, avant, très vite, de basculer dans la rivalité mimétique des « frères ennemis ». »

Philippe Meirieu, Faire l'école, faire la classe, 2004, p.117

 

Étayage et désétayage, guidage et autonomie

« Le pédagogue ne vise donc pas l’autonomie absolue de chacun de ses élèves ; il met en place un processus d’autonomisation qui intègre la critique même de ce processus dans sa démarche. Il procède, pour cela, par étayages et désétayages successifs : étayages par la mise en place de structures rigoureuses de contraintes et de ressources, désétayages par la suppression progressive et contrôlée des étais. Et cette suppression qui ne peut se faire ni prématurément — au risque que le mur, insuffisamment stabilisé, ne s'écroule -, ni brutalement — au risque que l'individu ne s'engage, alors, dans des difficultés qu’il sera incapable de surmonter -, ni sans réflexion sur les enjeux de ce qui se passe — au risque que l'élève ne s’imagine pouvoir se passer à jamais de toute aide. Le processus d’étayage/ désétayage n’est donc pas une succession mécanique d’aides et d’abandons, de dispositifs de contrôle absolu auxquels succéderait un retrait total... Rien, d’ailleurs, ne serait pire que cela : l'élève soumis à des changements brutaux d’attitudes serait complètement déstabilisé. La dialectique étayage/désétayage doit donc être accompagnée, en permanence, par ce que nous nommons des activités de « métacognition » : repérage de ce que l’on utilise, des appuis dont on a besoin et, en même temps, des marges d'initiative dont on peut disposer. Identification des ressources apportées par le maître auxquelles peuvent se substituer progressivement des ressources documentaires ou un recours aux propositions de l’environnement.

Et, à chaque étape, à chaque marche franchie dans le processus d’autonomisation, repérage des ressources dont on aura besoin pour aller plus loin, des efforts qu’il faudra faire et du soutien qui sera nécessaire. Ainsi l’École joue-t-elle vraiment son rôle, articulant, sur chacun de ses objectifs, accompagnement et émancipation, et développant simultanément, pour chaque élève et de manière progressive, la prise de conscience du processus d’autonomisation dans lequel il est engagé. »

Vygotski aujourd'hui, sous la direction de Bernard Schneuwly et Jean-Paul Bronckart, Neuchâtel et Delachaux et Niestlé, 1989

Philippe Meirieu, Faire l'école, faire la classe, 2004, p.108

 

La métacognition, ce n’est pas une affaire compliquée

« La métacognition, ce n’est pas une affaire compliquée ! C’est le fait d’effectuer un retour sur son propre processus d’apprentissage et d'interroger, de l'extérieur en quelque sorte, avec l’aide de ses pairs, de ses maîtres et des supports culturels nécessaires, la dynamique même du transfert de connaissance. C’est une manière de travailler sur ce transfert en n'étant plus dans le processus mais face au processus. Une façon de séparer le dedans et le dehors, de passer au crible de la régulation collective et de la verbalisation rationnelle le rapport que l’on a établi entre les connaissances que l’on a apprises et le monde dans lequel on vit. C’est une manière d'échapper complètement au pouvoir de l’éducateur en se distanciant et en s’interrogeant sur le rapport que l’on établit entre les savoirs et sa propre vie. C’est une manière de dire : « Voilà ce que j'ai appris. Voilà à quoi cela me renvoie. Mais il ne s’agit pas d’une simple évocation. Il ne s’agit pas d’un rapport purement subjectif qui m'échappe en partie et me met entre les mains de celui qui peut me manipuler ainsi. C’est moi-même qui peut statuer sur la pertinence de ce rapport. Je ne laisse personne me tenir à sa merci en utilisant mes émotions à mon insu. Je ne contrôle pas tout, certes. Mais, par ma pensée, je m’exhausse au-dessus des situations scolaires et des situations sociales tout à la fois. Je ne maîtrise pas complètement tout cela et, sans doute ne le maîtriserai-je jamais, mais je comprends le rapport qu’entretiennent mes connaissances et mes expériences. Et je fais de la maîtrise de ce rapport entre mes connaissances et mes expériences un des enjeux essentiels de mon existence. » Accompagner sans la contrôler une telle histoire est bien le rôle de l’éducateur. »

Philippe Meirieu, Frankenstein pédagogue, 1996, p. 103

 

Enrichir la panoplie des stratégies cognitives

« Par la médiation qu’il instaure, l'enseignant conduit l’apprenant à enrichir la panoplie de ses conduites cognitives. Ainsi, du fait qu'il est confronté à des conceptions différentes des siennes, le sujet — surtout s’il est enclin à gommer les contradictions dans ses propres représentations ou à rester figé dans ses perceptions initiales — se trouve forcé d'admettre que certains de ses pairs ne pensent pas comme lui à chaque instant et que d’autres n'utilisent pas les mêmes démarches, tout en atteignant des buts identiques. Ainsi, il est amené à s'intéresser à des stratégies qui ne lui sont pas spontanées et c’est alors que les procédures, plus canoniques ou classiques, apportées par l'enseignant, peuvent être plus facilement appropriées. De sorte que l'élève devient de plus en plus à même d’expliciter et de nuancer ses propres processus mentaux.

En conséquence, pour organiser et structurer la métacognition, l’enseignant a tout avantage à instaurer des moments de confrontation des stratégies cognitives, à propos de problèmes complexes et finalisés. Dans ces épisodes, son rôle est celui d’un médiateur chargé, à la fois, de mettre en évidence les diverses démarches valides utilisées par les élèves et de proposer les procédures plus ordinaires admises généralement. De telles interactions sociales, de tels rapprochements graduels, permettent aux élèves, surtout à ceux qui peinent dans leurs apprentissages scolaires, de considérer leur propre changement intellectuel comme une évolution envisageable et même souhaitable. »

Michel Grangeat, La métacognition, une aide au travail des élèves, 1997, P. 162-163

La spécificité de l’entretien d’explicitation

« La spécificité de l’entretien d’explicitation est de viser la verbalisation de l’action. D'une part, parce que connaître en détail le déroulement d’une action apporte une information précieuse et, d’autre part, parce que la verbalisation de l’action pose des problèmes qui ont été sous-estimés et qui nécessitent, pour être surmontés, l’utilisation d’une technique de questionnement très précise qui doit être apprise.

Dans toutes les activités qui impliquent des tâches à effectuer (exercices scolaires, activités professionnelles, remédiation, analyse de pratique), il est important pour en analyser les difficultés d’apprentissage, les causes d’erreurs et de dysfonctionnement, ou ce qui en constitue la réussite et l'expertise, de connaître le déroulement de l’exécution de la tâche. La connaissance du résultat final seul est insuffisante pour diagnostiquer la nature et la cause d’une difficulté ou d’une réussite exceptionnelle. Si par action, je désigne la réalisation d’une tâche, l'entretien d’explicitation vise la description du déroulement de cette action, telle qu’elle a été effectivement mise en œuvre dans une tâche réelle.

De plus, ce déroulement d’action est la seule source d’inférences fiables pour mettre en évidence les raisonnements effectivement mis en œuvre (différents de ceux adoptés hors de l'engagement dans l’action), pour identifier les buts réellement poursuivis (souvent distincts de ce que l’on croit poursuivre), pour repérer les savoirs théoriques effectivement utilisés dans la pratique (souvent différents de ceux maîtrisés en question de cours), pour cerner les représentations ou les pré-conceptions sources de difficultés.

Je vise la verbalisation de l’action, parce qu’elle me paraît une source d’information extrêmement importante, et qui n’a pas reçu toute l’attention qu’elle mérite.

Mais la verbalisation de l’action se heurte à plusieurs problèmes difficiles.

Le premier est que l’action est, pour une bonne part, une connaissance autonome et qu’elle contient par construction une part cruciale de savoir-faire en acte, c’est-à-dire non conscient. Autrement dit, toute action comporte une part implicite dans sa réalisation, précisément pour celui qui l’effectue. Mettre à jour cet implicite de façon à obtenir une description détaillée du déroulement de l’action, c’est ce qui a donné son nom à la technique que j'ai développée : l'entretien d’explicitation (de ce qui reste implicite dans l’action).

Le second, c’est que verbaliser cette action n’est pas habituel, nous n'avons jamais été formés à le faire. Ce qui vient en premier, spontanément, ce sont plutôt des jugements, des commentaires, des généralités ou la description des circonstances. La verbalisation de l’action ne se fera pas sans aide, pour l'obtenir, il y faut une médiation, un guidage, une aide.

Le troisième, c’est que les techniques efficaces pour apporter cette aide sont largement Contre-intuitives. C'est-à-dire que ce qui nous vient spontanément à l’idée Pour apporter cette aide est précisément ce qui risque de créer les pires obstacles ! Non seulement il faut une médiation, mais il faut en apprendre les techniques.

On pourrait en citer un quatrième, qui n’est pas particulier à la verbalisation de l’action, mais qui est propre à tous les questionnements qui se pratiquent a posteriori, c’est celui de la mémoire et de la qualité du rappel des faits. »

 

Pierre Vermersch, L'entretien d’explicitation,1994, p.17-19

 

Comment questionner ? (en entretien d’explicitation)

« Par rapport à l’action, nous nous trouvons devant une grande dichotomie :

— D'une part, les connaissances déjà conceptualisées, déjà conscientisées : savoirs théoriques, savoirs procéduraux formalisés, savoirs pratiques conceptualisés comme le sont les savoirs expérientiels qui ne posent pas de problèmes de verbalisation à l'élève où au professionnel parce qu’il les connaît et les a déjà verbalisés.

— D'autre part, des savoirs en acte, préréfléchis, n’ayant pas fait l’objet d’une prise de conscience et que le sujet croit ne pas posséder ou, en tout cas, ne sait pas qu’il possède et donc ne sait pas verbaliser tout seul.

Cette dichotomie de base va nous conduire à poser deux grands principes dans la formulation des questions propres à l'entretien d’explicitation :

1) Ne pas poser de questions qui induisent des réponses de l’ordre du déjà conceptualisé, En résumé, éviter tout ce qui est demande d'explication directe, en particulier : pourquoi.

2) Formuler des questions qui guident vers le préréfléchi. En résumé, toutes les questions qui induiront une réponse ponctuelle et descriptive.

L'application du premier principe est particulièrement difficile, parce qu’il est contre-intuitif. En d’autres mots, c’est tellement le genre de questions qui vient Le plus spontanément que s'en abstenir n’est pas naturel. C’est facilement compréhensible si l'on distingue l'intention et les moyens.

L'intention du formateur, du psychologue est de comprendre ce qui fait que l’autre a procédé de cette façon particulière, d’autant plus que l’on s'éloigne de la réponse attendue. Dans ces situations ce qui semble s'imposer c’est : « Mais Pourquoi avez-vous fait cela ? » L'intention est juste dans la mesure où toute personne placée dans la même situation chercherait aussi à comprendre.

Mais le moyen est inadéquat pour plusieurs raisons: d’une part, rétorquera l'élève, si je savais Pourquoi, je ne me serais pas trompé; d’autre part, pris dans le contrat didactique, dans certains cas, il va essayer de donner une explication et il y a peu de chances que ce soit autre chose que des justifications, des excuses, des rationalisations, des jugements; enfin, si on a affaire à un expert, la question va déclencher une conférence, qui le conduira à parler de tout ce qu’il sait déjà et lui évitera ( l’empêchera) de parler de son vécu.

Par contre, si l’on change de moyen, il est possible d'atteindre le même objectif (il n’a donc pas changé) mais de manière indirecte.

Au lieu de faire porter à l'élève la charge de l'explication, je vais lui demander de me décrire ce qu’il a fait. Non pas « Pourquoi il a fait telle chose ? », mais « Que fait-il quand il fait cette chose ? », « Comment le fait-il ? ». Le questionnement descriptif est là pour documenter le détail de l’action effectuée, jusqu’à être suffisamment bien informé pour comprendre la logique intrinsèque de production de la réponse. L'intelligibilité de la conduite de l'élève apparaît avec la description de ce qu'il a réellement fait.

Nous verrons, dans le chapitre 8, le détail des formulations propres au questionnement descriptif, le but de ce paragraphe était de faire saisir en quoi le caractère non conscient du vécu de l’action nécessitait une formulation particulière des questions pour pouvoir être atteint. »

Pierre Vermersch, L'entretien d’explicitation,1994, p.86-87

 

Existe-t-il un bon modèle en pédagogie ?

« Pourquoi résiste-t-on à l'évidence que la connaissance se construit ? En partie parce que le travail de reconstruction est oublié lorsqu'il est accompli. De plus, il devient invisible lorsqu'on s’intéresse aux cursus les plus exigeants, ceux que les professeurs ont suivis avec succès. À un certain niveau d’études, on observe un enseignant qui parle ou écrit devant des étudiants qui écoutent et prennent des notes : le savoir paraît transiter par le discours. Les opérations de reconstruction sont rapides, les activités sont intériorisées, durant le cours comme durant l'étude. Certains jeunes enfants accèdent rapidement à cette reconstruction purement mentale. La plupart ont cependant besoin d’agir sur le réel pour le comprendre. Du coup, les « moyens d’enseignement » s'élargissent. Au-delà des exercices, règles, démonstrations et résumés, ils font une place croissante, d’une part, à des matériaux qui se prêtent à des manipulations, d’autre part à des situations (problèmes, énigmes, décisions à prendre, expériences ou observations à réaliser, petits projets) qui appellent une action efficace. Le paradoxe, c’est que la réussite de cette action concrète n’est qu’un détour pour engendrer de nouveaux apprentissages, qui constituent le véritable enjeu.

On ne peut pas reprocher au modèle transmissif de ne faire aucunement appel à l’activité de l’apprenant, ni d'être totalement opposé à l’idée que les connaissances se construisent, par réorganisations successives, dans l'esprit de celui qui apprend. Mais ce modèle sous-estime l'ampleur de la réorganisation, le temps qu’elle prend, ses hésitations (deux pas en avant, un pas en arrière). Nombre d'enseignants, surtout au second degré et au-delà, aimeraient bien croire qu’une parole magistrale bien conduite suffit, que la réorganisation s'opère du seul fait que les élèves écoutent, réfléchissent, mémorisent, bref apprennent en « buvant la parole professorale » et en révisant leurs notes. Le modèle transmissif fait à sa manière confiance à l’activité de l’apprenant, il l'exige. Même le plus traditionnel des professeurs pense que ses élèves ou ses étudiants doivent se concentrer, cogiter, lire, travailler, faire des exercices, questionner. Mais il privilégie une activité essentiellement mentale, discursive, abstraite : l'étude.

Ce modèle est hélas inopérant pour une partie des élèves. Cela vaut même pour les étudiants de l’enseignement supérieur, université comprise. Le principal défaut du modèle transmissif est de n'être efficace que pour les meilleurs élèves ou étudiants, ceux qui ont les moyens de reconstruire leurs connaissances au rythme du discours magistral, de manière largement autonome, donc d'opérer sur les savoirs de manière essentiellement symbolique et abstraite, sans avoir à manipuler des objets concrets, à réaliser des projets, apprenant en quelque sorte par de simples « jeux de l'esprit ». »

Philippe Perrenoud, Quand l'école prétend préparer à la vie, 2011, P. 74

 

Le savoir, le professeur et les élèves

« La situation pédagogique peut être définie comme un triangle composé de trois éléments, le savoir, le professeur et les élèves, dont deux se constituent comme sujets tandis que le troisième doit accepter la place du mort ou, à défaut, se mettre à faire le fou.

Les termes savoir (S), professeur (P) et élèves (E) sont ici à prendre dans un sens générique. Le savoir désigne les contenus, les disciplines, les programmes, les acquisitions, etc. Les élèves renvoient aux éduqués, aux formés, aux enseignés, aux apprenants, aux s’éduquants, etc. Le professeur est aussi bien l’instituteur, le formateur, l’éducateur, l’initiateur, l'accompagnateur, etc.

La notion de sujet est, elle, plus particulière. Le sujet, ici, c'est celui avec qui je peux établir dans une situation donnée une relation privilégiée, c'est celui qui compte particulièrement pour moi, c’est celui qui me permet d’exister de façon réciproque et préférentielle, c'est celui qui fait forme sur le fond de la situation. Il ne peut y avoir de sujet sans autre qui le reconnaisse comme tel.

Le mort, à l'inverse, c’est celui qui a établi un trou dans les relations, que je ne peux plus reconnaître comme sujet (sinon sous des formes détournées), qui ne peut plus me constituer comme sujet. Son mode de présence tient plus de l'absence que de la réciprocité. En allant plus loin, le mort dont il est question ici est le mort du jeu de bridge : un des joueurs doit en effet y tenir la place du mort. Autrement dit, ses cartes sont étalées sur la table et on le fait jouer plus qu’il ne joue. Mais son rôle est indispensable car, sans lui, il n’y a plus de jeu. Voici donc quelqu’un dont on ne peut pas se passer mais qui ne peut jouer qu’en mineur : sa place dans la partie est constamment assignée, définie et déroulée par les autres, véritables sujets de la situation.

Quant au fou, c'est celui qui récuse les termes du langage et du fonctionnement communs. De ce fait, je ne peux pas le reconnaître comme sujet, je ne peux plus établir de relation privilégiée avec lui ; il refuse en quelque sorte de me permettre de me constituer comme sujet. Il a perdu les règles de l’entendement commun et il le fait savoir, perturbant le jeu ordinaire, engendrant des situations difficilement contrôlables car elles bafouent les modes acceptés de

la reconnaissance.

Toute pédagogie est articulée sur la relation privilégiée entre deux des trois éléments et l’exclusion du troisième avec qui cependant chaque élu doit maintenir des contacts. Changer de pédagogie revient à changer de relation de base, soit de processus.

Constituer une pédagogie, faire acte pédagogique, c’est, parmi le savoir, le professeur et les élèves, choisir à qui l’on attribue la place du mort. Par là même, les deux autres se constituent et se reconnaissent comme sujets ; ce sont eux qui structurent véritablement la situation pédagogique, le mort n'ayant qu’une fonction mineure, quoique indispensable. Une pédagogie est donc l'articulation de la relation privilégiée entre deux sujets sur l'exclusion du troisième terme. C’est cette figure que nous allons considérer comme un processus, soit comme un ensemble structuré de phénomènes actifs et organisés dans le temps. Ne prenons pas le terme d'exclusion dans un sens trop fort car il ne peut s'agir de rupture, dans la mesure où le mort doit tenir sa place, dans la mesure où les sujets entendent bien le faire être et agir. On pourrait presque en arriver à parler de tiers inclus pour désigner cette présence sur un mode minoritaire qui lui est assigné.

Les processus sont au nombre de trois : « enseigner », qui privilégie l’axe professeur-savoir ; « former », qui privilégie l’axe professeur- élèves ; « apprendre », qui privilégie l'axe élèves-savoir. Sachant qu’on ne peut tenir équivalemment les trois axes, il faut en retenir un et redéfinir les deux exclus en fonction de lui. »

Jean Houssaye, La pédagogie, une encyclopédie pour aujourd’hui, 1993, p. 15-16

 

Rapport au savoir sacralisé et rapport à autrui hiérarchisé

« Longtemps, on a cru qu’enseigner consistait simplement à transmettre un savoir par le moyen de la parole. Dépositaire du savoir, le maître avait à le déverser en des élèves-réceptacles ; certains s’avéraient capables de transformer et de restituer au besoin la nourriture absorbée, mais d’autres refusaient le contenu, ou bien se vidaient au fur et à mesure de son instillation. Certes, les apprentissages premiers de la lecture et de l'écriture requéraient un accompagnement du geste de l'enfant de la part de l’instituteur, mais l'instrument privilégié de l’enseignement était sa parole sacro-sainte. En maître qui s'identifiait au savoir, il régnait sur les écoliers, distribuait à son gré paroles d'encouragement et paroles de blâmes quand il ne châtiait pas les récalcitrants qui ne se pliaient pas à l’ordre du savoir souverain et de la discipline imposée.

Dans ce type de rapport vertical, fortement hiérarchisé et fondé sur le pouvoir que confère un savoir sacralisé, les élèves sont considérés comme des « ignorants » ; voués au silence et à la répétition, ils encourent le mépris du maître lorsqu'ils ne consentent pas à devenir ses copies conformes. Dans une situation pédagogique où l’un est tout et l’autre rien, il peut paraître dérisoire d’utiliser le terme de « relation » ; il serait en effet plus approprié de parler d’un rapport de force. D'ailleurs, on est tenté de croire que ce mode d’être et de faire relève du passé.

Or, cette double relation de subordination — du maître au savoir qui fait autorité et de l'élève au maître — est encore bien présente de nos jours : c’est que le désir de pouvoir sur l’autre, qui découle du désir de reconnaissance absolue, est inhérent à l'humain, et singulièrement lorsque l’autre de la relation est perçu comme inférieur ou plus faible ; c’est le cas de l'enfant en face de qui l'adulte retrouve inconsciemment les fantômes de son passé et ses fantasmes infantiles de toute-puissance. »

Jeanne Moll, in Jean Houssaye, La pédagogie, une encyclopédie pour aujourd’hui, 1993, p. 168

 

Des médiations capables de soutenir la fonction symbolique, au cœur de la pédagogie institutionnelle

« On sait que cet engagement dans le travail d’articulation de médiations capables de soutenir la fonction symbolique de tiers constitue le cœur de la pédagogie institutionnelle inaugurée dans les années soixante par Aïda Vasquez et Fernand Oury. Cette centration sur les enjeux symboliques de la médiation — de l’institution — et leurs effets, nourrie d’un passage par Lacan et la psycho-thérapie institutionnelle (François Tosquelles, Jean Oury), allait permettre une reprise et un développement de la pédagogie Freinet: de mieux saisir les enjeux structurants d’une pédagogie coopérative, de mieux mobiliser les outils et les techniques qui, dans la classe, au-delà des objectifs déjà repérés — donner du pouvoir aux enfants, développer leurs capacités d’auto-organisation, etc. —; pouvaient permettre un travail de remaniement des identifications, de dégagement des captations imaginaires et des manèges narcissiques. Aussi bien, de la classe Coopérative (Freinet) à la Pédagogie Institutionnelle, l'avancée consiste en la reconnaissance de l'inconscient. »

Francis Imbert, Médiations, institutions et lois dans la classe, 1994, p.25

 

Ce que les pédagogues nomment une situation problème

« Que reste-t-il donc à l'enseignant qui ne peut, pour mettre ses élèves en projet d'apprendre, utiliser ni la contrainte ni la séduction ? Proposer des projets qu’il juge capables de mobiliser ses élèves et qui comporteront, dans leur exécution même, la possibilité de rencontrer des obstacles correspondant précisément aux objectifs programmatiques qui sont visés. Ce n’est pas là, de toute évidence, un exercice simple. Il consiste à prendre en compte deux séries d’exigences parfaitement hétérogènes : des exigences afférentes à la capacité de stimulation que peuvent avoir certains projets et des exigences afférentes aux obstacles que ces projets comportent et qui permettent d'effectuer des acquisitions repérables. Il faut, à la fois, que le projet mobilise et qu’il ne soit pas réalisable sans acquérir des savoirs qui, précisément, sont imposés par le programme. C’est précisément ce que les pédagogues nomment une situation-problème : « une situation qui fait problème » et qui, à ce titre, incite l'élève à se mettre en route pour le résoudre ; « une situation qui contient un problème » et qui, à ce titre, invite l'élève à chercher à comprendre et à acquérir les savoirs qui lui permettront de le résoudre. »

Philippe Meirieu, Faire l’école, faire la classe, 2004, p. 85-86

 

Les caractéristiques d’une situation problème

« Il est intéressant de mettre les élèves dans des situations comparables à celles d’un chercheur, confronté à un problème qu'il n’a pas appris à résoudre, et qui l’oblige à se poser des questions, à passer les réponses sous les feux de la critique afin de trouver une solution originale débouchant sur la construction d’un nouveau savoir. [...]

L'élément le plus important, qui caractérise les situations-problèmes, c’est la présence d’une véritable rupture, allant à l’encontre des conceptions initiales, ce qui provoque l'élève, donc donne du sens à son activité et se prête particulièrement au développement de l'esprit critique. [...]

Une situation-problème doit remplir certaines conditions :

— Avoir du sens (interpeller, concerner l'élève qui ne se contente pas d’obéir, d'exécuter).

— Être liée à un obstacle repéré, défini, considéré comme dépassable, et dont les élèves doivent prendre conscience à travers l'émergence de leurs conceptions (représentations).

— Faire naître un questionnement chez les apprenants (qui ne répondent plus aux seules questions du maître).

— Créer une ou des ruptures amenant à déconstruire le ou les mode- les explicatifs initiaux, s’ils sont inadaptés ou erronés.

— Correspondre à une situation complexe, pouvant souvent ouvrir sur différentes réponses acceptables et différentes stratégies utilisables.

— Déboucher sur un savoir d'ordre général (notion, concept, loi, règle, compétence, savoir-être, savoir-devenir…).

Une situation-problème doit aussi faire l’objet d’un ou plusieurs moments d'analyse critique et de métacognition (analyse a posteriori de la manière dont les activités ont été vécues et du savoir qui a pu être intégré).

Mais, autant qu'un ensemble de critères, c’est surtout la mise en œuvre d’une démarche et d’un état d'esprit de recherche qui caractérise une situation-problème. On peut mettre en œuvre des Situations-problèmes dans toutes les disciplines et même directement liées à des compétences transversales. »

Gérard De Vecchi, Former l'esprit critique, | Tome 1, Pour une pensée libre, 2017, p. 123-125

 

Quand l’autorité fait problème

« Si [...] vous constatez que l’autorité au quotidien, en tant que pouvoir d'obtenir l'obéissance, que pouvoir d'imposer et de s’imposer en imposant, consiste à amener quelqu'un ou un groupe à faire ce que l’on a décidé, au besoin à l'insu de son plein gré, au besoin en utilisant des moyens de pression, vous ne pouvez du même coup que poser par là même que, définitions mises à part, l'autorité non seulement fait des problèmes mais que c’est elle qui risque de faire problème. Sauf à tenter d'extraire l'autorité de tout problème en la justifiant métaphysiquement.

Distinguez classiquement, pour ce faire, botestas et auctoritas. Le premier, potestas, est le pouvoir fondé sur la fonction, le grade ou le statut. C’est le pouvoir légal, accordé par les instances de la société (concours, administration, hiérarchie), pour prendre des décisions et commander dans la classe, au besoin en recourant à la contrainte. C’est ce qui relie aux domaines de la discipline, de la sanction. La seconde, auctoritas, ne peut pas être attribuée officiellement ou légalement.

Elle n’est pas de l’ordre de l'imposition, de l’ascendant, du crédit. Elle est fondée sur l'attestation d’une forme de supériorité et non sur la puissance légale de contraindre. « L'autorité, au sens d’auctoritas, est l’art d'obtenir l’adhésion sans recours à la force ou à la contrainte, Elle recommande plus qu’elle ne commande » (Prairat, 2009, p. 82). Vous pouvez même aller plus loin dans la distinction en vous appuyant sur Arendt, qui nous rappelle que l'autorité n’est ni contrainte ni persuasion, mais influence. En effet, en éducation, si la contrainte est du côté du pouvoir, et donc de la hiérarchie dissymétrique, la persuasion, elle, est du côté de l'égalité et de l’argumentation. Or, en éducation, il y a bien dissymétrie entre le professeur et les élèves. C’est dans ce cadre que l'influence se doit d’être éducative et non pas manipulatrice. Ainsi, si vous voulez montrer que théoriquement l'autorité ne peut pas être un problème, il vous reste à définir les caractéristiques d’une influence éducative (libératrice, indirecte, temporaire, reconnaissante). »

Jean Houssaye, Le triangle pédagogique, 2014, P. 23

 

Tout enseignant doit être un passeur culturel

« La culture, en même temps qu’elle est un héritage, nécessite une construction personnelle. Sans l’intériorisation, sans le passage par le « moule individuel », elle n’est que vernis superficiel, culture pour briller ou avoir des diplômes.

Ceci implique un double refus :

— celui d’une culture altière, qui exige de chacun qu’il renonce à son être social, à son souci du quotidien, qui demande un arrachement et une transformation radicale ;

— mais aussi celui d’une illusoire continuité entre univers familier et univers culturel, alors que l’entrée dans la culture ne se fait pas sans déstabilisation, souvent douloureuse.

On ne peut échapper à un certain déchirement, mais il doit s’accompagner du plaisir de se rencontrer d’une certaine façon dans ces œuvres qui paraissaient si lointaines ou si étranges.

Les enseignants français n’ont sans doute jamais dans leur masse « possédé » une aussi grande culture qu’aujourd’hui. Le niveau d’exigence des concours de recrutement est élevé et par ailleurs, on sait que les enseignants forment les gros bataillons de spectateurs de théâtre et de concert ou de visiteurs de musée.

Cela suffit-il pour en faire des « passeurs culturels » ?

Sûrement pas. Il y a risque au contraire que ne se creusent des fossés entre eux et la plupart de leurs élèves dont ils connaissent peut-être de moins en moins les conditions de vie.

Pourtant, cette culture est bien évidemment un atout, à condition qu’elle soit ouverte, accueillante, curieuse de tout, à condition qu’il y ait dans la formation une vraie réflexion sur les stratégies de médiation culturelle, à condition qu’il y ait dialogue entre les disciplines et non enfermement dans sa spécialité, enfermement qui empêche le recul critique.

Achevons donc ce tour d’horizon des conditions à réunir pour qu’il y ait passage culturel à l’école par quelques propositions pour une formation adéquate, d’où ressortent trois grandes directions :

— un travail sur le rapport personnel à la culture de chaque enseignant ou futur enseignant, point d'appui et passage obligé pour une formation culturelle des élèves ;

— une intégration de la réflexion sur la culture dans toute formation, notamment disciplinaire ;

— la mise en place d’une articulation entre apprentissage de techniques pédagogiques et formation culturelle.»

Jean-Michel Zakhartchouk, L'enseignant, un passeur culturel, 1999, p. 82 et 112

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